- Holà, couille mollasse d'escuyer, ayois-tu fini de caguer à ceste heure ? J'ayois dessein moultement plus grand que d'attendre qu'un gueulx fassoit la sienne merdasse sur le bord du chemyn !

Une voix émergea du fourré, qui répondait au Chevalier :

- J'en estois moultement désolé, Messyre, mays le mien transit intestinal estoit diffycile en cestuy moment. Je ne chiois qu'une crotte de bicque à chacque foys... Bon, ça y estoit, j'ayois fini... Juste une minute, je me torchois le fion avecques ces fougères et j'estois à vous... Ouillouillouille ! Aïe ! Par les couillasses de Belzébuth, il y avait une ortie au milyeu des fougères...

Saoul-Fifre émergea des buissons, finissant de se refagoter d'une main et se frottant douloureusement le bas du dos de l'autre. Il se réinstalla sur le dos de sa bourrique miteuse et le convoi reprit sa route.

- Ah, Messyre, quelle plaie d'estre constypé ! J'ayois le trou de balle comme une vieille rave germée. C'estoit assurément la mienne nourriture quy n'estoit poinct assez esquilybrée. Peut-estre devrois-je manger un peu plus de légumes ? A moins que ce ne soit quelcque masle humeur en le mien sang quy blocquoit la mienne merdasse en le mien tuyau à caca ? Peut-estre devrois-je me rendre en le lointayn Limousin pour y quérir un débris de Quintaine ? Ou alors peut-estre devrois-je boire une bonne infusion de graisse de porc fondue ? La mienne mère-grand me disoit que cela estoit souverain pour libérer les voies du bas... Ou peut-estre...
- RHÂÂÂÂÂÂÂÂÂ !!! Cela suffisoit !!!

Le Chevalier, excédé par la logorrhée de son écuyer, avait poussé ce cri en dégainant Sanzot, son hachoir à viande qui chante, pour en donner un grand coup du plat de celui-ci sur le crâne de Saoul-Fifre.

Mais voilà ce qui arriva : Saoul-Fifre, aguerri par les nombreux coups de plat de l'épée ou du hachoir déjà reçus sur sa tête, eut le réflexe de se baisser une fraction de seconde avant que les dix livres de ferraille rouillée ne s'abattent sur sa tête...

- Lou...

Mais l'inertie du hachoir était telle que le bras du Chevalier poursuivit sa route après avoir raté la tête de son écuyer, et alla s'abattre sur le cul de la bourrique miteuse.

- ...péééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééé !

Le sarcasme de Saoul-Fifre s'était achevé en un cri de panique. Car la bourrique, toute miteuse qu'elle fût, n'en appréciait pas pour autant les grands coups de plat de hachoir sur son fondement. Et pour manifester son émotion, elle était partie dans un galop échevelé, entremêlé de ruades impressionnantes.

Vous vous demandez sûrement comment un lourdaud tel Saoul-Fifre, chevauchant une bête en furie, réussit à faire montre de tant de talents de cavalier et à ne point être désarçonné de sa monture.

Eh bien, tout miracle s'explique : Saoul-Fifre avait pris l'habitude depuis peu de s'arrimer solidement au dos de sa bourrique avec quelques cordages bien noués, histoire de pouvoir en toute quiétude piquer de petits roupillons en cuvant sa vinasse sans que le Chevalier ne s'en aperçût.

Celui-ci en resta interdit. Son écuyer avait déjà disparu à l'horizon au milieu de cris et d'une tornade de poussière. La bourrique de son écuyer se révélait sous un jour nouveau, plus nerveuse et véloce que son blanc destrier (lequel, il est vrai, n'avait jamais eu à goûter du plat du lourd hachoir du Chevalier).

Le Chevalier, fort dépourvu, se résolut à partir sur les traces de son écuyer. Non, qu'il tenait particulièrement à son écuyer (un bouseux de perdu, dix de retrouvés), mais outre son écuyer, la bourrique transportait toute une partie de son précieux équipement : chaudron, écuelles, polish pour son armure, portrait de sa mère, doudou, oreiller en duvet de canard, etc.

Suivre les traces de Saoul-Fifre et de sa bourrique miteuse fut chose aisée, tant celles-ci étaient nombreuses. Les empreintes sur le sol révélèrent que la monture de son écuyer avait quitté le chemin et piqué tout droit à travers la forêt.

