Allez, je reviens vous raconter des bribes de ma vie passionnante. Ma boite mail étant saturée de commandes pour le produit "La vraie vie", faut peut-être que je les transmette au service "Livraisons". Mais on va lisser les expéditions, hein, trop d'un coup, le service "Production" risque de ne pas suivre, ça va pas fort en ce moment, machines obsolètes, grèves à répétition, départs en retraite massifs, bugs informatiques intempestifs, la rentabilité n'est pas au top, moi je vous le dis et c'est pas la peine de leur mettre la pression, ils s'aplatissent et pis c'est tout.

Hier la belle-doche est revenue de la clinique, ça c'est plutôt une info pour Anne. Anne ? C'est une de nos fidèles commentatrices. Oui bon je vous parle d'un temps que les moins de trente mille ans ne peuvent pas connaitre, on peut pas dire que nos réponses à ses interventions actuelles nous bouffent trop de temps de loisir mais c'est une ancienne et puis elle a un espion, le bon Bof, qui la prévient dès qu'on tape ici le mot "chèvre" et là elle rapplique illico, assimilez cette attitude zarbi à de la formation professionnelle continue, en gros.

Donc Ma'ame Denise se fait ramener au château (en ruine) par le carrosse (l'ambulance) et princesse Margotte m'envoie au burg, muni des derniers parchemins de son mire, pour l'approvisionnement en onguents et décoctions diverses, chez la pote Hicaire. Je dis la pote car un large sourire éclaire son visage à chacune de mes entrées dans son officine, on est dans son trombinoscope des bons clients.

J'aime pas les pharmaciens. Et je déteste aller dans une pharmacie. Margotte le sait très bien et si elle m'y envoie quand même, je suppose que c'est dans un but thérapeutique, pour me faire "travailler" sur cette obsession peu constructive en espérant qu'un jour elle se débloque ? Je n'envisage aucune autre explication. Non ? Vous croyez vraiment qu'elle me demande d'y aller par pur vice, juste pour me faire chier

Rhoooooo laaa ssaaa looo peu ...

Enfin : j'avance et sans besoin de sésame (mais ils doivent en vendre du bio dans leur espèce d'épicerie pour malades) la porte en verre s'ouvre toute seule, il faut dire que ceux qui viennent ici sont tous de grands fragiles à qui il faut éviter tout effort.

Mon nom est "sobriété" quand j'entre chez ces empoisonneurs légaux. Je tends les ordonnances de Denise et sa carte "Indispensable" sans prononcer un seul mot. Mais la commerçante ne l'entend point de cette oreille et m'abreuve de questions auxquelles je ne pige que pouic et me noie sous des précisions dont je n'ai rien à fiche. Elle cherche à me faire compatir à ses petits soucis d'approvisionnement, je la dévalise semble t-il, pourvu qu'elle n'appelle pas les flics, elle me parle de génériques, sans doute une cinéphile, de doses, elle en tient une bonne, c'est certain, de gratuité possible en s'attachant plus à l'esprit qu'à la lettre de l'ordonnance et là je hausse légèrement le sourcil pour l'encourager dans cette direction, conscient d'être le dépositaire momentané des intérêts de ma belle-mère.

Elle disparait longuement dans l'arrière boutique, pour se tripoter la pastille, j'imagine, et revient avec une tripotée de boites de médocs haute comme le Ventoux d'un air de dire "Voilà ce que je branlais, espèce d'obsédé..." et c'est vrai que j'en avais jamais vu autant d'un coup sur son comptoir, de boites, un quart de son stock, à vue de nez.

La belle-doche va vraiment pas bien, j'ai l'impression.

Pendant que j'attendais ma commande, une dame rentre avec un bébé. Le bébé est à califourchon sur un horrible camion en plastique flashy emmanché d'une canne que pousse la mère. Au centre du volant ya un klaxon deux tons et le bébé appuie dessus sans se lasser. Le son est insupportable, vrillant, mais pas un client ni aucun vendeur ne bronche. On est polis, c'est un gosse, on prend sur nous, on n'en pense pas moins, on zieute quand même du côté de la mère qui pourrait s'en occuper, quand même, cette grosse conasse, non mais tu crois que ton gnome va devenir Arthur Rubinstein en lui faisant écouter deux notes en boucle ???

Le gosse s'éclate vraiment à appuyer sur son bouton, nous avons affaire à un authentique sérial pousseur, il est concentré sur son étude de Sor mais une étude à deux notes, vous voyez ? Ce môme joue avec nos nerfs donc avec sa vie, l'ambiance devient crispée, on se supplie des yeux pour savoir qui va intervenir, l'emplafonner, étrangler sa mère enfin il faut absolument que l'un des deux paye pour cette torture que nous subissons.

Et puis entre deux bla-blas de ma potarde, je baisse à nouveau le regard vers le Mozart en herbe : parti, le virtuose ! Je cherche la mère, on a fini de la servir et elle est sortie elle aussi !

MAIS LE BRUIT CONTINUAIT !!!!

Alors là je peux vous dire que la parole trop longtemps contenue s'est libérée dans la pharmacie !

- Mais où il est le petit ?
- Et la mère ?
- Mais alors d'où vient ce bruit qui nous casse les oreilles depuis dix minutes ??
- Il faut absolument le faire cesser de suite ! Mais c'est dingue, ça !
- Mais je vais craquer, je supporte plus !

Et là, une dame a fouillé calmement son sac, en a sorti son portable en disant : "Oups, c'est le mien, il est nouveau et je ne suis pas encore habituée à la sonnerie..."

Le pauvre gosse appuyait effectivement sur son klaxon, je le voyais bien, il était juste à côté de moi, mais aucun son n'en sortait ...

'tain, c'est la dernière fois que Margotte m'envoie à la droguerie !