À Louis

26 Février. 6 Juin. 22 Septembre. Et puis cette questionnante et bizarre veille du 11 Novembre. Cette année 2006 n'aura pas été bonne pour les derniers poilus de 14 / 18. Ils étaient 8 au début de l'année et ils ne sont plus que 4. Et l'année n'est pas finie.

Faut dire qu'on les emmerde, depuis qu'ils ne sont plus nombreux. Les journalistes viennent les voir, les filmer, les associations d'anciens combattants les démarchent, les politiques se font photographier à côté d'eux, ça coûte pas cher et ça peut rapporter gros.

Mais il semble qu'ils rechignent. Ils se font prier pour aller aux commémorations. 2 mois avant "l'armistice", rien n'était décidé, les décideurs et les communiquants étaient superinquiets. Ça y va la brosse à reluire dans le sens du poil. On leur envoie du lourd, des préfets, des ministres, et Jacques Chirac lui même y va de son célèbre serrage de louche. Il a affirmé que le dernier poilu aura droit "à des funérailles gigantesques, pas nationales, non, mais presque", comme le souhaitait Brassens pour la femme d'Hector. Certains pensent au Panthéon.

Le hic, c'est que beaucoup de poilus ont la dent dure et qu'ils crachent un peu dans le rata, quand on leur pose des questions. C'est pas le genre à dire aux jeunes "allez vous faire tuer la fleur au fusil". Les témoignages que j'ai lus sont plutôt dans la tonalité du film "Joyeux Noël". Européens, pro-allemands, passe, mais ils sont carrément pacifistes, ces icônes mythiques de la Grande Guerre, et ça, ça fait tache.

Louis, le nouveau doyen, fait très fort dans ses déclarations. Ça fait 2 ans que le Maire et le préfet essayent de l'amadouer en venant fêter l'armistice chez lui, en amenant champagne et gâteaux secs. Faut dire qu'il a toujours boycotté les commémorations. L'écouter est un bonheur :

En 1916, nous étions jeunes, patriotes et enthousiastes pour le combat, les peuples français et allemands avaient été montés l’un contre l’autre. On partait, on ne savait pas pourquoi, mais on y allait. Il faut avoir entendu les blessés entre les lignes. Ils appelaient leur mère, suppliaient qu’on les achève. C’était une chose horrible. Les Allemands, on les retrouvait quand on allait chercher de l’eau au puit. On discutait. Ils étaient comme nous, ils en avaient assez. Quand l’Etat major l’a su il a ordonné une attaque. La guerre ? Hay, hay, hay ! Un truc absurde, inutile ! A quoi ça sert de massacrer des gens ? Rien ne peut le justifier, rien ! C'est de la boucherie. La gloire, l’héroïsme ? De la fumisterie ! Le patriotisme ? Un moyen de vous faire gober n’importe quoi ! Les médailles ? Certains de mes camarades n’ont même pas eu le droit à une croix de bois ! Les décorations, c'est de la poudre aux yeux, ça rime à rien...

Revenu à la vie civile, quand ses enfants parlaient des "boches", il leur disait :

Vous devez les appeler "les Allemands". Les soldats français et allemands ont été manipulés. Des tas de gens ont été envoyés à la mort à cause de la bêtise de hauts gradés. C’était une boucherie qui n’a servi à rien et la guerre a, à nouveau, éclaté en 1940. Elles ont surtout permis aux industries de l’armement de faire de l’argent, en Allemagne comme en France.

C'est un gars qui a vécu l'offensive Nivelle, le célèbre "Chemin des Dames", 150 000 morts, qui dit ça. Qui est revenu vivant pour nous dire ça.

Bon. Mais on va quand même pas enterrer un anarchiste au Panthéon ??