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mardi 6 novembre 2012

AndiamoLe machairodus

Gaston Coutard était un homme comblé, grand, costaud : un vrai baroudeur, ce Gaston !

Il occupait en cette année 2764 une place fort enviée : il était conservateur du grand parc animalier et paléontologique de la région de Mende. Un poste fort honorifique et lucratif, qui n’était toutefois pas sans danger car il était chargé d’approvisionner le dit parc en espèces animalières disparues depuis fort longtemps.

Certes il n’était pas question de rapporter un tyrannosaure ou un vélociraptor, c’était bon pour des scénarios de vieux films comme « Jurassic Park » qu’il avait vu à la cinémathèque, sur un vieil écran, et même pas en 3D !

Sa mission consistait cette fois-ci à rapporter un machairodus ou « dents de sabre », ce grand félin encore appelé « smilodon » et qui vivait il y a environ dix millions d’années, une période appelée Eocène (merci Wikipedia).

Comment rapporter de telles espèces ? Cela était devenu assez aisé, car depuis de très nombreuses années, les voyages spatio-temporels étaient monnaie courante, grâce à la superbe invention du professeur Trougnard, améliorée et peaufinée certes.

Assisté du jeune Emile Lambris, en stage de formation, Gaston pris place dans le rétro-taxi. Bien calé dans le fauteuil en skaï, il s’activa sur le clavier de l’ordinateur de bord, entrant les coordonnées qui devaient les propulser dix millions d’années avant notre ère !

Une cage avait été aménagée dans le compartiment inférieur de l’engin, afin d’abriter les animaux capturés, un treuil fixé dans le fond de la cage permettait de hisser les animaux endormis à bord.

Bien entendu, chacun des valeureux aventuriers était muni d’un fusil à fléchettes anesthésiantes, aussi discret qu’efficace.

Inutile de changer le jour et le mois, le 30 juin ferait largement l’affaire. Toutefois, en ce qui concernait l’année, Gaston entra : - 10 000 000, puis il appuya sur la touche « ENTER ».

ZZZZWIPPP ! Le rétro-taxi devint transparent, nos deux explorateurs aussi, ce qui permis au jeune Emile de s’apercevoir que son boss avait bouffé des spaghetti bolognese au cours de son dernier repas !

ZZZWAPPP ! Le rétro-taxi retrouva sa forme et sa consistance, le voyage était terminé.

Gaston Coutard ouvrit prudemment la porte. Une savane s’étendait à perte de vue. Une dizaine de ce que nous appellerions plus tard des antilopes se désaltéraient dans un marigot, alors il sortit ses jumelles prismatiques et scruta les alentours…

Soudain, il les vit. Cinq machairodus, un mâle et son harem, debout, humant l’air du soir en direction de la mare. « Nous allons nous approcher », déclara Gaston à son jeune aide. Le rétro-taxi était capable, grâce à un moteur atomique, de se déplacer dans le plus grand silence, en évoluant à quelques centimètres du sol. Un système anti-gravitationnel du dernier cri lui assurait cette capacité supplémentaire.

Immobiles, bien à l’abri dans leur engin, Gaston et Emile attendaient. Ils savaient que très rapidement, profitant de l’inattention passagère des antilopes trop occupées à étancher leur soif, les machairodus attaqueraient. Ils chassaient en groupe, encerclant leurs victimes, puis, superbe et généreux, lorsque les femelles avaient fait le travail d’approche, impérial et silencieux, le mâle portait l’estocade, détalant à toute vitesse, ses deux-cent cinquante kilos de muscles s’abattant sur les reins de sa pauvre victime, tandis que ses longues canines se plantaient dans la jugulaire de la pauvre bête…

Mais enfin il faut bien que tout le monde mange, murmura Emile Lambris tout ému à l’idée d’assister à sa première chasse de machairodus.

Tout se déroula comme prévu, une jolie antilope alla mordre la poussière, le mâle avait planté ses crocs et rien ne lui ferait lâcher prise. Un peu à l’écart une femelle gardait les petits de la « tribu ».

- Celle-ci ! s’écria Gaston la désignant du doigt.

Lentement, le rétro-taxi se mit en route, le vent leur venait de face, si bien que la femelle ne pouvait les sentir.

Quand ils furent à distance convenable, Gaston se tournant vers son jeune collègue lui dit :

- A toi l’honneur, Emile, ne la rate pas !

Emile épaula, bloqua sa respiration, une goutte de sueur dégoulina le long de son cou, il pressa la détente….

