Pour les retardataires, la phase 1 se trouve ici.


Deuxième époque

Pour remettre les choses dans leur contexte, en 1291 :

- Les Templiers remballent leurs cartons de Saint-Jean d'Acre, vaincus par des bachi-bouzouks qui ne comprenaient pas l'utilité de transférer en occident l'argent et les trésors dont ils ne faisaient rien et qui rendaient de si grands services à Philippe le Bel.

- Deux décennies plus tard, Phiphi IV, qui ne tenait pas son surnom de sa grandeur d'âme, fait massacrer ses créanciers pour solde de tous compte.

- Les femmes de la noblesse peuvent, encore pour deux siècles, gérer leur propre patrimoine.

- Les curetons intégristes doivent encore attendre 250 ans avant le triomphe de l'obscurantisme crétin.

- Ceux qui deviendront les Suisses ne sont, à conditions sociales identiques, ni plus futés, ni plus instruits que la moyenne de leurs contemporains. Tout au plus sont-ils moins manipulables par un clergé qui peine à grimper à pédibus dans les montagnes escarpées.



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Si tu envisages d'aller sermonner le curé dans les hauts de la commune de Bagnes, c’en est un sacré ; d'autant plus que c'est hasardeux de vouloir se désaltérer au Fendant.

Il faut donc voir la participation politique des habitants comme un phénomène progressif et sans s'illusionner sur les taux de participation non plus. Les habitants de chaque hameau devaient déjà s'organiser entre eux pour entretenir les chemins et les sources. Tous les chemins menant ailleurs, ils ont du aussi le faire par village, par vallée, puis par groupe de vallées. Ce qui est remarquable c'est que les élites n'ont pas pu ou voulu (tracer la mention inutile) spolier le pouvoir du peuple.

Nous en étions donc restés en 1291 et à ces trois cantons (Uri, Schwyz et Unterwald) qui formèrent la Suisse primitive autour du lac des quatre cantons.

Bien justement, le quatrième ne va pas tarder à rappliquer. En 1332, Luzern (qui n’a rien à voir avec l’herbe à vache) se radine : « Salut les potes, il parait qu’on s’éclate un max par chez vous, que le bailli Gessler s’est fait la malle à cause de Guillaume Tell et que même c’est notre héros préféré…. On peut entrer ? »

Le physionomiste a du lui trouver une bonne tête car ce fut le premier lac entièrement suisse. Tu sais ce que c’est, plus il y a de monde, plus on rit, et plus ça attire des nouveaux.
Avant même que les Habsbourg reconnaisse la supériorité des Waldstättens sur ce qui deviendra bien plus tard la race ariano-autrichienne, ils se retrouvent à huit à taper sur tout ce qui bouge autour d’eux et faire ripaille avec l’argent de la dîme aux Habsbourg qu’ils ne paient plus…
Les soldats suisses étaient si réputés (et les débouchés économiques en Suisse si minces) qu’il y avait des mercenaires suisses dans toutes les armées. Dans le même temps, la Suisse guerroyait pour son compte un peu partout autour de ses frontières, volant, entre-autres, le Pays de Vaud au Comte de Savoie qui fut obligé de quitter son fief de Chillon.



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La transhumance estivale vers le sud les avait amenés à porter la bonne parole rheum... à annexer des territoires en Italie du nord, avec de jolis succès.
Puis ce fut le clash, énorme, gigantesque, grotesque même :

Marignan…

François 1er, alliés aux Vénitiens, envoie ses mercenaires suisses combattre les armées du même bois, de son côté il résista héroïquement à une furieuse envie de gloire posthume en se coltant directement avec les brutes helvètes. En bon stratège, il s'était occupé de l'intendance pour l'état-major et des relations avec la presse. (Ce qui me fait penser qu'en 40 de Gaulle devait bien connaître cette période historique...)
Marignan ne fut pas la victoire de François 1er, mais la défaite de la Suisse contre des Suisses. Bref, une guerre fratricide. Donc pas de quoi se hausser le col par dessus la fraise...
Il restera donc à François 1er la gloire d'avoir rapporté la Joconde en France, dans les valises de son créateur. Et pour les Suisses, une interdiction du mercenariat à l'exception de la garde papale et de celle du roi de France. (Pour cette dernière, la prise de Versailles par la révolution marqua son point d'orgue, puisqu'elle y fut massacrée jusqu'au dernier soldat plutôt que de se rendre.)

Ces digressions historiques étant là pour expliquer que tant et aussi longtemps que les cantons suisses restaient de petites unités, on pouvait continuer d’aller sur la place pour voter, le bras droit levé et la main gauche sur le pommeau de l’épée. Comme ce ne fut plus toujours le cas, il fallut de nouvelles solutions.

