Tout d’abord, mes parents étaient de grands danseurs… Surtout devant l’buffet ! Ils faisaient aussi de la musique, en se tapant sur le ventre.

Acrobates un peu parfois, réussissant très bien le grand écart, afin de joindre les deux bouts ! Nous, on a jamais rien remarqué, passeque on avait « touçakifô ».

Elle était comme ça, ma mère : un peu le pélican de Leconte de l’Isle, qui s’ouvre le cœur pour refiler à becqueter à ses chiares. Sauf que le pélican de l’histoire, il était un peu con, biscotte quand les morfales ont bouffé Maman, qui leur apportera la graille le lendemain ?

Moralité : mieux vaut crever la dalle une journée, plutôt que toute une année !

Non, mais là, j’déconne, ça n’était pas la misère. Certes il n’y avait pas de bagnole, pas de télé, encore moins de téléphone à la maison, j’ai dû apprendre à me servir d’un bigornot (les noirs en bakélite ) à 13 ans…

Ils étaient munis d’un cadran qu’il fallait tourner afin de composer le numéro à trois lettres et quatre chiffres. Exemple : MONtmartre 16 40, ou TRUdaine 21 29, encore BALzac 00 01 : celui ci c’était le numéro de l’agence de pub Jean Mineur, dont on nous rebattait les oreilles au cinéma… Mais oui, le p’tit mineur avec sa pioche, allons un p’tit effort de mémoire ! Je l’ai connu en noir et blanc et je m’en souviens encore.

Ça ne nous gênait pas de ne pas avoir de télé, ni de téléphone. La voiture ne nous manquait pas, les potes étaient logés à la même enseigne, alors tout était pour le mieux.

Au coin de chaque rue, il y avait des « tas ». C’est sur l’une de ces îles au trésor que nous avions trouvé un vélo ! Ces dépôts sauvages étaient flanqués d’un superbe écriteau : « défense de déposer des ordures sous peine d’amende ». Immanquablement tout le quartier venait y déposer les trucs VRAIMENT inutiles.

J’ai bien écrit vraiment, car on ne jetait pratiquement rien, tout servait, comme me le faisait remarquer Françoise, on ne faisait pas de l’écologie, on faisait des économies, ce qui revient exactement au même : point de gaspillage.

Un jour : bonheur ! Putain, là sous nos yeux… Des masques à gaz ! Pendant la guerre, pas celle de 1870, je vous vois venir, non, non, celle de 40-45, il avait été distribué aux familles des masques en caoutchouc couvrant tout le visage.

Sage précaution de nos autorités qui avaient TOUT prévu… Sauf que les doryphores passeraient par la Belgique !

Des fois que les verts de gris aient encore eu à disposition un vieux stock d’ypérite* et qu’il nous le refile, comme ça en loucedé, histoire de nous faire passer le goût du pain noir et des topinambours.

Quelle connerie ! Quand on sait que l’ypérite s’attaque aux muqueuses et que tu te retrouves avec le derche en lambeaux, en moins de temps qu’il en faut à ton percepteur pour t’envoyer la p’tite feuille bleue….

Devant les gobilles : deux ronds en mica et, pendant sous le masque, une cartouche contenant des « granulés », sortes de filtres qui devaient neutraliser les gaz mortels… TIN TIN TIN !

Certains portaient une cartouche en bandoulière, reliée au masque par un gros tuyau caoutchouté, genre « Verchuren » car il était plissé comme un accordéon.

Aussitôt on se colle les groins sur la tronche, ça schlinguait vachement le vieux caoutchouc, le moisi, la choucroute pas fraîche, le clodo négligé, et la jeune fille pubère !

Et voilà qu’on refait la guerre des mondes de l’excellent H.G Wells, les pionniers de l’espérance, de Raymond Poïvet pour les dessins et - tenez-vous bien - Roger Lécureux, le Papa de Rahan pour le scénario ! Une page par semaine dans l’excellent « illustré » VAILLANT (honnêtement je viens d’aller réviser dans Wikipedia).

On ne connaissait pas les lasers, mais les fusils à rayons verts, ça oui ! On a ouvert les cartouches, reniflé les granulés qui puaient vachement le renfermé. Tu penses, depuis le temps qu’ils attendaient le gaz moutarde ! Bagarre à coups de granulés que l’on avait rebaptisés pour la circonstance : les cachous de la mort…

Qui était touché, était mort. Je crois bien que tout le régiment des envahisseurs était sur le dos en moins de cinq minutes. Mais dans tous les jeux d’enfants au bout de quelques minutes : « debout les morts, on remet ça ! »

J’ai ramené ma trouvaille à la maison le soir, le frangin aussi. Quand ma mère, qui en avait vu d’autres, nous a aperçus avec nos trouvailles :

- Non, mais vous trouvez qu’il n’y a pas assez de fourbi comme ça ? Allez me remettre « ça » où vous l’avez ramassé !

Mais pas inquiète de savoir si, par hasard, le fait de s’être collé ces saloperies sur la tronche allait nous refiler la « gigite », le « gobu », ou pire encore ! Confiante dans nos anticorps, elle l’était.

Nous avons fait semblant d’aller les déposer sur le « tas », puis à la première occasion nous sommes allés les récupérer, afin de les planquer dans un recoin de la cave connu de nous SEULS !

C’est lorsque nous avons déménagé bien plus tard qu’elle m’a révélé que cette planque, elle la connaissait elle aussi ! Mais bon, elle avait laissé faire… Ainsi sont les Mamans.


*L’ypérite tire son nom de la ville d’Ypres en Belgique, où il fut utilisé pour la première fois le 22 avril 1915, faisant 5200 morts dans les heures qui suivirent cette attaque au gaz mortel !... On n’arrête pas le progrès.




P S : Je viens d'acheter un joli recueil de contes, afin de l'offrir à l'une de mes petites fillottes.
Ce sont des contes originaux, très bien écrits, agrémentés de dessins magnifiques.
Ce livre s'appelle HIM LI CO et je vous le recommande vivement ! (pub entièrement GRATOS).