La très aventureuse vie du Chevalier de Tant-Bourrin et de son écuyer Saoul-Fifre (Chapitre XV)
Par Tant-Bourrin, dimanche 5 avril 2009 à 00:11 :: Chroniques médiévales :: #1145 :: rss
(lecture préalable des chroniques précédentes conseillée)
Où le Chevalier de Tant-Bourrin retrouve goût à l'amour
XIIIème siècle après Jésus-Christ - Quelque part dans le Royaume de France
L'étrange équipage cheminait, misérable et frissonnant, dans la froidure d'un hiver médiéval qui semblait ne jamais devoir prendre fin.
En tête, le Chevalier de Tant-Bourrin, passablement éprouvé par ses dernières aventures, le regard comme fou, la face agitée de tics nerveux, le dos voûté, chargé de toute la misère du monde, bringuebalait dans son armure de plus en plus déstructurée, l'aura définitivement en berne.
Derrière, loin, loin derrière, son écuyer Saoul-Fifre, dont l'aura de mouches flamboyait dans l'aube naissante, cahotait au rythme du pas de sa bourrique, l'air inquiet, visiblement aux aguets.
Il faut dire que les relations du Chevalier et de son serviteur s'étaient légèrement refroidies depuis leur toute dernière péripétie. Entendez par là que le Chevalier, désormais amputé de la Dame de ses pensées, la gente mais un peu trop leste Calcinée du Grozosiau, n'avait plus qu'un seul but : attraper son écuyer, l'étrangler proprement, le passer au fer de son hachoir qui chante, en faire de une bouillie informe et la donner à manger au premier chien errant venu.
Bref, passé le choc initial, le Chevalier de Tant-Bourrin avait gardé un très léger ressentiment à l'encontre de son écuyer, et celui-ci, fin psychologue, l'avait bien deviné.
Comment l'avait-il deviné ? A d'infimes détails que d'aucun n'aurait même pas remarqué. Comme le fait que le Chevalier se mettait à rugir dès que Saoul-Fifre approchait à moins de cent pas de lui, qu'un filet de bave verdâtre lui coulait alors de la bouche, que des jets de vapeur lui sortaient des oreilles, que ses yeux se révulsaient, et qu'il se mettait à faire de grands moulinets à l'aide de son hachoir en hurlant "tuer ! tuer ! tuer !"
Aussi, comme il tenait à l'intégrité physique de sa couenne, l'écuyer avait instauré une distance de sécurité avec son Maître, suffisante pour lui laisser le temps de prendre ses jambes à son coup en cas de coups de chaleur de celui-ci.
Mais voilà, la situation commençait déjà à lui peser. Car elle exigeait qu'il reste sans cesse sur le qui-vive. Or, s'il y avait une chose que Saoul-Fifre appréciait par-dessus tout, c'était de cuver tranquillement sa vinasse en roupillant sur le dos de sa bourrique. Et de cela il n'était plus question, du moins tant que le Chevalier serait légèrement véner.
Il réfléchit donc dans les boyaux de sa tête pour trouver une solution à ce terrible problème.
- Voyons, se disait-il, le mien Maistre estoit tout colère parce que la sienne Dame des siennes pensées ayoit la cuysse un peu légère, mays ô combien jolye. N'ayant plus ycelle à lacquelle raccrocher les siennes pensées, il n'ayoit plus pour obscessyon que de raccourcir le mien ciboulot. Il falloit doncque que je détournois les siennes pensées... Mays comment fayre ?
Saoul-Fifre se gratta pensivement le crâne, semant incidemment la panique parmi une cohorte de poux et autre vermine.
Son visage rubicond s'éclaira soudain.
- J'ayois trouvé ! Il suffisoit de luy trouver une aultre Dame des siennes pensées ! Et je savois comment m'y prendre !
Saoul-Fifre talocha sa bourrique miteuse et obliqua sa route pour prendre le chemin caillouteux qui menait, au loin, vers la forêt de Brossée-Viande. Là-bas, au plus profond des fourrés, il gagna une hutte sur laquelle un panneau clamait, en lettres d'or :
Mage Merlan
Enchantements
Envoustements en gros
Faisoit revenir l'estre aimé
Elargissoit la vostre lance
Faisoit disparaître les cors aux pieds
Prix compétityfs
Discrétyon assurée
Saoul-Fifre gara sa bourrique devant pénétra et pénétra dans l'antre du magicien.
