dimanche 11 mars 2007
Le sursis
Par Tant-Bourrin, dimanche 11 mars 2007 à 00:11 :: General
Pourquoi avait-elle donc participé à ce concours stupide ? Calune avait beau fouiller et refouiller sa mémoire, elle ne pouvait s'en souvenir. Ou plutôt, si : elle se souvenait d'une folle impulsion, stimulée par son goût du jeu, qui lui avait fait franchir le pas, malgré la perspective d'un funeste premier prix.
Et elle avait gagné.
Et voilà qu'elle tremblait. Car se retrouver propulsée au rang d'héroïne d'une nouvelle de Tant-Bourrin n'était pas une sinécure, loin de là. Elle avait lu les derniers récits de ce sombre individu, et elle avait vite compris qu'il ne faisait pas bon en être le personnage principal : tous ses héros mourraient immanquablement à la fin des nouvelles.
Et comme une idiote, elle s'était creusé la cervelle deux jours durant pour gagner le concours et, par la même occasion, la place du mort. Elle maudissait sa terrible inconséquence, maintenant que la nouvelle était commencée. Mais l'heure n'était plus aux regrets, elle était à l'effroi, l'effroi d'une fin terrible programmée, l'effroi d'un rouleau compresseur livré à lui-même qui écrasait tout sur son passage, l'effroi de sentir qu'il lui restait peu de temps à vivre.
Elle avait bien essayé d'infléchir la détermination bornée de l'auteur - de son auteur, maintenant qu'elle avait rejoint le rang de ses personnages de fiction - en lui envoyant un courrier électronique. Pour lui dire qu'elle préférait renoncer à son prix. Pour le supplier de lui laisser la vie sauve. Pour l'émouvoir en faisant valoir son statut de mère de famille. Mais rien n'avait pu infléchir la détermination bornée de celui-ci : la nouvelle était désormais commencée et Calune se retrouvait tristement engluée dedans.
Ses tripes étaient nouée. Elle avait préféré ne pas sortir de chez elle en se faisant porter pâle auprès de son employeur. Barricadée, verrouillée et double-verrouillée chez elle, terrée au fond de son lit, immobile. Ne rien faire, ne pas bouger, il ne pourrait peut-être rien lui arriver ainsi... Mais ce fou de Tant-Bourrin était capable de faire tomber une météorite sur la maison. Ses yeux s'emperlaient de larmes d'angoisse.
Elle regarda vers le bas du billet en cours. Elle discerna que la fin approchait, il ne restait que deux paragraphes après celui-ci. Comme dans un cliché de roman de seconde zone, elle revoyait sa vie qui repassait devant ses yeux. Faire durer les phrases, faire durer les paragraphes. Mais celui-ci se terminait déjà.
Et l'avant-dernier paragraphe commençait. Elle n'osait plus respirer : c'était souvent vers ce niveau du récit que l'irréparable arrivait pour les héros de Tant-Bourrin. Dans le silence assourdissant qui l'encoconnait, le battement de son coeur résonnait comme un solo de batterie. Crescendo.
Le dernier paragraphe. Elle regarda vers le bas du billet. Plus que quelques phrases. Il lui sembla même distinguer le mot "survécu" dans la dernière phrase. Elle n'osait pas y croire et pourtant, cela semblait bel et bien vrai : la nouvelle de Tant-Bourrin se terminait et rien de funeste ne lui était arrivé. Peut-être s'était-il finalement laissé attendrir ? Oui, sûrement, car cette fois, cela se confirmait, il ne restait plus que quelques mots à venir. Elle soupira d'aise et sourit radieusement : elle avait survécu à une nouvelle de Tant-Bourrin !