Je fais tout comme vous, espèces de petits voyeurs nostalgiques, régulièrement, je clique sur nos rétroviseurs temporels, dans la colonne de droite, pour aller relire nos vieux billets. Et je suis tombé récemment sur le premier baiser d'Andiamo, remarquablement narré et sympathique en diable. Et bien entendu, comme il nous y invite en préalable à son propre retour vers le passé, mon esprit s'est mis à vagabonder dans mes souvenirs.

Par contre, j'étais loin d'être déluré comme cézigue. Des sentiments, des désirs, ouais, je veux, et des mahousses, mais pour le passage à l'acte, j'avais comme qui dirait des freins émotionnels tellement bien réglés que la mécanique pilait à peine j'effleurais la pédale. Et j'étais si timide qu'il était hors de question qu'il se passe quoi que ce soit avec une fille si je n'éprouvais pas de sentiments forts pour elle. Donc pas d'entrainements avec de simples copines, ou de gentilles cousines, ou carrément sa propre sœur, sur laquelle on peaufinerait "le brouillon de ses baisers", comme j'ai entendu dire que ça se pratiquait parfois.

Non, il me fallait l'Amour comme levier indispensable, comme motivation assez forte pour que la peur de laisser filer cette fille dépasse la simple trouille de faire le premier pas.

Votre inhibition, James Band 007, si vous l'acceptez, sera de la surmonter.

Pas évident, pas évident du tout. Et pourtant, en y repensant, les filles dont je suis tombé amoureux m'ont lancé des tas de signes, de messages codés, de clins d'yeux, de regards par en dessous, de caresses sensées s'être fourvoyées, enfin tous ces petits riens si féminins, mais avec un lourdaud comme moi, les allusions ne suffisaient pas, il leur aurait fallu prendre directement les choses en main, mais à mon époque, cela ne se faisait pas, quand on était une jeune fille bien comme il faut et tenant à sa réputation.

Il y en eut pourtant une assez moderne, non pour faire le soi disant "premier pas", mais tous les autres avant, et il en a fallu, des pas, avant que je me décoince ! On peut dire qu'elle s'est farci tous les préliminaires, comme une grande.

C'était vraiment un super petit lot, sincèrement, quand je l'ai vue la première fois, je risquais pas de ne serait-ce qu'envisager qu'une fille aussi mignonne puisse s'intéresser à ma gueule. Elle venait de se séparer d'un de mes meilleurs amis, ce qui collaborait à me la rendre un tantinet "tabou", mais bon, elle habitait dans une grande maison, siège d'une communauté désertée pendant les vacances. Chance pour moi, car j'appris par la suite qu'elle était hyper-convoitée par pas mal des membres titulaires en congés, mais tant pis pour ces langues pendantes, baveuses et absentes : qui va à la chasse perd sa place !

Je passais donc la voir tout le temps et, tous les deux seuls, nous avons eu le temps de bien discuter, de nous connaitre, de nous faire de bons petits plats. Elle m'entourait d'attentions, nous allions nous promener dans les bois tout proches. Je pense qu'elle mettait son plan de chasse au point.

Une après-midi, elle sortit de la douche enroulée dans une grande serviette nouée en paréo. "Tu ne veux pas m'aider à me couper la frange ? J'ai un peu de mal toute seule." Penché sur elle, au dessus de son décolleté, j'aurais dû lui dire : "Mais tu veux me rendre complice d'un crime, tu es très jolie comme ça !", et lui voler d'autorité ce premier baiser qu'elle attendait visiblement, mais je suis lent de la comprenette et renacleur devant l'obstacle, je crois vous l'avoir déjà dit.

Nous ne nous quittions quasiment plus, elle me présenta à sa meilleure amie, à sa famille. Quand nous faisions des choses séparément, nous nous prévenions avec de petits mots sur la table. À la toute fin d'une soirée bien arrosée, tôt le matin, elle laissa reposer sa tête endormie sur mon épaule. Nous nous endormîmes ainsi, mais je ne me permis là non plus aucune privauté.

Je sais, je suis bizarroïde, comme gars.

J'imagine, mais je n'en ai jamais demandé confirmation, que, son impatience grandissant, elle battit le rappel autour d'elle et demanda de l'aide à sa famille. J'étais devenu très ami avec son frère et celui-ci nous proposa un jour d'aller écouter un groupe de jazz qui jouait dans un bar, au bord de l'océan. Nous disons banco et nous nous entassons dans la deudeuche du frère, lui, ses deux sœurs et moi, avec la tente dans le coffre pour passer la nuit sur la plage après le concert.

Le frère, solidaire de sa sœur dans ce doux traquenard, avait prévu l'arme fatale : une bouteille d'un litre de whisky. Les boissons au bar étant hors de prix à cause du concert, il s'éclipsa pour nous chercher du remontant. Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais la loi obligeait à avoir en permanence dans sa voiture une boite avec toutes les ampoules de rechange. C'était un genre de tupperware assez vaste. Il le remplit à ras-bord et me le ramena. Le sens profond du cadeau était clair : saoule-toi, tu seras moins con.

Effectivement, après quelques longues goulées désinhibitrices bues en cachette des garçons de café, mon esprit s'ouvrit à l'Amour, ma vue s'éclaircit et je vis que, de l'autre côté de la table, mon amie était belle, qu'elle m'aimait aussi et qu'elle me souriait d'un air malicieux. Je me levai d'un air que je voulais décidé, me cognai dans plusieurs chaises sans m'excuser auprès de leurs locataires, je lui saisis la main en lui disant un simple "Viens..." et je l'entrainai vers l'océan.

Là, devant la lune se reflétant sur la houle en mille fragments changeants, devant cette écume luminescente toujours renouvelée, les oreilles remplies de ce bruit de vagues primordial, de ce brouhaha nous remontant des grands fonds un vieux rythme aléatoire et lancinant, nous échangeâmes notre premier baiser et nos mains partirent à la découverte de la chaleur de l'autre.