Calune possède un balcon bien garni, et entre autres choses par une vaste jardinière accueillante. Je la connais, elle va encore grincher que je dévoile sa vie privée, que je me mêle de ce qui ne me regarde pas, mais justement, elle aussi me maile souvent, alors on est quitte. Elle reste quitte au sujet de ma boîte. Dans cette jardinière elle a planté des tomates. Pourquoi des tomates ? Parce que c'est rouge. C'est essentiellement politique. L'amour est cerise et le braquemart turgescent est tomate aussi, voire aubergine, chez certains nobles à sang bleu. Mais la révolution a prospéré sur le fumier de l'ancien régime, et les profiteux, ces gourmands, faut leur couper la tête.

Puisque l'on en est aux usurpateurs, j'en suis un beau vu qu'elle me croit spécialiste en ces léguminacées gorgées de jus, moi qui me targue d'être un détaché cultural. Le jardin est mon alter ego. Nous nous observons mutuellement, je suis sa muse, il est mon inspirateur. Je me méfie des tropes trop normatives. Je ne suis pas le genre à obéir aux conseils d'Hubert le jardinier . Cette année, j'ai planté mes tomates sur un terrain fertilisé à donf pendant plusieurs années par le lama et les chevaux. J'ai donc estimé que le facteur limitant n'était pas la fumure et j'ai laissé mes plants se vautrer dans la luxuriance la plus décomplexée. J'arrose à la raie et les fruits murissent, gonflent, se remplissent, se saturent de senteurs saturnales. Leur peau se tend comme celle d'un tambour. La sève pulsée dans les veines bat son rythme lancinant et prometteur de dégustations juteuses. Je palpe des rondeurs molles à souhait sous la paume. Je me laisse alors aller à les cueillir sans remords. J'aime à penser que leur prédilection est d'être mordues à pleines dents, juste arrosées d'un filet d'huile d'olives, plutôt que la déréliction, oubliées, plissées, desséchées.

La solanine (petite fille seule, en castellano) est un poison violent présent dans la belladone, le tabac, le datura, la mandragore et ... la tomate. Quand Calune me dit qu'elle adore cette odeur forte, se renifler la main après en avoir touché les tiges, j'espère simplement qu'elle ne pousse pas la tendance morbide jusqu'à s'en lécher les doigts et les babines ?

Elle a eu beau chercher, lancer des appels au secours, elle n'a pas trouvé de tuteurs suffisamment rigides et longs. Résultat, la tige maîtresse de son plant, pourtant vigoureux, s'est pitoyablement pliée. La solution, pourtant simple, en pincer le bout, n'eut pas l'heur de lui sourire car elle répugne au gaspillage. Spectacle désolant que ce tronçon tristounet pendant lamentablement, languissant après un peu d'aide, quelques soins, de chauds encouragements ? De toute façon, il faut savoir raison garder et modérer ses espérances. Une belle plante d'1 m 50 de hauteur devrait pouvoir combler largement les attentes les plus gloutonnes. Alors, taillons, bloquons la montée de sève qui favorisera d'autant plus le gonflement des organes floraux encore juste initiés mais bientôt délicieusement fructifères.

Ah oui, j'oubliais ! Je dois à Ophise l'explication de mon titre ! Le comble de la jardinière, c'est de se mettre à poils devant ses tomates pour les faire rougir.

Tous les petits de maternelle le savent.