Des petits malins décidèrent qu’on pourrait élire un représentant pour tout un groupe de votants. Mais méfiants, les citoyens ont rétorqué que c’est bien beau c’t’histoire, mais comment je fais si tu ne votes pas ce que tu as dit que tu ferais et que je suis pas content ? Je prends mon épée et je te coupe en deux ? (Je te rappelle qu’on en était resté aux fiers soldats invincibles (sauf par eux-mêmes)).
Déjà à l’époque la Suisse était un pays de compromis (que ne ferait-on pour sauver son intégrité corporelle). Il fut donc décidé que si une loi ne convenait pas à la population, celle-ci pourrait s’y opposer dans une votation populaire. Ainsi est née l'idée de référendum.
Oui, parce qu’en Suisse, « référendum » ça ne veut pas dire « plébiscite ».
Ce n’est pas non plus le gouvernement qui décide qu’il y aura un référendum, car ça n’a aucun sens et aucun effet réel sur la vie politique, hormis de vexer à mort le vacher de la France ( Ben oui, n'avait-il pas dit « Tous des veaux?...)
Dans cette perspective et dans le royaume électif de la France post-gaullienne, le sort final du référendum sur le traité européen est une gifle cinglante pour le mot démocratie et une insulte faite au peuple.
Ben tu vois, l’ex-fier-guerrier-suisse n’admettrait jamais qu’un politocard se foute pareillement de sa gueule... Et il ne le pourrait pas.

La naissance particulière de cette nation fait que son organisation politique est inverse à la France. En Suisse, le chef suprême est le citoyen et l’unité politique est la Commune. Par soucis d’efficacité et de cohérence, elle délègue une partie de son pouvoir aux cantons, qui eux, en délèguent aussi une partie à la Confédération pour les mêmes raisons.

Si, par exemple, tu prends l’école :



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Physiquement, rien ne peut distinguer un collège suisse d'un français, et pourtant, rien n'est pareil.

Elle est communale jusqu’au bout du pupitre. C’est la commune qui paie ses instituteurs. Par soucis de cohérence, elle a délégué à son canton l’organisation des programmes scolaires, mais c’est la commission scolaire communale qui les avalise, qui choisit le matériel scolaire, qui choisit et engage son personnel et qui décide des dates des vacances. (Actuellement une pure formalité, puisqu’elles sont coordonnées sur le plan cantonal.)

Les programmes scolaires sont toujours cantonaux, même si la conférence des chefs de l'instruction publique tente de les harmoniser. Organisée ainsi, l’école publique n’est pas un enjeu politique possible (et j’en connais beaucoup qui aimeraient bien voir ça en France….).

- La commission scolaire, c’est quoi ça ?
- Bonne question, merci de l’avoir posée comme disait l’autre.

La commission scolaire primaire (par exemple) gère la ou les écoles des cinq premiers degrés (autre particularité de l'école suisse, elle est évolutive jusque dans la numérotation des degrés qui commence par le commencement. Un élève de première commence sa scolarité au lieu de la terminer.. difficile à croire, hein!).
Elle est élue par le législatif communal et elle est formée d’adultes quelles que soient leurs nationalités. C’est elle qui gère l’école et qui engage les instits.
Voila pourquoi, en Suisse, l’école ne peut pas être l’otage de la politique. Même le maire ne peut aller à l’encontre de la commission scolaire…

L’élaboration d’une loi est chose complexe en Suisse et fera l’objet d’un prochain billet, car il faut peut-être commencer par la représentativité des élus….
Dans ses péchés de jeunesse, la Suisse est aussi passée par le scrutin majoritaire. Il en reste encore des traces. Progressivement, des citoyens ont pris conscience qu’il y avait un os. Un problème mathématique.

Faut dire que les Suisses savent compter….
Quelle est la légitimité d’un élu au scrutin majoritaire dans un pays qui a 20% de population étrangère, dont seuls les hommes adultes (env. 35% de la population) votent avec une abstention de 50% et que le mieux placé des élus n’obtient que 40 % des voix ?

Toutes les réponses sont permises si elles se situent entre « Inexistante » et « Nulle à chier ».

Traduite dans les chiffres, ça donne : 100 x 0,8 x 0,35 x 0,5 x 0,4 = 5,6% Avec le vote de femmes, un peu moins de 12%.

Comment faire pour augmenter cette représentativité ?

1° le vote des étrangers. Ce droit est acquis dans pas mal de cantons et de communes, mais il concerne les scrutins locaux, cette disposition n'est donc pas uniforme, car elle dépend du taux d’arriération des populations indigènes.

2° Le vote des femmes, acquis tardivement par des votations populaires faites dans la douleur, parce que l’ex-fier-guerrier helvète est assez long à la détente…. En plus que de Gaulle n'ayant jamais eu droit au Chapitre en Suisse, les femmes n'eurent pas le droit de vote pour couper les ailes du PCF...

3° Certains cantons avaient introduits le vote obligatoire. Largement abandonné depuis, puisque la perception des amendes coûtait plus cher que les recettes. (Ben oui, je t’ai dit que les Suisses savent compter…)

4° Avec le scrutin à la proportionnelle intégrale. Un parti qui obtient 30% des votes exprimés obtient 30% des sièges, point à la ligne. Hormis dans quelques cantons ultraconservateurs, aucun parti ne peut gouverner seul.

Par soucis de ne pas déconnecter les politiciens de la vie civile, communes, cantons ou confédération, aucun élu d’un quelconque législatif ne peut être professionnel. Seuls les exécutifs peuvent l'être.

Ce qui nous amènera à étudier la culture du compromis avec l’élaboration d’une loi.


A suivre.