Histoire de fêter dignement la victoire du XV de France dans le Tournoi des six nations, j'ai exhumé du fond de mon tiroir un texte de chanson que j'avais écrit il y a une petite dizaine d'années.

Un texte qui n'est, certes, pas d'une finesse démesurée, mais qui rendait hommage au rugby de papa, le bon vieux rugby amateur d'avant le professionnalisme, le rugby commenté par Roger Couderc. Un rugby qui n'était pas pratiqué par des terminators au look de play-boys, un rugby où les premières lignes bedonnaient et mettaient cinq minutes pour arriver en ahanant sur les regroupements, un rugby où les trois quarts étaient filiformes mais jouaient aux anguilles dans les lignes adverses. Un rugby peut-être moins spectaculaire et physique que celui d'aujourd'hui, mais un rugby qui était alors l'art de l'évitement et non un combat de percussions bovin.

Bref, un rugby tout en créativité et non pas, comme à l'heure actuelle, tout en créatinité.

Et la créativité n'était alors pas que dans les cadrages-débordements des ailiers : le pack débordait aussi d'inventivité, mais dans un tout autre registre, celui des mêlées. Notamment les mêlées ouvertes qui étaient bien plus confuses que celles d'aujourd'hui. Un arbitre actuel siffle rapidement dès qu'un empilement n'arrive pas à accoucher du ballon, bridant ainsi la créativité des avants. Mais il y a quelques années de cela, les mêlées ouvertes étaient une magnifique foire d'empoigne où les comptes se réglaient en douce. Enfin, quand je dis "en douce", ce n'est qu'une façon de parler : les soigneurs avaient fort à faire, et un match sans au moins une bagarre générale pouvait alors être considéré comme un mauvais match.

C'est ce rugby que Iturria avait su magnifiquement croquer dans sa bande dessinée "les Rubipèdes", publiée alors dans le journal Sud-Ouest puis en albums, qui me fait aujourd'hui encore pisser de rire.



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Mais revenons-en donc au texte de chanson promis. Le voici. Vous comprendrez en le lisant qu'il était surtout fait pour être entendu et non lu, l'avant-dernier vers de chaque refrain étant à double sens phonétique. Mais baste !




Chanson emmêlée
    (© Tant-Bourrin Inc. International Ltd)

C’est une question essentielle
Que vous n’avez pu démêler,
C’est une angoisse existentielle
Devant le poste de télé...

Ah oui, vraiment, ça vous agace
Quand les joueurs, tels des béliers,
Poussent ensemble, tous en masse :
Que se passe-t-il sous la mêlée ?

Moi qui suis pilier, messieurs dames,
Et pas seulement de bistrot,
Je vais vous dire ce qui se trame
Sous ces agrégats magistraux

Quand je vois le pilier d’en face
Avant que l’arbitre ait sifflé,
On se jette un regard de glace,
Puis v’là c’qu’on fait sous la mêlée...

Je le cogne
Sans vergogne,
Il m’décoche
Une bonne gauche,
Me fout en l’air
Deux, trois molaires,
Et il se becte
Un direct,
Il m’écrase
Bien le nase,
M’dépareille
Les oreilles,
J’lui frictionne
Les neurones,
Puis je lui toque
Les breloques,

Car final’ment
On s’aime,
On s’aime...
Les coups à tous vents !

Vous d’vez commencer à comprendre
La philosophie de ce sport :
Quand on vous donne, faut savoir rendre ;
Si tu me frappes, moi j’te mords...

Sans parler des mêlées ouvertes,
Quand tout le monde est empilé,
J’en vois des pas mûres et des vertes...
S’en passe de drôles dans ces mêlées !

J’mange une beigne,
Une châtaigne,
Il s’renifle
Une mornifle,
Je le dessoude
A coups de coude
Et il m’aligne
Une belle pigne,
Je fourchette
Ses mirettes
Il m’arrache
La moustache,
Il me piétine
Les narines,
Et j’asticote
Bien ses côtes,

Car final’ment
On s’aime,
On s’aime...
Les coups à tous vents !

Mais après l’match, on fait la fête
On s’marre avec l’autre pilier
Des coups qu’on s’est mis sur la tête
Quand on était sous la mêlée

Quand enfin, débordant de bière,
Pinté, je regagne mon palais,
Ma femme m’attend, la mine guerrière,
V’là un aut’ genre de démêlés !

Elle m’tartine
Une praline
Et s’acharne
Sur ma carne,
Elle me décoche
Une taloche,
Puis elle m’éclate
La prostate,
Je m’avale
Une mandale,
Elle me gnaque
La barbaque,
Elle me pète
Les roupettes,
Et écrabouille
Mes petites couilles,

Car en effet
Elle m’aime,
Elle m’aime...
F’rait un bon pilier !