- Hem... Au faict, Messyre, j'y pensois, la solytude ne vous pesoit-elle poinct trop ?

Le regard du Chevalier, perdu jusque-là dans le lointain, se fronça soudain.

- Que pouvoit-ce te fayre, escuyer des miennes deulx ? Apprenois de toute fasçon que la solytude estoit le lot de tout preulx Chevalier et que seul leur importoit de fayre tryompher le bien et la justysce en cestuy bas-monde. Et puis, la mienne Dame de miennes pensées m'accompagnoit en chacun de mes gestes !
- Heu... Justement, la vostre Dame des vostres pensées ne vous sembloit-elle poinct trop... heu... inaccessyble ?

Le Chevalier tira sur la rênes de la bourrique miteuse, la stoppant net dans son trottinement, puis se retourna, l'oeil noir.

- Que voulois-tu dyre par-là, résydu de bas-fond ?
- Heuuu... Ne prenesz poinct la mouche, Messyre, mais il me sembloit que la vostre matrimonyale situatyon n'estoit poinct très bien engagée et que... heu... glups...

L'écuyer commençait à pâlir en constatant que le Chevalier avait saisi son hachoir à viande.

- ...enfyn, je voulois juste dyre qu'il n'estoit poinct bon pour un preulx Chevalier tel que vous de rester longuement célibatayre et que peut-estre faudroit-il songer à partir à la conqueste d'un aultre coeur et... heu...
- Et ?

Le Chevalier regardait son écuyer en tapotant tranquillement, du plat de son hachoir à viande, la paume de sa main. Saoul-Fifre sentait que la menace se précisait. Il allait falloir sortir les rames.

- ...et j'ayois pensé que... heu... vous pourriez vous inscryre chez le mage mythicque Poing-et-Fer dont j'ayois vu tantost une publiscyté. Il se disoit que moult mariages ayoient esté conclus grasce à luy !

Le Chevalier resta interdit un instant. Puis il éclata d'un rire puissant.

- Ah ah ah ! Le mage mythicque Poing-et-Fer ! Un vil entremetteur ! Ah ah ah, pauvre sac à vinasse, qu'iroit doncques faire un preulx Chevalier chez un tel margoulin ? Je n'estois poinct girouette et ne virois de bord dès que les vents m'estoient contrayre. Une seule Dame des miennes pensées j'ayois, une seule Dame des miennes pensées je garderois ! Hors la doulce et inaccessible Calcinée du Grozosieau, poinct de salut !

L'écuyer ne put s'empêcher se soupirer intérieurement et de sortir la tête de ses épaules : si son Maître riait, c'était bon signe pour le sommet de son crâne.

BLOOOONGG !!!

Le Chevalier avait profité du relâchement de la méfiance de Saoul-Fifre et de l'ouverture qui s'offrait ainsi à lui pour faire résonner, d'un grand coup du plat de son hachoir à viande, mille cloches dans la tête de l'écuyer.

- Il suffisoit, escuyer mal dégrossy ! Les tiennes sornettes me lassoient. Onc ne se marioit poinct en passant par l'entremyse d'un mage, cela estoit grotescque !

Saoul-Fifre, tout en frottant le sommet endolori de son crâne, ne put s'empêcher de protester.

- Mays si, Messyre, je vous en assurois. Je connoissois quelcques amys quy ayoient ainsy trouvé fumelle au leur pied !

Un petit rictus sardonique se forma à la commissure des lèvres du Chevalier.

- Eh bien, soit : prouvois-le moy ! Nous plantons le nostre campement icy. Je te donnois trois jours pour trouver fumelle par ceste entremyse !


Le soir même, Saoul-Fifre revint au campement avec un parchemin à la main.

- Heu... Messyre, pouvois-je recquérir la vostre aide ? J'estois allé au bourg voisin chez le mage mythicque Poing-et-Fer, et cestuy m'ayois donné un formulayre pour remplir le mien profyl. Las, je ne savois poinct lire...
- Tu estois sale, fainéant, incapable, borné, couard, ivrogne et toutes ces sortes de choses, mays onc ne pouvoit poinct dire que tu n'estois poinct opiniastre ! Tu croyois doncques vrayment à toutes ces faryboles ?... Bon, voyons voir cela... Il estoit mandé le tien nom, je l'escrivois doncques... "Saoul-Fifre, dict Buvoit-sans-soif". Continuons... Age ? J'escrivois "Elevé, et faisoit mesme plus"... Lieu de résidensce ? Je mettois "sur les chemyns"... Description libre ?...

Le Chevalier leva le regard vers son écuyer, fit une moue de dégoût et replongea le nez dans le formulaire.

- Je mettois "sac à vinasse, amateur de chère et de fumelle. Teint crasseulx, cheveulx fillasseulx, bedayne débordante"... Style de vie ? Je mettois sans hésiter "non, aucun style"... Goûts ? "Non, aucun"... Sport ? "Le cuvage de vinasse"... Travail/Revenus ? "Disproportyonnés : gagnoit bien trop au regard de ce que faisoit"... Partenaire idéale ?... Que voulois-tu que je mettoisse, escuyer des miennes deulx ?
- Heu... mettesz doncques "femme arbalète" (NDA : les canons n'existaient pas au Moyen-âge). Et puis ajoutesz-y doncques "sensuelle, preste à faire toutes les folies de son corps" !

Le Chevalier s'arrêta d'écrire et jeta un regard sévère vers son écuyer.

