Bravo à Mamascha
J'espérais vous retenir quelques jours avec cette énigme, mais bon... Je suis passé en mode urgence et je vous passe directos à la suite du billet.

Ce Sidi, je ne pensais pas que cette photo si caractéristique de Thiers puisse échapper à l’Auvergnate blogborienne, et pourtant….

Que je vous explique le pourquoi du comment que la chose s'est faite :

Je suis un laborieux du clavier. Je ne torche pas un billet en deux coups de cuillère à pot. Le calembour improvisé, ça se prépare, ça se fignole, ça s’aiguise et se poli comme la lame d’un couteau thiernois. Donc nous y voilà en plein dans le cœur du sujet, mais en laissant l’opinel au vestiaire. Il me fallait donc du temps pour élaborer le billet, d’où cet énigme en préambule. Avis à tous les ceusses qui considéraient que je l’ai joué faignasse, je ne voudrais pas être un vilain rapporteur, mais juste rappeler qu’un jour Saoul-Fifre s’est fendu d’un billet de quatre lignes à propos d’Epictète. NA !

Pour couper court :
Thiers est la capitale française de la coutellerie depuis six siècles. Je vais laisser de côté la fabrication automatisée des usines modernes pour vous parler des prémisses de la période industrielle. Ce temps où l’homme s’est associé à la force hydraulique pour s’épargner, pensait-il, des efforts, alors qu’il s’agissait juste de pouvoir produire plus. C’est pas d’hier qu’on se fait baiser par les patrons…

Si maintenant on découpe au laser la lame dans une tôle d’acier INOX, il fut un temps où le bas-fourneau nous sortait une crotte d’un amalgame ferreux qu’il fallait purifier en le martelant pour éliminer les scories. Le fer ainsi obtenu était trop tendre. Il s’agissait alors de lui incorporer du carbone. Disons qu’au départ, les forgerons ne savaient pas qu’ils incorporaient du carbone dans le fer. Ils avaient juste remarqué que lorsqu’ils chauffaient le fer sur un feu de charbon, le fer devenait plus dur qu’avec un feu de bois. Donc, tel Monsieur Jourdain, les forgerons d’alors fabriquaient de l’acier sans le savoir.


Le XVème siècle découvre la force hydraulique et la roue à aubes. Le premier moteur est né et rapidement, il est associé à un système de marteau à came pour remplacer les biceps. Le travail de l’acier devient moins difficile et surtout plus rapide. Pour l’affinage des lames de faux, les martinets tapaient à la cadence infernale de plusieurs coups à la seconde… impossible à réaliser a la main. Donc, nous sommes passé de la crotte en amalgame ferreux au lingot d’acier. Il faut encore amincir ce lingot et lui donner la bonne forme. Tout ça sur les martinets hydrauliques. En alternant les périodes de chauffe dans le foyer avec le passage au martinet, on poursuit la frappe en amincissant un bord de la future lame. La section forme maintenant un triangle. Si le forgeron a bien travaillé, la teneur en carbone de cette lame d’acier est bien dosée. Assez pour que la lame soit dure et pas trop pour qu’elle ne casse pas à la moindre torsion. Passe alors l’opération d’aiguisage sur une meule à eau afin que la lame ne chauffe pas.



Dans une usine équipée de la force hydraulique, la manivelle de la meule est remplacée par une poulie et une courroie. La cuve sous la pierre est remplie d’eau. Ces meules tournent à très basse vitesse, la lame ne chauffe jamais. Ce type de meule existe toujours chez les rémouleurs.

Lorsqu’on affûte une lame, il se forme toujours un fil devant le tranchant. C’est une opération délicate de casser ce fil. Aujourd’hui, c’est avec une pierre (corindon) huilée. A l’époque, c’était sur une pierre arrosée en permanence d’eau claire. (il fallait éliminer au fur et à mesure les particules de métal qui se détachaient de la lame.)

Je n'ai pas retrouvé une mention de cette opération. C'est une amoureuse de Thiers et de son passé qui m'a relaté les détails des conditions de travail pour cette dernière opération, avant de monter le manche sur la lame. Au moins pour un temps, cette opération était de loin la plus inhumaine. L’eau coulait dans un caniveau, au sol, noyant les pierres d’ébarbage. Les ouvriers travaillaient couchés sur le ventre, les mains continuellement dans la flotte. Mais le plus difficile c’était pour les jambes, totalement inactives, elles se refroidissaient très vite. Pour remédier à ça, ces ouvriers venaient au turbin avec leur chien qui se couchait sur les jambes du maître pour les réchauffer et pour faire contrepoids. Françoise m'a trouvé un document pour illustrer cette opération.


Je vous invite à visiter le site proposé par Françoise.

C’était comme souvent, le travail le plus délicat et le plus difficile. Ce sont ces ouvriers qui faisaient la renommée de la coutellerie. Car si le fil est mal enlevé et la lame s’émousse très rapidement.

Pour toutes ses opérations, il fallait être près de l’eau, d’une eau vive, violente même. C’est pourquoi les coutelleries de Thiers se sont établies dans les Gorges de la Durolle, en limite de la ville ancienne. Cet endroit est appelé le Creux de l’Enfer et je crois bien que c’est à cause des conditions de travail et non pour sa vision parfois apocalyptique…

Quelques photos du Creux de l’Enfer :

Victimes de la guerre ou de la guerre des prix ?


Une friche a été réhabilitée en musée de l'art moderne. On peut douter du bon goût d'avoir mis pour enseigne un cage en fer dans un lieu et pour un musée qui s'appellent "le Creux de l'Enfer"


Autres friches réhabilitées :


La ville ancienne dont la beauté s’est quelque peu émoussée, comme le tranchant d’une lame trop vieille. Thiers est bâtie sur une colline abrupte. Les dénivelés sont impressionnants et les jours de verglas doivent être épiques. Il n'y a pratiquement pas de rues qui ne montent pas (à part celles qui descendent)

Maisons médiévales


Le palace de Dieu


Et l’officine du banquier


Le logement du personnel... de direction, j'me disais aussi !


Petite usine post-hydraulique ou un artisan qui a su tirer son épingle du jeu ? Quoi qu'il en soit, un logement aussi grand que les ateliers, c'est rare....


Blutch