Douce, ce matin-là, plus coquette que jamais, s'était fait permanenter les piquants, afin de leur donner de fascinantes ondulations. Le petit accroche-coeur au milieu de son front la rendait plus enjôleuse et désirable que jamais.

Piki, comme toujours, la guettait, au loin, qui quittait son terrier. Et il bavait toujours autant de passion inassouvie, le coeur empulsé au zénith.

Mais le mince filet de bave se figea soudain au souffle glacé de l'horreur.

Une renarde et ses deux petits, qui passaient par là, avaient surpris Douce. Elle s'était instinctivement roulée en boule, espérant que les félidés renonceraient à faire pitance d'une hérissonne emboguée de piques à museaux.

Mais hélas, sa permanente, qui la rendait si ravissante aux yeux des autres hérissons, rendait également totalement inopérante la défense de ses piques frisées. Un renardeau la saisit dans sa gueule et commença à jouer avec cette amusante petite balle qui grognait de désespoir.

Par chance, la renarde et les renardeaux semblaient complètement rassasiés. Quelques bouts de plumes et traces de sang sur leurs babines témoignaient de la razzia qu'ils avaient dû faire dans quelque poulailler du coin. Mais la situation n'en était pas moins critique pour Douce : le moindre coup de dents un tant soit peu appuyé, et ça en serait fini pour elle.

Piki, atterré, comprit vite que c'était ici et maintenant que se jouait son destin. Il devait agir. Risquer. Sa vie pour la sauver. Peu importait : une vie sans elle ne serait qu'un ersatz de vie.

Il trotta du plus vite qu'il put, suivant la trace des renards qui lui avaient ravi sa Douce. Et il marcha, marcha, marcha longtemps : un renard avance tellement plus vite qu'un hérisson.

Par chance, le terrier de la famille renard n'était pas trop éloigné. Piki, en s'en approchant, constata avec soulagement que les renardeaux jouaient toujours avec une Douce hurlante de terreur.

Piki devint alors le preux chevalier qui part combattre pour délivrer la dame de ses pensées. Il avança, sans hésiter, sans crainte pour sa propre vie, droit sur les renardeaux.

Le premier fit un bond de surprise en glapissant de douleur quand la boule piquante, qu'il n'avait pas vu arriver, se laisser rouler sur le bas de son échine.

Le second lâcha Douce et s'approcha précautionneusement de Piki. Quand le museau du renardeau ne fut plus qu'à deux centimètres du hérisson chevalier, celui-ci, de toutes les forces de ses petites jambes, fit un petit bond suffisant pour aller endolorir les babines du renardeau, qui recula prudemment de quelques pas.

Mais déjà les deux petits fauves revenaient à la charge, en un front uni, grognant et menaçant. Ils s'approchaient prudemment de Piki, mais leur détermination à se venger des piqûres infligées semblait féroce.

Piki s'en moquait : il avait aperçu, du coin de l'oeil, Douce s'enfuir et se mettre à l'abri dans les fourrés. La savoir sauve lui donna une si grande plénitude qu'il se prépara à mourir avec indifférence, alors que deux museaux écumant de hargne se dirigeaient inexorablement vers lui.

Et il y eut un miracle : la renarde apparut à l'entrée du terrier, et glapit quelque chose à ses petits, du genre "à table !" ou "dépêchez-vous, y'a Zorro qui commence à la télé !"

Et les renardeaux, obéissants, délaissèrent subitement le hérisson emboulé pour rejoindre leur mère.

Piki, ouvrit un oeil, puis le second. Vivant, il était vivant ! Il ne s'attarda pas et se précipita sur les traces de Douce.

Celle-ci l'attendait, tapie près de là. L'or de son regard n'était plus le même : il s'était drapé de velours pour Piki.

Elle s'approcha de lui, les yeux enlarmés de buée.

"Piki, ô mon Piki, tu m'as sauvée ! Tu as risqué ta vie pour moi ! Sauras-tu me pardonner de n'avoir pas su voir plus tôt quel hérisson extraordinaire tu étais ?"

Quelle question, bien sûr que Piki pardonnait ! Elle aurait pu lui avoir fait n'importe quelle infamie, il lui aurait quand même ouvert les bras, comme il était en train de le faire.

Le premier baiser lui fit passer une décharge dans l'échine : des arcs électriques se formèrent au bout de ses piquants, qui grésillèrent la passion exaucée.

Et se tenant tendrement par la patte, ils repartirent vers le terrier de Douce. Le crépuscule embrasait le ciel de feu, comme l'amour embrasait leur coeur d'une chaleur dévorante.

Malheureusement, il se firent tous deux écraser en traversant la route nationale qui passait par là.

C'est bête, ça.