J'aime bien manger du canard (sinon je n'en élèverais pas) mais je ne les aime pas EUX. Je les aime au four, avec des rutabagas. Ça fait péter, les rutabagas, mais c'est très bon, très fin. Il nous faudrait une bonne Occupation pour réhabiliter les rutabagas. Et ceux qui les aimeraient pas, les rutabagas, on leur mettrait un bonnet d'âne marron pour les reconnaître dans la rue...

Vous pouvez leur filer à boire de l'eau propre tous les matins, aux canards, la première chose qu'ils vont faire, c'est de se ranger autour et de chier dedans. Du bucolique le plus pur. Ils la trouvent fade, l'eau. Les poules, elles arrivent après et elle tordent le bec en caquetant leur désapprobation. La poule n'est pas perverse : elle aime l'eau claire. Le canard boit tout ce qu'il mange. Sa cuisine est innommable, mais il fait la cuisine : vous lui donnez une queue d'artichaut, par exemple. Il va la tremper dans sa gamelle pleine d'eau et il reviendra la chercher quand elle sera bien pourrie, bien ramollie. Vous lui donnez du grain, ben il va venir le dégueuler dans son eau pour le réingurgiter après. Les escargots passent au mixer de leur bec, avec la coquille et tout, et puis pareil : on trempe, on mouille, et tout ce qu'on mange, on boit beaucoup d'eau pour faire passer. On ne s'étonne surtout pas d'avoir la chiasse en permanence : foie de canard, il n'y aura jamais de place sur cette terre pour un palmipède constipé ! Tout ça finissant bien sûr... dans la bassine. Et bonjour les regards vindicatifs et les égosillements furax si je veux nettoyer leur chaudron de sorcière puant comme 100 000 diables ! Ce sont des choses qui ne se font pas si l'on connaît et respecte la déontologie canard.

D'une façon périodique rapprochée, il y a embrouille chez les canards. Je n'ai jamais compris pourquoi, alors que la colère ou le désaveu de la poule sont transparents. Les canards se placent en rond et commencent à débattre en faisant de grands gestes du cou, d'avant en arrière et d'arrière en avant, en étendant les ailes, en se dandinant d'une patte sur l'autre, sur place... Il n'y a aucune agressivité précise, ce n'est pas dirigé vers quelqu'un ou quelque chose. Ils font un petit tour sur eux-mêmes, aléatoirement. On dirait une sorte de rituel gestuel, qui leur permet peut-être d'évacuer le stress de la difficulté à vivre en groupe, à supporter la hiérarchie naturelle ? En tout cas, ça couine tant que ça peut. Contre qui ? Contre quoi ? Contre la carence généralisée des postures oppositionnelles, sans doute ? Quand un couple se tourne autour, cherche à fonder quelque chose d'un peu profond, ou quand une cane s'isole pour faire son nid, une ligue se forme pour aller leur expliquer qu'ils menacent la belle homogénéité du groupe. Coups de bec, arrachage de duvet, alors que chez les poules, ces penchants naturels sont respectés même par "les jeunes cons", ces petits voyous de coqs qui débarquent la bitte sous l'aile, prête à dégainer.

J'aime pas les canards. Mais qu'est-ce qu'ils sont bons (avec des rutabagas) !

Par contre, j'aime bien aller chez les poules. La poule est comme le sac d'Hermès : triste mais juste, elle se lève et se couche avec le soleil. Le monde appartient aux poules. Inlassablement, elle gratte : sa journée n'est qu'un long repas, et pourtant elle n'a pas un gramme de cellulite. Suivez le coach ! Son secret ? Mangez par terre, le simple exercice de vous pencher brûlera vos calories excédentaires. Elle en parle à son aise, elle qui est bricolée la tête en bas et les fesses en l'air !? La poule a l'œil sélectif : vous ne lui ferez pas prendre une fourchette pour un couteau. Elle sait très bien que seul le couteau est comestible et qu'il suffit de toc-toquer pour qu'il entrouvre sa coquille. La poule a le bec incisif : elle pique les trop gros grains en leur centre pour obtenir des petits bouts pour ses poussins. Et, régulièrement, en aiguise le fil sur une pierre. Et les autres, là, pfff, avec leur cuillère à purée ?

