Une vraie bombe journalistique : le New York Times, dans son édition de vendredi, a publié un reportage citant un rapport d'enquête criminelle de l'armée américaine reconnaissant que plusieurs prisonniers avaient été torturés à mort en 2002.

Branle-bas de con-bas aussitôt ce scoop ahurissant révélé au grand jour : kooooââ ?!? Ce n'est dieu pas possible : les Etats-Unis ? l'axe du Bien ? des tortures ? Rôôôôôôôh !!!

Les Nations Unies sont pour le coup très colère : elles ont fait les gros yeux (les Nations Unies ont suivi des cours à l'Actors Studio) et ont jugé dimanche "totalement inacceptables" et "inexcusables" les tortures et homicides américains sur des prisonniers en Afghanistan. Bah dis donc, elles n'y vont pas avec le dos de la cuillère, les Nations Unies ! Le George WC Bouché, il va avoir bien du mal à s'en remettre !

Flash-back : reportons-nous quelques années en arrière, en 1991. Première guerre du Golfe : 18 trous par mètre carré du sol irakien. Un carnage.

Les journalistes, à l'époque, n'y voient rien à redire, et l'intervention se fait sous l'égide des Nations Unies. Non, vraiment, rien à dire, tout est clean...

D'abord, les méchants, c'est les autres qui font rien qu'à envahir le Koweït et à égorger les bébés dans les couveuses. Nous, on est les gentils tout plein. Et d'une.

Et puis on tue très proprement, par frappe chirurgicale : la bombe, une fois arrivée au sol, cherche son chemin vers sa cible (en demandant de l'aide aux passants si besoin est) puis, pensant avoir trouvé son objectif, frappe à la porte, demande poliment "je vous prie de bien vouloir m'excuser, auriez-vous l'obligeance de me confirmer que vous êtes bien un haut dignitaire du régime en place ?", et, en cas de réponse positive, répond "dans ce cas, permettez que j'explose". Boum ! Le haut dignitaire est atomisé, très proprement, sans même tacher la moquette ou les tapisseries. Pas de dégâts collatéraux donc. Une guerre propre. Et de deux.

Bref, les journaleux ont tout gobé, à l'instar d'un troupeau d'oies engraissées en prévision des fêtes de fin d'année : pas la moindre crise de foi pendant le gavage.

Ce n'est qu'après, quand les sables du désert eurent à peu près digéré les dizaines de milliers d'Irakiens envoyés au casse-pipe, quand les ruines eurent mis un patch pour arrêter de fumer, que les journalistes commencèrent à se poser des questions. "Et si nous nous étions un petit peu fait bourrer le mou ?", se demandèrent-ils tout à coup.

Ce fut alors le grand mea culpa, à celui qui s'auto-flagellerait le plus fort en hurlant : "Plus jamais ça ! Nous ne nous laisserons plus manipuler !"

Quel rapport avec les révélations du New York Times, me direz-vous ?

Bof, juste le fait que nos amis journalistes et responsables onusiens poussent des grands cris d'orfraies, s'éberluent de découvrir l'horreur de la torture, la présence de tortionnaires dans les rangs de la plus grande armée du monde, porteuse des valeurs démocratiques et fournisseuse officielle de liberté et de Coca-Cola aux peuples opprimés.

Bah oui, c'est un scoop, ça, Coco : la guerre, ça tue. La guerre, c'est moche. La guerre, c'est "tous les moyens sont bons, surtout les pires". Qui, hormis un journaliste ou un politique, peut encore imaginer qu'une guerre puisse se faire dans le respect de la convention de Genève ? Sans quelques viols systématiques de-ci, de-là ? Sans humiliation du vaincu ? Sans un chouia de torture ? Il faut bien que nos cons battants puissent se détendre un peu en donnant libre cours à leur créativité...

Bref, tout semble porter à croire que certains en sont restés à une image d'Epinal de la guerre à l'ancienne, comme celle de 1870 où les officiers capturés par l'ennemi pouvaient rentrer librement chez eux moyennant la promesse sur l'honneur de ne plus participer au combat (promesse qui était d'ailleurs scrupuleusement tenue). Evidemment, pour la piétaille de base, ce n'était pas vraiment la même chanson : ça commençait déjà à ressembler bougrement aux boucheries des guerres du XXème siècle et d'après. Mais bon, ça avait quand même de la gueule, quoi !

A moins... A moins que, loin d'être naïfs, nos amis journalistes et pontes des Nations Unies ne feignent l'indignation, parce que c'est un exercice obligé et incontournable dans un monde où la tartufferie règne en maîtresse. L'indignation outrée, un bel outil de comm' pour faire accroire que la chose est exceptionnelle et qu'hormi les quelques ballots pris la main sur la gégène, les autres soldats n'ont pas la moindre tachounette de sang sur leur bel uniforme.

Pardon ? Vous avez dit faux-culs ?

Bah, les faucons ont toujours besoin de faux-culs !