Qui veut adopter un animal de compagnie se doit d'intégrer le fait qu'une bête est dotée d'une sexualité et que ses parents lui ont pris l'option "reproductible" à la naissance.

Certains ne s'en doutent absolument pas, ou l'oublient délibérément, c'est le genre sidéré qu'un tamagotchi meure après une semaine de jeûne aquatique dans le désert, même pour eux, si vous voulez ? Ils ont une vague idée que les parents, les enfants, ça a une sorte de rapport éloigné avec les démangeaisons qu'ils éprouvent parfois entre les jambes, mais c'est pas clair dans leur esprit. C'est pas leur faute, ils n'ont aimé aucun de leurs profs de SVT et pour être franc, les autres matières ne les emballaient pas non plus.

Il y a le crâne et le cerveau, mais le second n'est pas forcément dans le premier.

Notre ancienne chienne Jade, par exemple, nous pondait ses 13 chiots tous les ans recta à la Toussaint. Je les aurais laissés vivre, et vous autres auriez fait itou avec sa descendance, en une décennie les "Jadistes" auraient pris le pouvoir sur terre.

Devenons adultes, merde. Alors les égoïstes doublés de malins choisissent des mâles, suivant en cela le principe éternel "Surveillez vos poules, je lâche mon coq". C'est plus réfléchi, certes, mais aussi nullos que le débile qui s'aperçoit que son chat "Hulk" est en fait une femelle, le jour où il lui ramène sa portée de 10, un par un et par le cou.

Cette famille du village était dans ce cas de figure. Ambiance "Lorsque le chaton parait...". Quand les parents demandent à leurs nains ce qu'ils veulent faire plus tard, 67 % répondent "représentant en chatons". Les gosses adorent "donner" des chatons. T'imagines, comme si c'était un cadeau ? Moi, si un adulte essayait de me refiler sa boule de poils miteux, déjà, je lui demanderais si il fournit les 15 ans de boites de Ronron avec, mais je m'enquerrais surtout de l'âge auquel il compte leur faire éclater le crâne contre un pilier de pont ? Il me semble que plus jeunes ils sont, les stars de calendrier du facteur, mieux c'est pour souffrir moins ?

Toujours est-il que nous venions de perdre Fouinette et qu'après avoir laissé passer une période décente de deuil (on ne s'inscrit pas sur Meetic le lendemain de son veuvage), les appels à une nouvelle adoption se faisaient pressants, dans le clan des gamins. Et ça y allait la traite des petits chats, au collège ! Le marché semblait porteur, en hausse de demande régulière, surtout autour du produit "à choisir sous la mère, tu verras, ils sont kro mignos".

L'heure du sevrage venu, je montai donc les enfants au village choisir un adorable chaton tellement rouquin qu'on aurait pu l'appeler Dany, d'autant plus qu'il a de suite adoré se faire tripoter par les petits n'enfants. Mais au repas du soir, ce fut Le Tcha qui fut voté par le consistoire familial, à l'unanimité moins l'opposition farouche de Zoé qui souhaitait à toute force l'appeler Malcolm, on a jamais su pourquoi, ce devait être le prénom d'un obscur badboy de l'époque, dans une confidentielle série américaine. Le combat fut rude, mais aussi l'occasion de lui apprendre les rudiments de la démocratie et la nécessité de se plier aux diktats de la majorité, pour qu'elle en arrive à l'appeler Le Tcha, comme nous autres.

Ils avaient choisi un mâle, bien sûr. J'avais tiqué, tout d'abord, pour ensuite m'aligner sur la position cynique du "pas toujours les mêmes"; un peu aux autres d'assumer des fornications dont auxquelles ils n'auront connu que les inconvénients. Cela développe le sens des responsabilités, chez les êtres moraux qui en sont pourvus d'origine en tout cas, car je me souviens que nous avions pris la décision de faire couper les cordons de la bourse à l'animal dès que les conditions physiologiques nécessaires selon le véto seraient réunies.

Quelques mois de maturation, je crois.