La poule est une employée modèle sérieuse. On peut compter sur elle pour faire son métier de poule, à savoir : pondre, couver et élever ses petits. Et recommencer. Je parle des miennes, les vraies poules, les races anciennes qu'on se refile sous le manteau à l'intérieur d'un réseau d'initiés très fermé appelé "volaille-connekcheun" dont le mot de passe, cette semaine, est "sélection naturelle". Et on peut aussi compter sur mes coqs pour faire leur métier de coqs, à savoir : confesser les poules au fond de mon jardin.

On ne devrait pas dire "patience d'ange" mais "patience de poule". D'abord, même dans mon réseau, personne n'a jamais vu d'anges en vrai, ces vulgaires imitateurs de poules qui ont des ailes mais ne s'accroupissent pas et qui se collent leur œuf derrière la tête... mais surtout, je vois mal un ange rester 21 jours sur son nid en ne se levant qu'une fois par jour pour manger, boire et chier, le tout en 10 minutes ? Et quand les poussins commencent à naître, elle ne quitte PLUS DU TOUT le nid, de peur qu'on les lui pique. Elles peuvent jeûner des jours, si les naissances sont très échelonnées. Et l'ange, pendant ce temps là, il est où, vous pouvez me le dire ?

Dans le poulailler, aucun poulet n'aurait l'idée saugrenue de s'approcher d'une poule entourée de poussins. Les jeunes cons sont cons, mais pas à ce point là, quand même ? Ce sont des couillus, des obsédés sexuels, mais ils sentent confusément qu'il y a du "Basic Instinct" là dessous et ils n'ont guère envie de se faire crever les yeux ou trancher la carotide. Il y a encore tant de poulettes à baiser... Ce serait dommage... Pour elles...

Une poule qui défend ses petits est terrifiante : elle double de volume en ébouriffant ses plumes et en écartant les ailes de son corps. L'adversaire se retrouve face à Hulk la poule et fuit sans demander son reste sinon c'est l'attaque en piqué du Baron Rouge qui prend le relais. Vient l'éducation des petits. Les mille choses qu'ils auront à apprendre pour survivre. Ce qui est comestible, par exemple... Je lance du grain à la volée. La mère poule, comme on dit, fonce dessus comme un V2, glousse de surexcitation et picore frénétiquement comme un marteau-piqueur. Le touriste citadin de base se dit : "Voilà une mère bien égoïste, la voracité lui fait oublier ses petits". Mais s'il avait aiguisé son regard et affiné son ouïe, il aurait vu la poule saisir un morceau de grain au bout de son bec, LE LANCER à un de ses poussins et lui dire : "voilà la taille de grain qu'il te faut, tu ne t'étoufferas pas avec", et chaque poussin d'attendre sagement qu'elle leur distribue CE QUI SE MANGE. A eux de le mémoriser. Il faudra qu'ils apprennent aussi à se poudrer dans de la terre cendreuse, à se percher, à choisir de préférence des itinéraires couverts pour échapper aux prédateurs, avant de devenir de beaux poulets pour que je puisse inviter l'ami Jean-Luc qui sait préparer une poule au pot "d'un autre monde"...

Car j'adore la poule au pot, mais je l'aime aussi vivante, courageuse, dévouée... et surtout : pas prise de tête !

Les autres poules, les RI492, les sélectionnées, les inséminées artificieusement, qu'on élève entassées dans des univers concentrationnaires, à qui on coupe bec, ergots, ongles pour ne pas qu'elles se suicident mutuellement, celles que vous achetez parce qu'elles sont abordables, quoi, je préfère serrer les dents, ne pas trop y penser et ne pas touiller dans la plaie. Vous n'êtes pas gentils, non plus : dans une économie de marché, le consommateur a un pouvoir de nuisance fantastique : le boycott. Déjà, vous pouvez partir du principe que les nuggets et autres chickensandwiches de chez MacMickey ou Couic proviennent immanquablement de ce genre d'élevages. Et dorénavant, qu'un seul cri s'élève de vos poitrines :

boycot cotcotcot COOODDDEEETTTTT !!!