- Disois-moy, espèsce de gueulx libidineulx, qu'estoit-ce ceste ordure que tu me mandois d'écrire ? N'ayois-tu en outre jà femme et enfansçons par chez toi ?
- Heu... si, Messyre, mays c'estoit juste pour les besoins de l'expériensce !
- Hum... Bon, très bien, soit ! J'escrivois tout ce que m'ayoit dict. Il m'estonneroit fort que tu trouvoisses fumelle avecques ça !... Tiens, voicy le tien formulayre empli.
- Mercy Messyre, je filois m'inscrire chez le mage mythicque Poing-et-Fer !



Le lendemain, alors que Saoul-Fifre émergeait de sa sieste, il sentit quelque chose sous ses ongles alors qu'il se grattait le crâne.

- Pouacre ! Mais qu'estoit-ce doncques ? De la merdasse ?
- Oui, lui répondit le Chevalier, c'estoit ceste colombe sur la branche au-dessus de toi quy ayoit fienté sur la tienne teste. Et, accessoyrement, en la tienne bouche, vu que tu ronflois tel un blaireau et dormois la bouche grande ouverte !
- Ah, c'estoit doncques cela cestuy arrière-goust que j'ayois au fond de la gorge ? Oh, mais la bestiole ayoit un message à la sienne patte, c'estoit un pigeon voyageur !

Saoul-Fifre tendit la main vers le pigeon qui se laissa faire et il décrocha le mini-parchemin de sa patte.

- Messyre, pouvesz-vous me lire cestuy message, sy ce n'estoit poinct abuser de la vostre amabilyté ?
- Mmm, voyons voir... "Message de Poupoune69 à Sacavinasse"... C'estoit doncques pour toi, car Sacavinasse estoit le pseudonyme que je t'ayois choisy pour la tienne inscription. Je continuois... "J'ayois vu le tien message chez le mythicque Poing-et-Fer et le tien profil m'ayoit paru moultement intéressant. Je pensois en outre bien correspondre au type de partenayre idéale que tu recherchois. Voudrois-tu que l'onc fassoit connoissansce ? Signé : Poupoune69"
- Ouaaah, une réponse de fumelle ! Vous voyesz bien, Messyre, que cela marchoit !
- Tu parlois d'une conqueste ! Il ne pouvoit s'agir que d'une vile ribaude ! Remarquois, vous feresz bien la paire !
- Pouvesz-vous m'aider à rédiger un message de réponse, Messyre ?
- Soit ! Puisque nous commensçons à nous amuser, faisons-le jusqu'au bout ! Je t'écoutois !
- Heu... Eh bien, pouvesz-vous écrire : "Réponse de Sacavinasse à Poupoune69. Cela me branchoit. Pourquoy ne poinct se rencontrer dans la vraie vye ? Je te proposois un rendesz-vous demayn sur le coup de midy dans le petit bois derryère l'églyse. Signé : Sacavinasse"... Et voilà, l'affayre estoit dans le sac !

Le Chevalier ne répondit pas, se contentant de sourire. La naïveté de son écuyer le surprendrait décidément toujours.

Celui-ci accrocha la réponse à la patte du pigeon et le laissa s'envoler, non sans une légère pointe de regret car il aurait bien mangé du pigeon aux petits pois au repas du soir.


Le lendemain, vers la mi-journée, le Chevalier s'aperçut que son écuyer avait subrepticement quitté le campement et était introuvable.

- Ce bouseulx en rut sera parti rejoindre la sienne Poupoune69, je pariois, se dit le Chevalier. Il ayoit vrayment de la suyte en les siennes idées !

Se rappelant le lieu du rendez-vous fixé par son écuyer, le Chevalier de Tant-Bourrin se dit qu'il pourrait être amusant d'aller voir comment les choses se passaient. Il échafaudait déjà plusieurs scénarios possibles : un traquenard tendu par des brigands pour dépouiller les crédules en mal d'amour, une ribaude cherchant à monnayer ses charmes ou, plus vraisemblablement, personne au rendez-vous.

Peu de temps après avoir pénétré dans le petit bois derrière l'église, le Chevalier entendit des bruits étranges, comme des plaintes... Non, au fur et à mesure qu'il approchait, il identifiait mieux la nature de ces bruits : ce n'étaient pas des plaintes, mais plutôt des gémissements. Oui, des gémissements... de plaisir. Et même des petits cris.

Intrigué, le Chevalier chercha à localiser la source de ces cris de jouissance. Se pourrait-il que... Non, il n'osait croire que la folle entreprise de son écuyer ait réussi et que...

Les cris venaient de derrière un épais buisson. Le Chevalier se faufila, écarta le feuillage et aperçut son écuyer, entièrement dévêtu (hormis de son aura de mouches), qui finissait de s'échiner sur une donzelle, toute aussi dévêtue que lui et qui paraissait apprécier grandement la chose.

Et quand celle-ci se redressa, le Chevalier put découvrir son visage. Les cheveux du Chevalier se dressèrent littéralement sur sa tête pendant que ses yeux s'écarquillaient au-dessus de sa bouche béante.

- Ca... Ca... Calcinée du Grozosieau !!!


Le soir-même, l'étrange équipage avait repli son errance sur les chemins empoussiérés.

Devant, la bourrique miteuse, chevauchée par un Saoul-Fifre ébouriffé, couvert de suçons et cerné de son aura de mouches.

Derrière, allongé sur un brancard de fortune que tirait la bourrique, le Chevalier de Tant-Bourrin, tétanisé, livide, les yeux fous, agité de soubresauts et de tremblements convulsifs.

Et Saoul-Fifre se demandait bien où il allait pouvoir trouver du Prozac plusieurs siècles avant son invention.

Car tel était le destin d'un preux Chevalier et de son écuyer en ces temps médiévaux.