Cette après-midi-là, une poche plastique swinguait mollement au rythme du clapotis des vagues, toutes très pressées de se rendre à un vague meeting, quelque part vers l’est de l’étang de Berre. Prisonnière des ajoncs de la berge, close par un gros nœud, la poche se maintenait à la surface de l’eau grâce à l’air intérieur qui lui donnait sa forme arrondie. Une plus que banale expérience de physique des forces mais qui, pourtant, il faut s’en souvenir, enfin il faudrait, souvenons-nous en, faisait s’attrouper les badauds à l’époque pré-archimédienne. Même si je ne me rappelle pas l’avoir ouverte, fermons la parenthèse et oublions, si c’est encore du domaine du possible, ce dérapage en « live » pour le moins mortifère. Quoi ? Qu’est-ce qu’on me hurle dans l’oreillette ? Hors sujet, mézigue ? Ben non, en aucune façon, il y a juste une grosse trouille qui me prend là (oui, là) à l’idée d’ennuyer ne serait-ce qu’un chouia ce Monsieur ou cette Dame en train de lire. Reprenons. Décidément, durs durs, les débuts dans la débutation. Mais d’où sortent donc ces gémissements poignants qui ressemblent à s’y méprendre à des miaulements plaintifs ? De la poche en plastoc, espèce d’andouille-frites. Les miiaaaaou désespérément pas contents, ils s’échappent de cette hyper-poche ornée sans supplément d’un magnifique logo dont de célèbres enseignes inondent à jet continu leurs clients, fidèles ou non, par pur désintéressement générosistique ! Il y a un chat enfermé dans le sac, c’est horrible, il tire peut-être déjà sur sa réserve, ses dernières molécules d’oxygène, mais c’est dingue, la route passe juste à côté, y a des pourris qui, sans même descendre de voiture pour faire plus discret, ont lancé le sac par la portière et il a atterri dans l’eau ! Et c’est un bébé chat, j’aurais pu le parier, j’en étais sûr ! Mais ces gens sont d’un nul ! Opérer koukette, c’est bien trop onéreux : on a encore le crédit du home-cinéma sur le dos et pis comme on n’a pas les couilles d’euthanasier proprement les petits, ben on les enferme vivants dans un sac de supermarché et on les jette à l’eau ! Le silence de ces espaces infiniment vides à l’intérieur de leurs crânes me fout vraiment les jetons ! Et d’après ce qu’on raconte, ce genre de bestiau n’est pas en voie de disparition. La réactivation de ce gène virulemment pathologique se situerait juste avant les grands flux migratoires et touristiques, vu la recrudescence des pancartes genre « Ami animal, évite cet endroit ou il pourrait t’en cuire » accrochées à toutes les poignées de porte des cages à lapins attrape-touristes. Ceci dit, sachons rester zen même quand les boules vous sautent sauvagement à la gorge et que vous monte une bien grosse envie de les écarteler à sec, ces doubles buses, ces vivisectateurs, ces vomitifs, ces sinistrés de naissance, ces résidus de curage de nez et autres liquéfiés du bulbe. Cependant, bien que rien que l’idée me carbonise la langue et me passe les cordes vocales au chalumeau, si je les retrouve, je saurai me faire violence et articuler à peu près correctement des remerciements sincères : si je t’ai rencontrée, Zoulikha, ma douce et belle boule noire, c’est indubitablement grâce à la lâcheté pitoyable de ces charognards à la vue basse. Et pour ce cadeau : reconnaissance éternelle, sans un pli ! Et pochon qui s’en dédit. Pas de problèmes apparents. Vieux réflexe d’éleveur, j’ai tout de suite identifié son sexe : chez les mammifères, la différence saute aux yeux. Ne disons donc plus « il » mais « elle » en parlant de cette chatonne qui n’a heureusement pas eu le temps de souffrir, ni du manque d’air et encore moins de la faim, les nouveau-nés ayant généralement de la réserve. Mais ça ne résout pas son problème, et le mien dorénavant. Nous sommes dimanche, tout est fermé et chercher une brasserie proposant du lait de chatte sur sa carte des boissons me semble une tentative vouée d’avance à l’échec. La chance m’habite, comme dit Rocco : - je trouve une boulangerie ouverte - celle-ci vend des bonbecs et en particulier ces globules homéopathiques mais multicolores présentés dans un mini-biberon. Bingo ! J’achète le stock et nous rentrons ventre à terre au bercail. Le châssis fait des étincelles sur l’asphalte : il faudra que je songe à vérifier mes amortisseurs ou ma pression de pneus. En faisant tiédir au bain-marie bien comme l’explique Laurence Pernoud, sans oublier le test de la goutte sur l’avant-bras, me voilà à lui proposer dans l’ordre et successivement : du lait en poudre, du lait condensé sucré, du lait U.H.T., du lait cru et un reste de lait d’amandes douces trouvé dans la salle de bain… Aucun résultat, aucun signe du plus petit intérêt. Je lui proposai alors timidement des mélanges : chocolat au lait, milk-fraise, café-crème… Que dalle en béton. Alors, en désespoir de cause, un croissant. Elle se jeta avidement dessus, le déchiqueta en trois coups de dents et l’avala sans mâcher !

(à suivre)