Un petit claquement sec, la fléchette se planta dans le flanc de l’animal qui se retourna en direction des deux hommes.

Lentement la femelle avançait, retroussant ses babines, dévoilant davantage ses canines démesurées. A quelques mètres du rétro-taxi, elle vacilla, émis un énorme bâillement, puis s’affaissa d’un coup, levant un petit nuage de poussière.

Alors, très rapidement, Gaston et Emile sortirent, enveloppèrent l’animal dans un filet, puis remontèrent dans leur engin, Gaston actionna le treuil tandis qu’il voyait la meute venir à grand train vers eux.

La trappe eût juste le temps de se refermer, le mâle était déjà contre le flanc de l’appareil, humant celui-ci, et cherchant à ouvrir la porte avec sa puissante patte munie de griffes redoutables !

Un peu fébrile et suant la peur par tous ses pores, Gaston tapa sur le clavier la date du retour, il enfonça la touche « ENTER »…

ZZZZWIPPP !… L’engin devint transparent, les spaghetti bolognese étaient toujours là !

ZZZZWAPPP !… L’engin réapparu, tangua dangereusement, puis se coucha sur le côté. Le choc fit ouvrir la trappe. Réveillée, la femelle machairodus, déchira le filet, puis détala !

- Bordel à cul de nom de Dieu de fumier d’lapin ! s’écria Gaston Coutard, qu’est-ce qui s’est passé ? On devait émerger sur une place bien plane, pavée de jolis carreaux roses et gris, et au lieu de ça je suis sur un terrain caillouteux, planté de buissons ! Evidemment, ça n’est pas stable, bordel !

- PA… PA…

- Toi, Ducon, ne m’appelle pas Papa !

- C’est pas ce que j’ai voulu dire patron, regardez : vous vous êtes planté, vous avez programmé 1764 au lieu de 2764 !

- Merde !

C’est tout ce que Gaston trouva à répondre.


Le 30 juin 1764, commença en pays de Gévaudan, le plus horrible carnage qu'aucune bête n'avait commis jusque là !... La bête aurait fait entre 88 et 124 victimes selon les sources. Le Roi Louis XV lui-même s'en ému et envoya une compagnie de Dragons afin de venir à bout de la bête... En vain !

(ch'tiot crobard Andiamo)

samedi 3 novembre 2012

Saoul-FifreMonsieur Ricard

Non pas Paul, rien à voir avec Paul, le célèbre peintre monochrome obsédé par le jaune à tel point qu'il popularisa une boisson pouvant vous foutre une jaunisse, ou plus précisément un ictère à bilirubine conjugué plus communément appelé "cirrhose"

Bon vous avez été sages, on a pas reçu plus de 20 spamms cette semaine, les trolls on a carrément oublié ce que c'était, allez hop, une petite gâterie (en tout bien tout honneur ho mon dieu qu'alliez-vous imaginer ?) par l'inoubliable Annie Cordy oui j'aime les artistes qui mettent leurs couilles sur la table et qui posent les vraies questions : pourquoi ce surnom de "six roses" ? Les exégètes les plus bourrés de compétences s'en arrachent encore les cheveux des années plus tard.

Non, le mien, de Ricard, s'appelait Arsène. C'était le dernier forgeron-réparateur de machines agricoles du coin et maintenant qu'il est mort on en a plus. Voilà mon billet est fini.

Snif Vé malgré mon chagrin je vais vous en dire un peu plus. Ricard c'était la terreur du monde agricole, il se mettait en pétard pour un rien, te collait un pain sur le tarbouif pour un mot de trop ou te lançait carrément à la figure le marteau-à-frapper-devant, enfin tout ce qui lui tombait sous la main au moment où il éprouvait un besoin urgent de te balancer quelque chose dessus. Valait mieux avoir un certain niveau dans l'art de l'esquive.

Alors les péquenots avaient pris l'habitude de lui envoyer leur femmes, espérant un peu plus de retenue et de respect devant des corps de mères. Erreur, grossière erreur car son imago maternelle était pourrave au dernier degré, je l'appris par la suite.

Et bien je ne suis pas peu fier d'avoir apprivoisé la brute, jusqu'à ce qu'on devienne, je ne sais pas si, avec une différence d'age entre nous de plus de 45 ans on peut utiliser ce mot, mais oui : amis. Déjà il était hyper compétent dans son boulot, m'a appris plein de ses secrets, j'avais une admiration palpable, palpitante pour lui.

