Je sais, je vous avais promis un vrai feuilleton sur notre voyage en Algérie de ya deux ans, et puis je me suis retrouvé devant la dure réalité, à savoir que j'éprouve des difficultés à exprimer mon ressenti sur le sujet. Alors soyez aussi patient que je le suis.

Pour que notre visa algérien soit accepté, nous devions présenter, soit une réservation dans un hôtel, acquittée, soit un certificat d'hébergement. Ayant des amis sur place qui ont bien voulu nous loger, c'est cette solution que nous avons adoptée. Mais il faut savoir que le problème du logement est assez grave en Algérie, on en manque, la natalité est très forte et la moitié de la population a moins de 19 ans, si ça peut vous donner une idée de la situation à venir. Le couple qui nous a accueilli, à la retraite, avait quatre enfants, de 24 à 32, tous célibataires. Il faut dire que c'est une vaste affaire, le mariage. Des sous pour la fête, pour la dot, les robes, et puis ensuite se pose la question du logis. Avec le chômage endémique, ben on reste habiter chez ses parents. Pas comme des Tanguy mais parce qu'on a pas le choix.

On a donc colonisé (celle là, il fallait que je la fasse, obligé) leur petit appartement, mon frère ainé, mes trois gosses, mon autre frère, ses trois monstres et moi. Ceux qui ne connaissaient pas le sens du mot promiscuité l'ont appris à cette occasion. Nous, un poil claustrophobes, on avait qu'une envie : sortir, visiter Tlemcen, "notre" ville, celle qui nous a vu naitre, sillonner ce pays magnifique mais nos hôtes, plus au fait de la réalité sociale et politique de ce pays et se sentant responsables de notre sécurité, nous auraient bien gardé enfermés nuit et jour, nous gavant de tchorbas, de tajines, de boulettes et de leurs pâtisseries maisons que nous faisions glisser à l'aide de petits verres remplis au jet de la théière magique et inépuisable.

Nos enfants et les leurs se sont de suite entendus comme cochons en foire, non je déconne : comme "larrons" en foire. Ma fille de 15 ans voulait mordicus se convertir à l'Islam, elle qui avait craqué au bout d'une heure de catéchisme où elle s'était rendue d'ailleurs à sa demande, et trouvait le fils de la maison "beau, mais beau...", ce qui ne l'empêcha pas de garder son opinion par devers elle, apprenant qu'il était fiancé. Mon second n'aborda pas le sujet de son anticléricalisme viscéral. Il sentit intuitivement que ce n'était ni l'heure adéquate, ni le bon endroit. Quand à mon ainé, 22 ans aux olives, sa religion était faite, il fixait leur souriante dernière, 24 ans, avec des yeux brillants. Son sang lui grimpait aux joues à toute allure, puis redescendait aussi vite on ne sait trop où, enfin quoi : nul besoin de fluidifiant sanguin.

Il n'est pas dans mes habitudes de me mêler des affaires sentimentales de mes enfants. Ils ont toujours fait ce qu'ils voulaient, avec les personnes de leur choix. J'ai la faiblesse de leur faire confiance et de croire que leur tête est fixée solidement sur leurs épaules. Cependant, certains indices coopéraient à me faire soulever la paupière sur les agissements de ces deux jeunes excités. La petite avait passé la première et embrayé avec décision. Elle avait du talent : presque tous les soirs, elle nous faisait écouter de la musique de sauvages, enfin, du traditionnel tlemcénien, et nous faisait une démonstration de danse du ventre très très suggestive. Je dois à l'honnêteté d'avouer qu'elle nous invitait aussi, nous les adultes (elle nous appelait : "tonton"), et que j'ai par politesse répondu à ses invites, mais il me parait évident qu'il s'agissait de noyage de poisson, que le but de la manœuvre, la finalité de ses trémoussements étaient d'ordre séducteur et que la cible était mon fils. Elle lançait ses filets, c'est à dire qu'elle lui passait un foulard autour des hanches sans en lâcher les bouts, qu'elle utilisait pour le guider dans cette initiation aux chorégies orientales. C'était l'artiste de la famille. Elle s'accompagnait au tambourin, nous interprétant des chansons qu'elle avait composées, une, entre autres, sur ses parents, qui tirait des larmes à sa mère. Tout se passait au vu et au su de sa famille. L'ambiance semblait bon enfant mais le sens des réflexions en arabe bien sûr nous échappait.

Les deux jeunes, bien entendu s'isolaient dès qu'ils le pouvaient. Au cours d'une virée-pique-nique que nous fîmes sur la côte, je remarquai que la jeune fille cherchait des galets (ou des coquillages ?) avec frénésie sur la plage. M'approchant, curieux, je vis qu'il s'agissait de galets, tous en forme de cœur. "Ça se précise...", ainsi que songea Madame de Maintenon lorsque Louis XIV, qui la courtisait depuis un moment, la coinça dans un angle, son chibre à la main...

La perspective d'avoir une jolie fille de mon pays pour belle-fille ne me gênerait pas du tout, et Margotte non plus. Je dirais même que les mariages mixtes sont LA solution à tous les problèmes de racisme. Mais un couple, c'est un minimum de vision du monde en commun et la religion, en l'occurrence, n'a jamais été la tasse de thé de notre fils. Il pourrait changer, bien sûr, et il aurait fallu qu'il change, c'est la loi algérienne, pour pousser jusqu'au bout cette amourette.

Car si un algérien musulman peut, sans trop de problèmes, épouser une non-musulmane (catholique ou israélite), un non-musulman ne peut pas épouser une musulmane (sauf à ce qu'elle s'exile et coupe tous les ponts avec sa famille) sans se convertir à l'Islam. Il faut reconnaitre que c'est pas compliqué de se convertir à l'Islam : la circoncision n'est pas obligatoire et il y a une prière à savoir par cœur. Il y a même un site où on peut se convertir en ligne, on arrête pas le progrès. Mais bon.

Je vous rassure tout de suite, mon garçon a su se tenir, nous n'avons pas été lynchés par une horde de mahométans vengeurs de vierges, je suis toujours en bons termes avec les parents et à l'heure qu'il est, deux ans plus tard, la donzelle a fini par trouver babouche à son pied, avec un brave gars de par chez elle.

Je suis heureux pour eux, vous pouvez pas vous imaginer à quel point !