- Bonjour, Messyre ! Que pouvois-je pour vous ?
- Eh bien, voilà, Messyre Merlan, je voulois que le mien Maistre retomboit amoureulx prestement, car il dépérissoit et vouloit que je périssois, ce quy ne m'enchantoit guère.
- Retomboit amoureux ? Vous voulesz doncques que la flamme renaissoit avecques la sienne ex ?
- Que nenni, Messyre Merlan ! Inutile de s'enbrenner à retourner sur les terres de Grozosiau ! J'estois dans l'urgence et trouverois bien une gueuse qui joueroit l'estre aimé !
Le mage refléchit.
- Mmm, je voyois, je voyois... Je pensois avoir ce qu'il vous falloit : un phyltre d'amour. Tout homme quy buvoit cestuy phyltre tomboit aussitost en amour de la première fumelle sur laquelle se posoit le sien regard.
- Ouah, cela m'ayoit l'air bien !
- Je voulois, oui ! Mays prenesz bien garde : la première fumelle qu'il voyoit seroit à jamays la sienne Dame des siennes pensées, et il estoit impossyble de défaire l'envoustement !
- N'ayesz crainte, je prendrois soin qu'il ne voyoit que celle que j'allois prévoir pour luy !
- Bien, alors le phyltre estoit à vous ! Enfyn, moyennant le paiement de la petite facture, bien évydemment ! Je pouvois vous octroyer des facilytés de paiement en douze échéances avecques un taux de vingt et deulx pour cent sy vous le souhaitesz...
Deux heures plus tard, Saoul-Fifre s'en revint au campement. Il avait entre temps fait un petit détour par le village voisin pour refaire ses réserves de vinasse et surtout pour trouver une gueuse qui allait devenir la Dame des pensées du Chevalier.
L'écuyer, confiant dans la puissance du philtre, n'avait pas spécialement cherché le raffinement : la première ribaude venue avait fait l'affaire, nonobstant son goître, son pied-bot, son crâne éclairci par une pelade coriace, sa main amputée et remplacée par un crochet rouillé, les deux chicots qui seuls lui restaient dans la bouche, ses jambes poilues comme un sanglier, et sa poitrine qui cognait dans ses genoux quand elle marchait.
- Bah, elle ayoit un certain charme, se disoit Saoul-Fifre. Et puis l'important estoit la beauté intérieure...
Le Chevalier s'était assoupi au pied d'un arbre, pour un sommeil qui eût pu être réparateur s'il n'avait pas été agité par d'impressionnants tics nerveux.
L'écuyer, du haut de sa bourrique, scruta les parages. Personne.
- Parfait, se dit-il, aucun rysque qu'une aultre fumelle arrivoit et perturboit l'effect du phyltre.
Saoul-Fifre demanda à la ribaude de l'attendre. Il descendit de sa bourrique et, le plus doucement qu'il put, avança vers le Chevalier. Sa main se tendit vers la gourde de celui-ci. Il la vida de son eau et la remplit de nouveau, mais avec le philtre d'amour. Puis, après s'être assuré que le Chevalier dormait encore, il revint vers sa bourrique miteuse et la ribaude tout aussi miteuse, et entraîna les deux un peu à l'écart. Il fallait maintenant attendre le réveil du Chevalier.
Ce qui ne tarda point : celui-ci s'étira, bâilla, se frotta le crâne puis prit sa gourde pour humecter son gosier desséché par un léger ronflement durant sa sieste.
Voyant cela, Saoul-Fifre sut que le moment était venu d'agir et de laisser le philtre opérer son sortilège. Il talocha sa bourrique miteuse pour sortir des fourrés, non sans avoir fait signe à la ribaude de le suivre.
- Messyre ! Messyre ! Miresz doncques un peu par icy !
- Quoy ? Tu osois te présenter encor dev...