Et puis il avait une histoire et j'adore les histoires qui trouvent leur dénouement par le haut, quels que soient les écueils et les vents contraires. Orphelin de père très jeune, sa mère se remaria assez vite et la relation du jeune Arsène avec son beau-père devint vite catastrophique. Le petit ayant du caractère (déjà !) la vie du foyer devint explosive et Ricard ne trouva que la fugue comme solution. Dix, onze ans peut-être... Il marcha, chaparda, dormit où il pouvait et un jour qu'il vagabondait dans une rue de Mallemort, il se fixa, fasciné, dans la position du chien d'arrêt, devant la porte d'un hangar à l'intérieur duquel un grand feu fouettait ses ombres et ses lumières mouvantes autour d'un bonhomme habillé de cuir qui cognait, se démenait, faisait vibrer la tôle, résonner l'acier à grands coups de marteau. Il resta là toute la journée, silencieux devant ces mystères qui le dépassaient, les énergies en jeu sans doute en affinité avec sa propre violence et avec sa colère, les yeux écarquillés. Le soir il était toujours dans la même position, hypnotisé, il venait de rencontrer sa vocation.

Le forgeron ferma son atelier et, ému par ce petit bout d'chou taciturne, le ramena manger et dormir chez lui. Les jours suivants, Ricard suivit son nouveau patron à la forge, balaya, surveilla le feu, courut chercher les pièces demandées et le forgeron, de son côté, se renseigna discrètement auprès de la maréchaussée sur l'identité de son fugueur, fit le voyage à Salon et proposa à la mère de prendre Arsène en apprentissage, ce qui fut fait, et qui arrangea tout le monde. De ce temps-là, Arsène fit une croix bien épaisse et bien opaque sur sa mère et son beau-père, il ne les a même pas invités à son mariage. Il finit sa formation chez son maitre providentiel, puis se mit à son compte après l'intermède du service militaire et de la guerre où on l'avait mis à ferrer "les mulets méchants" dont les autres maréchaux-ferrant ne voulaient pas. Puis il se maria avec une "Première rosière" de Salon-de-provence (l'équivalent de nos miss actuelles) dont la devanture avantageuse était une publicité vivante pour son corps de métier puisqu'elle livrait le lait cru fraichement trait, de porte en porte, avec son charreton plein de bidons.

Autant Arsène avait détesté sa mère, autant il a adoré sa femme qui était très gaie et qui savait le prendre par le bon bout.

Et puis vint le jour de ce coup de fil pour le moins inattendu :

- Vous êtes bien Arsène Ricard, votre mère s'appelle bien unetelle, née en ... ? Elle est à l'hôpital, elle n'a aucun revenu, en raison de l'obligation légale alimentaire due par les enfants aux parents, nous vous envoyons la facture...

Et voilà comment, à 75 ans, on se retrouve contraint d'héberger sa génitrice. Si Arsène avait tenté d'effacer sa mère de sa mémoire, de son histoire, de son amour, sa mère, elle, avait parfaitement réussi. L'infirmière a domicile lui dit :

- Vous avez vu comme votre fils est gentil ? Il vous a pris chez lui, il vous relève quand vous tombez, il vous porte...

Et la mère qui répond :

- J'ai pas d'fils, j'ai jamais eu d'fils !!!

La gueule que tirait l'Arsène !

Il a quand même fallu qu'ils se la coltinent quatre ou cinq ans, la grabataire, vu qu'elle s'est accrochée à la respiration jusqu'à presque cent ans. Madame Ricard bru est morte l'année suivante, sans doute épuisée par cet effort, c'était quand même elle qui supportait ses jérémiades en direct live à la maison ?

Le coup de Jarnac de la mère prodigue qui rapplique en fin de vie, la perte de sa femme qu'il adorait, Arsène a pas tenu le choc beaucoup plus que six mois et pourtant il était en pleine forme, il a travaillé jusqu'au dernier jour, on a essayé de lui changer les idées, de l'inviter à la maison, avec les gosses c'était toujours très gai, mais non, il s'est vraiment laissé mourir de chagrin.

Il m'avait dit :

Ya ma femme qui m'attend dans notre caveau, à Salon. Notre caveau, tu peux pas te tromper, c'est le seul qui n'a pas de croix !

Ah oui, ça me revient : sa mère l'avait mis en pension chez les sœurs, pour pouvoir faire sa vie tranquille...

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