Depuis un bon moment, je voyais pousser sur les toits, ancrés aux cheminées, d’étranges râteaux, signes extérieurs de l’arrivée récente de la TELEVISION.
Nous sommes dans les années cinquante, dans ce quartier de Drancy dont je vous ai souvent parlé. Ça n’est pas encore une forêt d’antennes qui a envahi nos toits, non c’est un arbuste par ci, un autre par là. J’ai une douzaine d’années, les seuls écrans que j’aie jamais vus trônaient dans les vitrines des revendeurs en électroménager, ou marchands de radios comme nous les appelions, nous les mômes.
Il fallait nous voir agglutinés devant la vitrine du revendeur des six routes de Bobigny, le jeudi après-midi, vers seize heures, il y avait des petites émissions destinées aux enfants, une boutique fabuleuse ! LE poste de télévision, trônant au milieu des postes de radio "à lampes", des moulins à café électriques ou des premiers robots ménagers.
Par contre, les émissions commençaient assez tard dans la semaine, pas avant dix-huit heures !
Avant, cela s’affichait : "la mire" représentant un cavalier, et servant au réglage du téléviseur pour les professionnels, le quidam n’aurait jamais osé toucher à un quelconque réglage, hormis les énormes boutons mis à sa disposition au devant de l’appareil, les autres réservés aux techniciens bien à l’abri derrière un cache, pas touche !
J’ai inséré l’image de cette fameuse "mire" avec son sigle : RTF, radio télévision Française. Il faut vous l’imaginer avec les coins extrêmement arrondis et non pas à 90 degrés comme représentés.

Les parents de mon petit voisin Daniel, dont je vous ai très souvent parlé, ont eu la télé bien avant nous, alors parfois le jeudi après-midi, il m’arrivait d’aller regarder des émissions pour la jeunesse, seulement les jours de pluie ou de grands froids, parce que les journées de grand soleil, ou de temps supportable, je préférais, et de loin, la rue et mes copains.
Un truc me revient : un chien nommé tabac, assez facétieux sorte de grosse peluche, auquel il arrivait des aventures en compagnie d’enfants. Vous voyez ça aujourd’hui, appeler un chien TABAC à la téloche dans une émission destinée à la jeunesse ?
Eh bien ça ne nous faisait pas cloper précocement, une taf par ci par là, bien sûr, mais je n’ai fumé régulièrement qu’à dix-huit ans, quand j’ai commencé à travailler.
Et puis, aux environs de ma seizième année, la sœur de mon père, qui se trouvait par le plus grand des hasards être également ma tante, nous a offert une télévision !
Je le revois encore ce téléviseur : un Ducretet-Thomson, habillage en acajou, bandeau en matière plastique blanc sur le devant, des gros boutons moletés pour le réglage de l’image, point de télécommande bien sûr, c’est venu beaucoup, beaucoup plus tard, et puis à quoi bon ? Il n’y avait qu’une seule chaîne, la deuxième chaîne est arrivée en 1962 si ma mémoire est bonne.
Nous allumions le poste un peu à l'avance, le temps qu'il chauffe, il s'écoulait un bon moment avant qu'il ne s'allumât.
Je nous revois, mes parents, mon frère ma soeur et moi, fixant le rectangle tout noir, attendant que l'écran magique s'illumine...
Vous n’avez pas idée de l’évènement que c’était ! L’arrivée du cinéma chez soi ! Il faut dire que ces postes étaient extrêmement coûteux, le poste plus l’installation de l’antenne représentaient trois à quatre mois de salaire pour un ouvrier ! A l’époque.
Alors que dire d’un réfrigérateur, une voiture ou un lave-linge ? Nous n’y pensions même pas !
Le journal télévisé présenté par Claude Darget, Léon Zitrone, Georges Decaunes (le papa d’Antoine), mon père s’installait confortablement devant l’écran, sortait sa blague à tabac, remplie de "gris" ou, les jours fastes, de "scaferlati supérieur" appelé plus communément le bleu (en référence à la couleur du paquet).
Puis il tirait du cahier OCB, ou RIZ LA CROIX, une feuille de papier à cigarettes (ça remue des souvenirs !) et s’en roulait une calmement, posément, un coup de léchouille sur le mince filet de colle, petit pincement entre le pouce et l’index de chaque extrémité de la clope, il tirait de sa poche un briquet à essence en laiton, frottait la molette, la flamme jaillissait, accompagnée d’une volute de fumée bien noire, il tirait la première bouffée… Une quinte de toux, c’était la rançon du fumeur invétéré qu’il était. Mais bon, à cette époque, quasiment TOUS les hommes fumaient !
Ainsi on attendait avec une certaine impatience l'émission "trente-six chandelles", présentée par Jean Nohain et André Leclerc. J’y ai vu débuter Fernand Raynaud, Raymond Devos, Annie Cordy, et bien d’autres…
Des invités prestigieux : Maurice Chevalier, Tino Rossi ou encore Luis Mariano... TAIN c'est la rubrique "nécrologie" que je suis en train de vous faire !
Et surtout en 1963 l'émission de Jean-Christophe Averty : les raisins verts, sans doute la première émission qui s'est servie des "trucages" électroniques, MONSIEUR Averty faisait de la télé lui ! Et non pas du music-hall, ou du théatre en format réduit. Et lorsqu'il a passé des baigneurs en celluloïd à la moulinette... LE scandale ! Des bébés à la moulinette, ça grinçait des dents dans les chaumières, j'avais déjà lu mon premier Hara-Kiri, personnellement je me suis bien marré, il avait fichu un sacré coup d'plumeau ce Jean-Christophe là !
