Je suis propriétaire d'une jolie maison de banlieue.

Enfin... d'un terrain à tondre en avant et en arrière de la maison.

Comme il n'y a plus d'hommes dans ma demeure, il s'avère que cette tâche me fut déchue. Oui, oui, déchue, comme dans : déchue, déchue, déchue d'avoir à me commettre avec l'Engin. J'aimerais que ce soit une moto comme l'autre, mais non, c'est une vulgaire tondeuse à gazon.

Je n'ai pas beaucoup eu de chance avec cet engin depuis mon arrivée, il y a trois ans. Je l'ai acheté seconde main de mon voisin d'en face qui fait une industrie de recycler tondeuse et bons conseils.

Pour un prix modeste et croyez-moi, la modestie de l'un ne vaut pas la modestie de l'autre, j'en fis l'acquisition.

La première fois que je l'ai fait utiliser par mon plus vieux, elle a refusé d'optempérer. Je l'ai menée chez son vendeur qui a remplacé un câble. En échange d'une modeste contribution et d'un : "Là, elle va marcher comme une neuve, ma tite madame." J'eus confiance, malheureuse que je suis !!!

La deuxième fois que j'ai menacé d'évinction mon plus vieux s'il ne passait pas ladite tondeuse, elle a encore refusé de démarrer. Mal lui en pris, parce que ledit enfant était en sacrament. Il l'a littérallement jetée dans les airs et a tiré la corde (c'est un modèle à essence, caractéristique que je commenterai plus tard), elle obtempéra de mauvaise grâce.

La troisième fois, ni les menaces, ni les sacraments, ni les vols planés ne la firent tressailler. Autre traversée de l'autre côté de la rue, cette fois-là... Me souviens pas, mais ça ne m'avait pas encore coûté trop cher.

L'été fut fini.

Autre été, c'est mon autre ado qui est à la torture. Il commence par vouloir faire grimper le trottoir à la tondeuse en marche. Elle s'est cassée la dent sur le ciment, à savoir, la lame principale. Dieu merci, mon voisin d'en face, toujours pour une rémunération qui frole la mansuétude (croyez-moi, les deux sous de la veuve ont gagné en inflation depuis le temps) l'a remplacée.

Ensuite, l'été fut assez sec. Elle a refusé encore quelquefois de démarrer, mais avec un peu d'expérience, de secousses sismiques et en s'assurant qu'elle était toujours bien pleine d'essence, on y est arrivé.

Surtout que le voisin, pour une somme qui frôle le produit national brut, a refait tout mon gazon en arrière de la maison parce que le dit terrain avait une pente négative par rapport à la maison. ou positive. en tout cas, pas la bonne inclinaison et l'eau s'infiltrait et inondait le sous-sol. C'est pas exactement l'idée qu'on se fait d'une piscine creusée, n'est-il pas, donc, en prime de consolation, il est venu tondre le gazon une couple de fois gratuitement. Disons, avec de la bonne volonté, parce que le gratuit...

Nous commençons donc l'été 2008 comme de coutume, c'est à dire que Lorent nous envoie en avril alors qu'on se les gèle des photos de fleurs et gna gna gna. Ensuite, comme de coutume, il faut bien tondre le gazon ou, comme l'a suggéré une femme qui se dit mon amie, engager une chèvre.

Va pour la tondeuse. Qui, comme prévu, refuse de démarrer. Cette fois-ci, elle aurait besoin d'huile. Ah.. ben.. Donc, je demande à mon copain qui est devenu mon ex-copain par la suite, quécéquecé que j'achète. J'achète. Je demande à l'ado du centre de mettre l'huile dans le moteur.

Or, j'ai un préjugé sur les connaissances motorisées des hommes. Ou mon fils n'est pas encore un homme, ou mes préjugés ne sont pas fondés, toujours est-il qu'il a empli à ras bord d'huile ladite tondeuse au lieu de s'arrêter à la petite ligne marquée MAX.

Elle a bien voulu démarrer, mais vous savez ce que fait une tondeuses qui a trop d'huile?

Elle dégage, monsieur.

Elle dégage un écran de fumée telle que les pompiers qui demeurent en faction à un coin de rue de chez moi sont venus voir ce qui se passait.

La mère était enchantée, mais, allez donc savoir pourquoi, l'ado avait le feu à une place où pas un pompier ne peut éteindre. L'ado, pour me punir, s'en va pour l'été à un camp de cadets, tiens, je n'aurai qu'à le tondre moi-même, le gazon, lui, s'en allait tondu à son régiment.

Il ne reste donc que mon moi-même et l'engin.

