Autrefois, il y a longtemps, et c'est si loin, mais je m'en souviens comme si c'était hier.

La rentrée se faisait le 1er octobre, après deux mois et demi de grandes vacances... Point de mixité à l'époque tu penses : d'un côté les filles, de l'autre les garçons !

Dans la cour ceinte des murs de classes tout gris, déjà les feuilles des catalpas jonchaient le sol, et cet arbre nous offrait de jolis "casse-têtes". Mais oui tu sais ces grands trucs durs (là j'en vois qui se marrent) qui ressemblent à des haricots verts ! Et bien c'est le "fruit" du catalpa, un don du ciel, les bagarres à coups de casse-têtes, nous étions les Sioux défendant leur peau contre les Yankees.

Dans cette cour nous retrouvions les copains de l'année précédente, à l'époque à l'école nous nous appelions par notre patronyme, et non par le prénom, les instits aussi nous appelaient par notre nom, lui c'était M'sieur ou M'dame si c'était une Dame bien entendu.

Je n'aimais pas la rentrée, je n'aimais pas l'école d'une façon générale ! Pas plus que le caté ou le patronage, fusse t-il curé ou laïque, je préfèrais la rue et mes copains, ceux avec les genoux cagneux, et des lance pierres dans les poches, ceux avec des billes, et des pauvres colts de cow-boys faits de bric et de broc, des traîneaux avec quatre roulements à billes en guise de roues (pas des Timken, les roulements), enfin la vraie vie, celle de l'immédiat après guerre (la seconde bande de nazes, je vous vois venir).

J'en ai noirci des pages de :"je ne dois pas bavarder en classe", "je ne dois pas apporter de billes en classe" quand par malheur en tirant un tire moelle de ma glaude, je faisais tomber la bille qui me vaudrait la crampe de l'écrivain ! Et les potes qui s'esclaffaient...

Dans la cour on s'inquiétait : "tu crois Martin qu'on aura le père Patard ? C'est une peau d'vache ! Ou la mère Brindille quelle fumelarde ! J'aimerais bien avoir M'sieur Duglot il est gentil...

Le dirlo sifflait la rentrée des classes, silence religieux, t'avais pas intérêt à moufter ! Tous alignés dans la cour il énonçait les noms des élèves, ainsi que l'instit qu'ils auraient à supporter durant une longue, longue année.

Nous rentrions en rang par deux, avant d'entrer on prenait "les distances", un bras tendu nous séparait du pote de devant, un autre bras à gauche pour celui d'à côté ! Ben oui je vous vois écarquiller les gobilles, ça rigolait pas à l'époque.

En entrant, on restait debout, bousculade afin de se placer à côté de son pote, des équipes se formaient,je n'aimais pas trop "le calcul" alors je me collais près d'un costaud en divisions, et je lui permettais de copier ma dictée, OH ! Je n'étais pas un foudre, mais je n'étais pas trop mauvais, il y avait pire !

Enfin l'instit nous demandait de nous asseoir, puis c'était la leçon de morale, suivie d'un commentaire que nous devions écrire juste sous la date du jour.

Immanquablement le premier jour de la rentrée nous avions une dictée... Toujours la même ! Un extrait d'un texte d'Anatole France : "Le livre de mon ami", l'extrait s'appelle LA RENTREE.

Je vais vous dire ce que me rappellent, tous les ans, le ciel agité de l'automne et les feuilles qui jaunissent dans les arbres qui frissonnent, je vais vous dire ce que je vois quand je traverse le Luxembourg dans les premiers jours d'octobre, alors qu'il est un peu triste et plus beau que jamais, car c'est le temps où les feuilles tombent une à une sur les blanches épaules des statues. Ce que je vois dans ce jardin, c'est un petit bonhomme qui, les mains dans ses poches et sa gibecière au dos, s'en va au collège en sautillant comme un oiseau. Ma pensée seule le voit, car ce petit bonhomme est une ombre : c'est l'ombre du moi que j'étais il y a vingt cinq ans.

Voyez vous Anatole France était né en 1844, vraisemblablement il traversait le jardin du Luxembourg étant enfant vers 1854 soit 95 ans avant moi ! Et bien nos rentrées des classes n'étaient sans doute pas très différentes à près d'un siècle d'écart ! Aujourd'hui entre mes enfants et leur rentrée, et les minots d'aujourd'hui, il y a un monde ! Et pourtant seulement 34 ans les séparent.

Cherchez bien je suis sur le Daguerréotype !

Petite remarque : sur cette photo nous sommes 41, et il y avait des absents !