"Adieu Maman."

Une poignée de terre s'abattit mollement sur le bois vernis du cercueil, deux mètres plus bas, au fond de la fosse.

Rigobert Legrouillu essuya une petite trace d'humidité au coin de son oeil et reçut, d'un air contrit, les condoléances de toute la famille, venue de l'autre bout de la France, rendre un dernier hommage à sa pauvre mère, décédée trois jours plus tôt d'une rupture d'anévrisme.

Une fois les dernières mains serrées, les dernières joues embrassées et les derniers au revoir lancés, Rigobert quitta le cimetière. "Enfin crevée, la vieille ! Pas trop tôt !", se dit-il. Un petit rictus de contentement dessiné au coin des lèvres : il avait été parfait, offrant le spectacle d'un fils ravagé par une douleur contenue à grand peine, mais digne dans le malheur. Voilà, les apparences étaient sauves, le qu'en dira-t-on resterait sagement tapi dans le terrier des jalousies et des rancunes.

Rigobert s'efforça toutefois de garder sa contenance jusqu'au seuil du minuscule pavillon de banlieue dans lequel il habitait depuis sept ans déjà. Ce minuscule pavillon de banlieue dans lequel sa mère ne risquerait plus de débarquer à l'improviste pour y jouer les régisseurs, en râlant et maugréant contre son incapable de fils "qui vivait dans la crasse et le désordre, même que ç'en était une honte". Enfin libre !

A peine eut-il refermé la porte derrière lui qu'il poussa un grand cri libérateur, relâchant les tensions du jeu de rôle qu'il venait de jouer, les envies de fou rire pendant la messe, la tentation qu'il avait ressentie de changer le texte de l'émouvant discours qu'il avait lu pour improviser une litanie impromptue des griefs contre la chère défunte qui lui avait pourri pas loin de trente ans de vie depuis sa naissance. Sa chère mère si intrusive, si acariâtre, si chiante ! Il avait encore peine à réaliser qu'il en était définitivement débarrassé.

La bouteille de champagne était au frais depuis la veille. En faisant sauter le bouchon jusqu'au plafond, il eut l'impression de tirer à la carabine sur les années perdues. Rigobert, seul dans son salon, leva un toast à sa nouvelle vie.

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