Or, je n'ai jamais eu affaire à une tondeuse de ma sainte, disons, courte vie. J'ai des souvenirs de ma mère qui hurle de faire attention de ne pas couper la corde électrique (tout va bien, la mienne est à essence). Mais, j'ai des souvenirs aussi des motoneiges qu'il fallait "crinquer" pour partir et que je ne suis jamais venue à bout de tirer assez fort pour faire démarrer quoi que ce soit.

Tire la bobinette et la chevillette cherra, c'est à peu près tout ce qui est dans mes cordes.

Je procastine donc aussi longtemps que j'ai pu. Quand j'eus l'idée de téléphoner à la municipalité pour demander quelle longueur de gazon était permis dans mon secteur, je me suis dit qu'il était temps que je fasse une femme de moi et que j'affronte la bête et que je lui fasse bouffer de l'herbe.

Au premier essai, elle n'a même pas daigné roter. C'est vrai que j'étais plutôt faiblarde dans la proposition de participer au sport horticole honni.

Au deuxième essai, bon, on va faire court, parce que j'ai essayé pas mal de fois et je dois dire que je faisais plus de bruits qu'elle pour un bon bout de temps. Mais, vive la colère et l'adrénaline, j'ai prié le ciel (j'imagine que le Bon Dieu a traduit mes suantes incantations), pis je lui ai modit un coup par en avant tout en lui arrachant le coeur en grinçant des dents.

Elle a démarré ! Alléluia !!!!!!

Nul besoin de vous dire que je tenais le truc de sécurité qui fait que si on lâche, la tondeuse arrête, comme le gars rescapé du Titanic tenait le bord du bateau de secours. Ma vie en dépendait.

Bien entendu, elle fumait comme un poteux des années 70. Pas grave, je me dis, au pire, j'aurai la compagnie des pompiers et peut-être qu'ils vont se cotiser pour me payer l'entretien de mon terrain...

J'ai pas eu le temps de faire assez de boucane, elle s'est arrêté dans un râlement d'agonie très court. Ça a fait, bleuuuuuuuuuuuuuuurup. Tout doux.

J'ai laissé la fumer s'évaporer un peu et quand j'ai réessayé, peine perdue, le moteur était saisi.

Comme dans saisie de biens et mobiliers. Plus rien de va.

Que faire ? Ben, quand je me suis arrêtée de rire, il était trop tard pour aller au magasin en acheter une autre.

Cette fois-ci, je ai choisi un petit modèle féminin, en vente, montable, selon les instructions, par quelqu'un qui n'a pas de qualifications ni d'entraînement spécial. Je gage qu'ils ont cogité ça en comité pendant des heures parce qu'ils ne pouvaient pas écrire : "montable par une femme de 48, divorcée, maladroite, distraite et presbyte".

Modèles féminins ou masculins, vous pensez que j'exagère ?

Point du tout, en voici l'argumentation.

La tondeuse à essence est masculine :
- de un, vous lui remplissez le gosier de liquide éthylique,
- de deux, un peu de lubrification pas trop sinon ça me fera pas effet,
- de trois, un coup de crinque, bonjour bonsoir , on n'en parle plus. Pas de précautions, pas de chichis, on veut, on tond, tout de suite, dré là, sur le terrain.

La tondeuse électrique. Ciel ! De un, il faut la préparer d'avance. Seule les femmes pensent la veille, pour le lendemain, à sortir de quoi faire le souper du congélo. L'homme, de nature spontanée va penser au moins cinq minutes à poser la question : "qu'est ce qu'on mange ?"

Alors que la femme expérimentée va penser à brancher la batterie la veille dudit rasage.

Ensuite, il faut une clé. Trouver donc la clé... demandez donc à un homme de trouver quelque chose, de un, de deux, la clé pour la tondeuse...

Ensuite, il ne faut pas tondre de reculons, pas par en arrière qui disent les instructions. Seulement par en avant.

Et quoi encore ? Ben, il faut attendre au moins douze heures pour qu'elle soit prête.

Oubliez les hop-là, comme ça, tout de suite, douze heures, monsieur, qu'il faut l'avoir branchée pour qu'elle démarre.

Et autre chichi, c'est qu'il faut changer la batterie à tous les quatre ou cinq ans. Dépendamment de l'utilisation, j'imagine. C'est comme le petit dessous en dentelles, faut pas trop le voir, il use son effet.

J'aurais dit aussi que sa légèreté la classe dans la féminité, mais étant donné ma propre pesanteur, permettez-moi de passer sous silence la comparaison. On le sait, la vanité est à la femme, ce que Carla est à Sarkosy, un mince paravent devant la fatuité.

Oui, bien sûr, j'ai tondu le gazon avec la nouvelle et on s'entend très bien. Deux copines à la campagne. Mais je reste prudente, vous connaissez les femmes....

Sur ce, après vous avoir rasé proprement, je vais me raser, ce qui me fera une belle jambe en pensant à ma tondeuse.