J'étais inquiet depuis quelques jours, je fouillais partout sans trouver ce que je cherchais. Bon, rien d'antinomique avec le grand désordonnancement de notre univers, le big-bang nous a fichu un brave bordel et nous n'avons rien rangé depuis. Alors nous cherchons, en permanence. Les objets se déplacent en liberté chez nous, ils n'ont pas de place attitrée, ils se font prendre en stop par les humains qui les déposent au gré de leur pérégrinations dans la maison, pour les effacer de leurs souvenirs aussitôt.

Alors, solitaires nous poursuivons nos inquisitions. Solitaires car il est inutile de chercher à se faire aider. Chacun a assez de souci avec ses propres fouilles pour se hasarder hors de sa bulle, la motivation étant la condition sine qua non de l'hypothétique découverte.

En la présente occurrence, quand je me résignai à demander à Margotte si elle avait une idée, même vague, d'où pouvait bien se trouver la bouteille de Poire que m'avait offerte Calune, elle me fit expressément comprendre que son intérêt pour le liquide en question étant proche de zéro, il allait malheureusement falloir que je me débrouille sans elle. Tout en tentant cependant une fine stratégie tendant à me faire cesser de soulever SES affaires, voire de les déplacer : "Tu l'as sans doute oubliée en Limousin !" me hurla t-elle. Et elle ajouta, en une perfide allusion à ma mémoire de plus en plus défaillante avec le temps : "Ça ne serait pas la première fois."

"Ha je regrette" marmonai-je dans ma barbe, "s'il est vrai qu'il m'arrive de faire mon Petit Poucet en semant derrière moi les machins les plus divers, ce sont toujours des objets de peu, remplaçables et dispensables ! Je ne risquais pas de laisser moisir l'exquise Poire de Calune dans cette maison humide où le bouchon allait s'altérer, l'eau de vie perdre du degré et sa structure se troubler sous l'effet du gel ? ?"

Ben zut alors fichtre non ! Une Poire qui m'a réconcilié avec les Poires ? Oui, car à ma grande honte, je ne connaissais que l'odieuse "poire williams" qu'on trouve dans tout supermarché qui ne nous respecte pas. Oui, ce truc fait avec de l'alcool dénaturé auquel on rajoute un peu de sirop de poire pour camoufler le goût pharmaceutique ? Dingue qu'on laisse ce poison en vente libre, même pris avec modération ? Non, la Poire de Calune, c'est la vraie l'unique : celle que l'on distille amoureusement dans le Loiret, la reine des Poires, quoi. En plus, elle a pas mégotté, elle a choisi le modèle avec la poire à l'intérieur ! Bon, c'est un peu du folklore, la poire à l'intérieur, d'accord, c'est joli, c'est sympa, on a un chouette spectacle pendant la dégustation, mais je lui trouve quand même un ÉNORME défaut, à ce fruit faisant trempette dans la bouteille :

IL PREND DE LA PLACE À L'ALCOOL !!!!

Conscients de la justesse de la remarque, le producteur a prévu la parade en mettant en vente des "recharges". Oui, car elle est bien belle la poire, mais elle noircit dès qu'elle n'est plus recouverte d'alcool, et j'imagine que le goût n'est plus non plus tout à fait le même ? La contenance de la recharge a été judicieusement calculée pour refaire les niveaux dès que la poire émerge. Et sans vouloir me vanter, ma poire émerge, elle émerge même sacrément. Pas de stress : j'ai retourné la bouteille et la forme de la poire s'adaptant parfaitement au goulot, la poire n'émerge plus. Tant-Bourrin le matheux vous expliquera pourquoi bien mieux que moi... (hin hin, vas-y, c'est à toi, sors-nous la formule du volume de l'objet piriforme)

Alors, les effluves poiresques ayant tracé un profond sillon mémoriel dans mes palais, arrière-glotte, langue et muqueuses nasales, je me remis d'arrache-pied à déplacer des piles de coinstots, éventrer des matelas, dégivrer des frigos, glisser la main sous les tableaux... J'en profitai pour vidanger la fosse septique, c'était toujours ça de fait, faire la totale à ma chienne, y avait longtemps qu'on en avait envie, et vider à la pelle la caisse de personnages Warhammers du second fils, qui ne cracherait pas sur une bonne bouteille, tel que je le connais. Des chercheurs qui cherchent, on en trouve, mais des chercheurs qui trouvent, hein, je vous laisse finir, disait De Gaulle, qui n'avait pas tort, en ce qui me concerne, en tout cas...

Et puis, il suffit de n'y plus penser, d'abandonner la lutte, de se rendre disponible, ouvert à autre chose, et puis un jour, le hasard, l'étincelle qui fait déborder le vase : je vois ma valise vautrée un peu comme je l'ai lancée, de retour de vacances. En fait, c'est pas ma valise, et ce simple fait explique beaucoup de choses ! Ma valise, un de mes gosses me l'a piquée, et donc je me suis rabattu sur ce modèle inconnu qui, quand j'ai fait mes bagages de retour et que je cherchais un endroit où la Poire de Calune serait bien coincée, bien protégée, m'a fourni sa doublure. Doublure dont j'ai bien entendu complètement oublié l'existence dès le retour, n'en ayant eu connaissance que pendant les 2 mn nécessaires au rangement de la bouteille. C'est clair ? Car s'il y en a au fond qui n'ont pas suivi, je veux bien répéter pour ceux qui n'ont pas compris, pendant que ceux qui ont déjà compris s'ennuieront, OK ?

Donc je suis dans notre chambre, assis sur le bord du lit, effondré, en manque de Poire, quand mes yeux se posent sur ma valise et qu'un tilt se déclenche. Je la retourne, Hé Hé, elle est lourde, Hé Hé, je sens quelque chose à travers le tissu, Hé Hééééééé, j'ouvre et kikevla ? Ma poire !! Ma fille et sa copine sont dans la pièce à côté, entendent mes "Hé Hé" guillerets et ravis et commencent à ricaner : "Le padre qui parle tout seul, ça sent le sapin...". Et explosent de rire en me voyant sortir, berçant ma bouteille comme un bébé, lui faisant des bisous et gagatisant :

"C'est ma Poire, c'est ma Poire à moi, où t'étais passée, vilaine... ?