Elles sont pleines à craquer, en général. Jeter était un crime, à une époque. "Ça pourra servir un jour, ce bout de fil de fer, mets-le dans cette boite".

Il y avait la boite à fil de fer, celle à bouts de ficelles, celle à clous tordus que l'on redressait soigneusement.

Il y avait le sac avec les restes de pelotons de laine avec lesquels on faisait des carrés au point mousse, qui, assemblés, finissaient en couvertures.

Il y avait la trousse avec les boutons dépareillés, ébréchés, ça allait tant que 2 ou 3 trous étaient encore utilisables. Celle avec les pressions, les fermetures éclairs. La grosse boite à gâteaux secs en fer blanc avec les aiguilles de toutes tailles, jusqu'à la grosse à matelas, les épingles piquées dans leur pelote, je me souviens d'en avoir bricolé une en liège pour ma mère, décorée d'un pompon rouge. Il y avait les lacets, les fins pour les chaussures du Dimanche, les plats et longs pour les gros croquenots de travail.

Il y avait les tiroirs, des palanquées de tiroirs avec chacun son contenu précis. Dans les années cinquante, ils commençaient à se remplir de gadgets qui étaient encore foncièrement utiles, représentant un vrai progrès, et de fabrication solide : l'anti-monte-lait en verre, les épluches-légumes, les poches à douilles, le presse-purée, la clef à boite à sardines, le dénoyauteur, les ciseaux à découper le poulet (maintenant un simple couteau de plastique suffit), l'allume-gaz à pierres, qui revenaient moins cher que les allumettes. L'ouvre-boites était d'une simplicité et d'une solidité diabolique. On pouvait même le réaiguiser avec une lime. Ceux électriques ou sophistiqués n'ont jamais réussi à le détrôner.

Il y avait la pharmacie avec ses préparations magistrales et ses "spécialités" qui avaient fait leurs preuves, souvent inventées par un petit pharmacien, et devenues célèbres par le bouche à oreilles. Si ça ne guérissait pas, ça ne faisait pas de mal.

Et puis il y avait l'arrivée en force des lessives, portées par la vague de l'hygiénisme. Un slogan comme "Génie sans frotter", ça ne donnait pas envie d'en acheter, à ces femmes qui allaient il n'y a pas si longtemps que ça, laver de lourdes brouettes de linge dans l'eau glacée du lavoir communal ?

Et ce parti-pris d'esthétique, de qualité, de durabilité, ce choix de matériaux nobles, la faïence, le bois, le cuivre, l'acier. Ce goût et cette fierté de faire du bon boulot dont on n'ait pas à rougir, quel que soit le niveau de la société où l'on s'active.

De vieilles lunes couvertes de poussière et de toiles d'araignées, confites au fond de sales bicoques.