Les présentateurs en smoking, et même en "frac" avec la queue de pie ! On était bien loin des tenues décontractées, voire cradingues. Tout compte fait, c’était une façon d’aller au spectacle, s’endimancher comme on disait alors.
Sur le petit écran, l’étrange lucarne chère au canard enchaîné, c’était le grand chef cuisiner Raymond Oliver, flanqué de la speakrine Catherine Langeais, qui concoctaient des plats dignes des meilleures tables. Mon père notait scrupuleusement les recettes, mais quand ce cher Raymond commençait à émincer des truffes, ou à faire rissoler du foie gras, il abandonnait : trop cher pour moi, lâchait-il tristement.
Eh oui ! Nous avions des speakerines : Jacqueline Joubert ( la maman d’Antoine Decaunes), Jacqueline Caurat et Catherine Langeais. Les Huet, Fabre, Peysson, et autres sont arrivées bien plus tard, je vous ai cité les pionnières.
Des femmes "bustes", bien sagement assises, cadrées au niveau des épaules, jamais plus bas ! Ah la la ! Ça ne nichonnait, ni ne cul montrait en ce temps-là ! De la tenue, je me souviens de la gentille Anne-Marie Peysson, speakerine, enceinte, elle présentait "intervilles" avec Guy Lux et Simone, les producteurs l’avaient assise dans une sorte de guérite, on ne lui voyait QUE la tête !
Ah ben tu penses, montrer un joli ventre rond à la télé, quelle horreur ! Pourtant quoi de plus beau qu’une femme enceinte ? Tous les hommes craquent à la seule vue d’un bidon bien arrondi !
Les premiers polars écrits pour la télé, je pense aux "cinq dernières minutes", avec en vedette Raymond Souplex (qui se souvient de l’émission de radio : "sur le banc" avec le même Raymond Souplex et Jeanne Sourza , deux clodos qui à la manière des chansonniers commentaient l’actualité).
Souplex jouait l’inspecteur Bourrel, flanqué de son adjoint Dupuis, et le fameux "bon Dieu mais c’est bien sûr", quand notre inspecteur préféré, coiffé de son inséparable galurin, venait enfin de résoudre l’énigme.
La première histoire proposée, je la cite sans l’aide d’internet oui oui, s’intitulait "la boîte de pastilles", l’histoire d’un mec, qui pour se débarrasser de sa belle-mère lui prépare des pastilles très peu consommables, il a tout de même des facilités, puisqu’il travaille dans un labo pharmaceutique, (ne me demandez pas la recette : je ne l’ai pas !).
"La tête et les jambes", présentée par Gravillon jolie flaque, pardon Pierre Bellemare. Un concurrent devait répondre à un questionnaire (la tête) tandis que son co-équipier, un sportif (les jambes) connu ou non, à chaque chute de l’ intello, devait le repêcher en effectuant un exploit : saut en hauteur, la barre montant à chaque épreuve, tir à l’arc, ou encore levée de poids.
C’était aussi "l’homme du vingtième siècle" présenté par Pierre Sabbagh. Plusieurs concurrents confrontés à un questionnaire. C’était aussi "cinq colonnes à la une", un magazine d’actualités présenté par des "pointures" du journalisme : Pierre Dumayet, Pierre Desgraupes, Pierre Lazareff et Igor Barrère. On était bien loin de la star ac’ et des brebis goualeuses !
Dans une de ces émissions, j’ai vu un chien à deux têtes, la seconde lui avait été greffée sur le cou ! C’était une expérience menée par les soviétiques, chacune des têtes aboyait ! Ces images m’avaient choqué.
J’ai bien sûr vu débuter Michel Drucker en journaliste sportif, j’ai vu le bon et brave Roger Couderc et ses "petits", tu aurais vu Albaladejo et Spanghero ! Tu parles de colosses oui ! Le catch tous les vendredi, l’ange blanc, Guettier, Delaporte l’infâme. Le journaliste Claude Darget qui s’était pris un pain parce qu’il avait osé dire que c’était du chiqué !
Cette télévision-là, toute tremblotante, débutante, avec ses interruptions momentanées de l’image, que vous voudrez bien excuser.
Pour nous faire patienter sont venus les interludes : poissons dans un aquarium, moulins en Hollande, tournant incessamment, et plus tard le petit train rebus…
Cette télévision paraîtrait bien désuète de nos jours, les images se sont beaucoup améliorées, la qualité des programmes également, quoiqu’en pensent certains. Bien sûr, il faut choisir ses programmes, ne pas avaler les émissions du style : caca-prout ou la vie vue à travers le trou d’une serrure !
Nous n’étions pas un public difficile, nous étions peu habitués à recevoir des images, dans le meilleur des cas, nous allions au cinoche une fois par semaine, je parle pour les jeunes, car je n’ai guère vu mes parents se rendre dans une salle obscure, ils n’en avaient pas les moyens.
Alors l’arrivée du cinéma chez soi a été une énorme joie, qui a tout de même permis à bon nombre de gens de découvrir le monde, et je ne crache pas sur ce que j’ai beaucoup aimé.
Voici ce à quoi ressemblaient nos téléviseurs dans les années cinquante, ne vous marrez pas, les écrans mesuraient déjà 42 cms, alors que la génération précédente possédait des écrans de 36 cms seulement ! Et les images en noir et blanc... Bien sûr.

Pour les cinéphiles (et les autres) : quelle image d'un film qui connu un certain succès à son époque est présente sur l'écran ?
-Un p'tit coup d'pouce : le film est sorti en : 1959... J'avais tout juste 20 berges !
-Qui a dit : "quel vieux c.." ?