Nos motivations étaient aussi que le mâle court la gueuse, parfois très loin, et même coupé, si l'on en croit les aventures du Ronronnator à Sérafine . Avons nous un peu trop tardé à y porter le fer ? C'est ce qui arriva, en pleine période de chasse. Le Tcha disparut, et vu les viandards aux alentours, qui considèrent les chats "harets" comme des concurrents, des ennemis, des voleurs de gibier, des prédateurs sans scrupules qui chassent illégalement la nuit avec des yeux à infra-rouges, nous avons assez vite abandonné les recherches, après avoir laissé bien sûr description, nom et adresse à la SPA et dans les mairies.

Quelques mois plus tard, le téléphone sonne. Je reconnais la voix : c'est la femme du dépité (il n'a pas été réélu) européen Vert qui habite à 5 km à vol d'oiseau. Ah, t'as recueilli un chat rouquin ? Ben on arrive tout de suite !

Zoé veut venir avec moi, on prend des photos du Tcha pour comparer, et on démarre. Ils l'ont installé dans le garage, il est terrorisé, affamé, couvert de blessures dont la plus grave est sans conteste son œil crevé. Il est répugnant, maigre, méfiant de tout, de tous. Est-ce notre Tcha ? Heu, ben, vu sous cet angle, heu... ? On ose même pas s'en approcher de peur de se prendre un coup de griffe. C'est que le traumatisé n'a pas l'air d'avoir la maitrise de toutes les facultés que nous lui connaissions. Bon, ces braves écolos professionnels chez qui nous sommes ont fait ce que leur dictait leur conscience. Ils ont recueilli l'orphelin, l'ont nourri, dessoiffé, recherché ses maitres qu'ils subodoraient éplorés, les ont trouvés, là on sent qu'ils aimeraient passer la main, l'esprit allégé par le sentiment du devoir accompli.

Je laisse donc tomber du bout des lèvres que oui, vu de près par un presbyte, ça y ressemble et qu'à part le fait qu'il soit rouquin, il y a bien une chance sur 1 milliard pour que ce soit notre Tcha préféré. Zoé opine, mais vraiment le notre avait plus de prestance, cette serpillère n'est pas valorisante pour un sou. Nous poussons le grabataire dégueu dans une boite à chaussure et nous en allons, non sans une cordiale et réciproque distribution de remerciements hypocrites.

Chez nous, la présentation à la chienne avec qui il a été élevé, et avec qui il s'entendait à la perfection, se passe on ne peut mieux. C'est un signe. On le brosse doucement pour comparer son pelage avec les photos, ben justement, ya pas photo : cette spirale sur le flanc droit est très caractéristique, et elle se retrouve sur la vraie bête comme sur la bête virtuelle de la photo.

Une vraie empreinte digitale de félin !

Notre religion est faite : notre Tcha est ressuscité d'entre les morts et revenu à la maison ! Hosannah au plus haut des cieux !

C'est là que Zoé, nous révélant ainsi les virages machiavéliques que pouvait adopter sa réflexion, décide de prendre sa revanche sur une mise en minorité qu'elle n'avait jamais avalée, en fait. La vengeance est un plat bien meilleur, glacé.

"Non c'est pas lui, il ne lui ressemble pas du tout !", nous assène t-elle.

"Ben c'est un peu normal qu'il ait changé, il est plus vieux de plusieurs mois, il a dû se battre, avoir froid, faim, marcher longtemps... Mais la spirale, c'est exactement la même."

"Non non, rien à voir, c'est un autre chat. Le petit Tcha est mort." Elle pleure, contrefaisant Adjani qu'elle ne connait pas.

"Celui-là, le nouveau, on n'a qu'à l'appeler Malcolm !"

Le Tcha

Malcolm (mon œil)

Alors Zoé l'appelle "Malcolm", et les autres, "Le Tcha".

Son stage de survie en milieu hostile ne l'a pas rendu plus dégourdi. Plus exactement, il est con qu'il en peut plus, ce chat.

Mettons ça sur le dos d'un conflit d'identités schyzophrènoïde et ne cherchons pas plus loin.