J'ai perdu mon père assez jeune, vers 13 ans. Je n'en ai pas fait une maladie car la situation présentait des avantages, dont je ne ne me suis pas rendu compte tout de suite d'ailleurs, et des inconvénients aussi, certainement, dont je n'ai pas plus pris conscience. J'en ai juste profité pour redoubler ma 4 ième, sautant sur cette opportunité et ce mot d'excuses tout trouvés. J'avais 1 an d'avance , ça ne prêtait pas à conséquence.

L'aspect positif d'une longue et cruelle maladie émerge surtout quand elle prend fin. Tout le monde pousse, ou ne pousse pas, se retient, un grand ouf de soulagement. Ha ben si, je regrette : la phase terminale d'un cancer généralisé n'est agréable pour personne. Surtout à l'époque, où l'espoir de guérison était strictement égal à zéro. Je dis bien zéro car les miracles, je sais pas si vous avez remarqué, les cancers généralisés n'y ont jamais droit.

D'ailleurs, mon père n'avait droit à pas grand chose : la thérapeuthique, en 69, c'était la morphine, et on attendait qu'il meure. L'hôpital l'avait renvoyé dans ses foyers, et c'est ma mère qui lui faisait les piqures. Bon, le malade, à moins de beaucoup aimer la morphine, et adorer souffrir énormément, j'imagine qu'il est pressé que tout ça s'arrête ? Les docteurs, au téléphone, je suppute qu'ils avaient légèrement honte, eux dont le boulot est de guérir, et qui ne pouvaient que soulager, et si mal ? Augmentez les doses, si vous voyez qu'il ne peut plus supporter la douleur.

Euphémisme.

Les râles, les plaintes, comment peut-on les supporter, alors que les docteurs ne laissent pas le plus petit espoir ? Quand ? Jusqu'à quand cette vie va t-elle s'accrocher, qui se résume à des sursauts de lucidité de plus en plus courts, à des tensions dans un corps pantelant ? Peut-on appeler ça une vie ?

Hypocrisie.

Lâcheté de l'Homme face à sa mort et à celle des autres. Le débat actuel sur l'euthanasie ne ressemble à rien. Le comité éthique est bourré de religieux, évidemment, ils gagnent leur paradis avec la souffrance des autres, le martyre, ils en reprennent 2 fois au dessert, c'est leur pêché mignon.

Ce serait notre klebs qui se répandrait sous lui sur une serpillière, incapable de bouger, abandonné par le véto, avec son regard fiévreux, suppliant du fond de son enfer, le premier visiteur venu nous crierait :

- " Mais vous n'avez pas honte de lui laisser vivre ce calvaire, achevez-le, faites quelque chose, faites-le piquer, c'est atroce, vous n'avez pas une once d'humanité ?"

Mais si c'est un être humain, niet. Même s'il supplie, s'il demande la mort, s'il écrit un livre pour exiger la mort, le rappel à la loi tombe, sans subtilité, comme une lettre circulaire :

- "Votre mort ne vous appartient pas, en fait vous n'avez pas vraiment, profondément, envie de mourir. Vous souffrez juste d'un déficit momentané d'envie de vivre que notre spécialiste en bonheur va vous combler en 2 temps, 3 mouvements."

Ma mémoire me ramène à la surface des images, des visages, depuis très loin en arrière, jusqu'à mes 2 ans. Mais j'ai complètement occulté cette période où mon père était grabataire, mourant, chez nous, avec nous. J'imagine que c'était une situation un peu too much pour mon jeune âge. Il m'en revient des bribes : Maman l'avait installé dans ma chambre, mais je ne peux dire où on m'avait mis. Dans la leur ? Il ne fallait pas faire de bruit, "pour qu'il se repose".

Avec le recul, et me rappelant son intransigeance et son perfectionnisme, son esprit de famille et ses exigences morales, plus que la douleur qui progressait dans ses os, c'était de nous abandonner derrière lui, d'abdiquer ainsi ses responsabilités de chef de famille, qui lui devait être atroce.