Le Chevalier avait commencé sa phrase en se retournant vers son écuyer, mais il ne la finit pas. Deux énormes coeurs clignotants s'étaient instantanément allumés dans ses yeux, sa mâchoire inférieure s'était décrochée et sa langue s'était mise à pendre d'une bonne vingtaine de pouces.
Saoul-Fifre sut alors qu'il avait réussi : le philtre avait agi. Le Chevalier aurait désormais la Ribaude de ses pensées à portée de main et en finirait avec ses envies d'écuyécide. Enfin le retour de la belle vie !
Le soir venu, l'étrange équipage avait repris son interminable route d'errance.
Devant cheminait Saoul-Fifre sur sa bourrique miteuse, le front soucieux sous son auréole de mouches. Derrière traînait le Chevalier de Tant-Bourrin, agrippé aux sabots de ladite bourrique miteuse.
Car le mage Merlan n'avait pas été assez explicite dans ses mises en garde : le philtre avait bien rendu le Chevalier amoureux de la première fumelle qu'il avait aperçue. La fatalité avait voulu qu'il voie d'abord Saoul-Fifre sur sa bourrique miteuse. Sa bourrique miteuse qui était une femelle et était immédiatement devenue la Bourrique de ses pensées. Tant et si bien que le Chevalier ne la lâchait plus, lui déclamant jour et nuit des odes d'amour enflammées.
Et Saoul-Fifre se demandait où il allait bien pouvoir trouver un mage capable de rompre l'envoûtement et, dans l'immédiat, un seau d'eau glacée pour calmer les ardeurs du Chevalier.
Car tel était le destin d'un preux Chevalier et de son écuyer en ces temps médiévaux.
Commentaires
1. Le dimanche 5 avril 2009 à 00:30, par La Poule
2. Le dimanche 5 avril 2009 à 00:42, par Saoulfifre
3. Le dimanche 5 avril 2009 à 08:00, par Yves
4. Le dimanche 5 avril 2009 à 09:36, par Andiamo
5. Le dimanche 5 avril 2009 à 11:58, par françoise
6. Le dimanche 5 avril 2009 à 12:24, par billy
7. Le dimanche 5 avril 2009 à 15:04, par calune
8. Le dimanche 5 avril 2009 à 16:05, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
9. Le dimanche 5 avril 2009 à 16:05, par Gatrasz, dit l'Anicet
10. Le dimanche 5 avril 2009 à 17:36, par nathalie
11. Le dimanche 5 avril 2009 à 18:10, par Bof.
12. Le dimanche 5 avril 2009 à 18:18, par calune
13. Le dimanche 5 avril 2009 à 19:54, par billy
14. Le dimanche 5 avril 2009 à 20:22, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
15. Le dimanche 5 avril 2009 à 20:54, par billy
16. Le lundi 6 avril 2009 à 05:13, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
17. Le lundi 6 avril 2009 à 11:42, par Bof.
18. Le lundi 6 avril 2009 à 13:34, par françoise
19. Le lundi 6 avril 2009 à 14:23, par Anne
20. Le lundi 6 avril 2009 à 19:05, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
21. Le lundi 6 avril 2009 à 19:07, par mamzelleKesskadie
22. Le mardi 7 avril 2009 à 05:21, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
23. Le mercredi 8 avril 2009 à 19:32, par Freefounette
24. Le jeudi 9 avril 2009 à 05:15, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
25. Le mardi 14 avril 2009 à 10:05, par Freefounette
26. Le mardi 14 avril 2009 à 10:06, par Freefounette
27. Le mardi 14 avril 2009 à 18:53, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
28. Le mardi 14 avril 2009 à 21:07, par Oncle Dan
29. Le mardi 14 avril 2009 à 21:25, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
30. Le jeudi 13 janvier 2011 à 19:28, par Oncle Dan
31. Le jeudi 13 janvier 2011 à 19:41, par Saoulfifre
32. Le jeudi 13 janvier 2011 à 20:15, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
33. Le vendredi 14 janvier 2011 à 12:18, par françoise
34. Le vendredi 14 janvier 2011 à 18:35, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
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