En outre, le Chevalier retrouva moult bouts de la mauvaise étoffe des vêtements de Saoul-Fifre accrochés à travers les ronces. Puis il trouva deux molaires ensanglantées sous une branche basse. Et puis il trouva moult éclaboussures de merdasse liquide, attestant que son écuyer avait dû être en proie à une diarrhée émotive et que ses problèmes de constipation étaient donc désormais résolus.

Suivant toujours la piste de son écuyer, le Chevalier déboucha bientôt dans une clairière au milieu de laquelle s'agglutinaient quelques misérables chaumières.

Et près de ces chaumières, il croyait discerner un groupe de bouseux et entendre de vagues clameurs.

- Les braves gens, se dit le Chevalier, ils m'ayoient apersçu et ils m'accueilloient sous les vivats, comme il seyoit pour un noble Chevalier !

Mais les clameurs se firent de plus en plus précises au fur et à mesure qu'il se rapprochait. Et les silhouettes se firent plus précises elles aussi.

Et les clameurs semblaient de moins en moins être à son adresse. Et les bouseux semblaient de moins en moins s'intéresser à lui.

En fait, quand il fut parvenu à une distance raisonnable pour sa légère myopie, le Chevalier constata que les bouseux portaient un homme en triomphe, en poussant des cris de liesse.

Et quand il fut à très faible distance, il s'aperçut, premièrement, que son arrivée laissait, à son grand dam, tout le monde totalement indifférent, et, deuxièmement, que l'homme que l'on fêtait si chaleureusement était en guenilles déchirées de partout, avait des éraflures et des bosses partout ainsi que la bouche en sang, et surtout qu'il s'agissait de son écuyer. Oui, oui, sérieusement amoché, certes, mais son écuyer tout de même !

La bouche du Chevalier en resta béante et les bras lui en tombèrent.

Il apprit ce qu'il s'était passé de la bouche d'un bouseux enthousiaste :

- Cestuy Chevalier que portons en tryomphe estoit le nostre salvateur. Un groupe de maraudeurs vouloit tantost nous estorcquer les nostres maigres biens en menasçant de nous trucider, hommes, femmes et enfansçons. Et c'estoit à cestuy moment que surgissoit cestuy Chevalier sur son estrange monture rapide comme l'éclair, quy poussoit grands crys et gesticulant itoument un démon. Mays ce n'estoit poinct un démon, c'estoit au contrayre un angelot gardien que Nostre Seygneur Dieu Tout Puyssant nous ayoit envoyé pour sauver la nostre asme : les malandrins, terrorisés par ceste apparityon, ayoient détalé sans demander le leur reste. Et voilà pourquoy nous festons cestuy preulx Chevalier !
- Un preulx Chev... mays non, c'estoit Saoul-Fifre, c'estoit...
- Saoul-Fifre, disois-tu ? A la bonne heure, nous connoissons désormays le nom du nostre salvateur que nous bénirons jour après jour. Il n'ayoit pu nous le dire jusques lors, car la sienne bouche estoit moultement tuméfiée... Mays, disois-moy, estranger, tu semblois connaistre le Chevalier et la tienne vesture estoit estrange, faite d'anneaulx de fer semblables à casseroles ou chaudrons percés : serais-tu l'escuyer du Chevalier, quy l'accompagnois et transportois le sien nécessaire de cuisine ?


Quelques heures plus tard, le fier équipage cheminait de nouveau sur la route qui poussièrait.

Fier, Saoul-Fifre l'était assurément, trottant allègrement sur sa bourrique miteuse. Il était comme cerné d'une aura lumineuse, que son exploit avait allumée. Aura certes un peu masquée par celle des mouches alentours, mais aura tout de même.

Fier, le Chevalier de Tant-Bourrin l'était assurément moins. Son destrier avançait mollement à trente coudées derrière Saoul-Fifre, surmonté d'un cavalier cerclé d'anneaux métalliques, l'échine courbée, la tête basse, suçant son pouce en serrant son doudou, traumatisé d'avoir été pris pour un vil écuyer.

Et ils poursuivirent ainsi leur route dans le flamboiement du crépuscule, en quête de nouvelles aventures et éventuellement d'un bon psychanalyste. Mais trouver un psycholanalyste plus de six siècles avant la naissance de Sigmund Freud ne serait assurément pas chose aisée.

Tel était le destin d'un preux Chevalier et de son écuyer en ces temps médiévaux.