Ma poul' qui saut' du pigeonnier...
(Sur l'air de Ma poule n'a plus qu' vingt-neuf poulets )
Allongeons les ai-ailes
Allongeons les ai-ailes
Allongeons les ailes, les ailes, car la marche est hau-aute !
Allongeons les ailes, les ailes, car la marche est hau-aute !

Deux poul's qui saut'nt du pigeonnier...
Deux poul's qui saut'nt du pigeonnier...
Allongeons les ai-ailes
Allongeons les ai-ailes
Allongeons les ailes, les ailes, car la marche est hau-aute !
Allongeons les ailes, les ailes, car la marche est hau-aute !

Tiens, c'est bizarre, elles caquètent comme si elles avaient des poussins (bruit très caractéristique). Je regarde autour, rien. J'écoute, rien, sauf leur irritant caquet de mère possessive. L'une des deux remonte au pigeonnier. Comme ça vole bien, une poule ! Pour une poule, hein, bien sûr ? Comme je lève les yeux, je les aperçois, là-haut, la nichée, la smala, la brochette de pompons dans les tons jaunes. Et ça piaille qu'on les a abandonnés sans vergogne ! Hou ! Mais ils sont bien vifs ? Ils sont nés d'hier, au moins ! Bon ben, va falloir descendre, les pioupious, et je vous préviens : le bon dieu a oublié de vous doter de parachutes.

Quand une poule fait son nid en haut de ma fenière, sur un étroit méplat, juste au bord du vide, le problème ne se pose pas. Au fur et à mesure des naissances, le poussin juste né qui cherche à s'éloigner se ramasse la gueule 3 mètres plus bas. No souçaye, c'est en caoutchouc à cet âge ! Par contre la poule se retrouve devant un fameux dilemme : ou continuer à couver les œufs pas tout à fait prêts, ou bien les abandonner pour s'occuper des petits alpinistes qui viennent de dévisser. En principe elle quitte le nid assez rapidement car l'urgence insistante des cris de la chair de sa chair, une poule ne supporte pas longtemps.

Là le cas est différent, le 1er étage du pigeonnier est grand, plat, avec des tas de cachettes, et le poussin peut le considérer comme son monde définitif. Il ne voit pas pourquoi il irait jouer au plongeur d'Acapulco, avec de la terre bien ferme à l'arrivée, à la place de l'eau, pour corser la prestation. Enfin, tant qu'il n'a pas trop faim ni trop soif. Et pis tant qu'une de ses 2 mères remonte régulièrement l'encourager, le calmer, lui montrer par l'exemple la cascade à effectuer. Ha ça, il est admiratif ! "Bravo maman, super ton spectacle ! Mais pour moi, non merci sans façons, quand j's'rais grand, j's'rais politicien véreux, pas trapéziste".

Ya eu 4 petits courageux qui ont fait le saut de la mort ... indemnes. Mais l'enrôlement patine. La noble carrière de kamikase semble ne plus sourire à la jeune garde, rétive au dépassement de soi. Ils sont là 7, à prendre le soleil, à faire comme si de rien n'était. De temps en temps, l'un s'approche du bord du plongeoir, l'air décidé. Il jette un œil vers le bas, là où ses 2 mères s'égosillent : "Allez, saute, oui, c'est bien, presque ça, fléchis légèrement les pattes et pousse !". "Pas glop, le vide. Mes os sont souples, peut-être, mais ma mutuelle rembourse t-elle si je m'enfonce une épine dans l'œil ?" Et hop, il retourne au nid en attendant qu'un grand lui trouve une solution moins "sport extrême".

Et ses frères et sœurs de se faire des assauts d'amabilité hypocrites : "Mais après toi, je t'en prie, je n'en ferai rien, tu es l'aîné, mais point du tout, montre-moi comment on fait, ô toi qui es si brave...". J'en sens un bien motivé, néanmoins : il trottine sur la piste d'envol, mais arrivé à la toute dernière extrémité avant le grand saut, il panique, rétro-pédale aussi vite qu'il peut, s'agrippe, vacille tel un culbuto pour finalement se stabiliser au bi du bout du bord et décider que la météo n'est pas vraiment idéale pour un baptême de l'air. "Le jeu n'en vaut pas la chandelle vrillée" soupire t-il en s'essuyant la figure et en rejoignant les autres djeun's calés, tenant les murs du pigeonnier en attendant que le temps s'en aille avec le temps.

Et en bas, leurs 2 mères qui s'arrachent les plumes de désespoir.

"Sont-ils cons mais sont-ils cons ?! Tu penses pas qu'on devrait écrire au livre des records ? Juste pour consoler les autres et leur redonner confiance en eux ? Dans un but altruiste, tu vois ?"

Bon c'est pas tout mais le soir commence à tomber, lui, et une nuit là-haut, même avec une mère pour les protéger, les rats vont se régaler. Faut que je les récupère et que je les installe dans la cage à élevage, scellée, grillagée d'acier. J'installe une échelle, je monte avec une caisse et je commence à récupérer mes boules de duvet. Ils sont au moins vieux de 2 ou 3 jours pour courir comme ça et se cacher partout ! Bon je finis par les coincer, ces malins qui auront réussi à descendre gratos sans avoir à plonger en vol libre. Une fois par terre, je me sers des cris furax de mes petits otages, toujours dans la caisse, pour attirer les poules. Elles se répartissent le boulot : l'une reste avec les 4 qui ont sauté d'eux-mêmes, déjà accoutumés au bon vieux plancher des vaches, et l'autre me suit, pour récupérer le restant.

La technique est assez simple : dès que la mère poule est assez près de la casemate où je veux tous les faire rentrer, j'ouvre grande la porte, je pose, devant, un madrier trop haut pour que les poussins le sautent, mets ceux-ci dedans et quand la poule les a rejoint, je referme. Les 4 autres, je suis obligé de les kidnapper un par un, en prenant de sacrés risques car l'amour maternel rend méchante à tout ce qui n'est pas du nid. Hop hop, les 11 poulets sont tous sous leur première mère, mission accomplie. J'ai hésité 1/4 de seconde à mettre la deuxième mère avec eux, mais j'ai eu peur des embrouilles de jalousie, dans une toute petite cage juste prévue pour le premier âge, ça pouvait faire des dégâts.

Et je l'ai sous les yeux, la mère éplorée, cambriolée de ses petits. Cinq jours ont passé et elle a plus que jamais son caquetage inquiet de mère récente. Je lance le grain et elle écarte les ailes en ébouriffant les plumes pour être plus impressionnante, comme si elle avait des petits à protéger de ses congénères. Cooot coot, elle leur parle, elle leur dit de se méfier de tous les méchants qui veulent les mordre, s'en repaître, les enlever pour les revendre dans des pays lointains...

Cowot, cwot, cooot, elle les surveille, elle les compte, s'il y a un absent qui s'écarte, KotKottKkohohot, elle stresse, elle menace l'ennemi illusoire des pires foudres si jamais il osait s'attaquer à ses petits chéris à elle de poussins virtuels.

Et moi, ben j'ai un peu honte de la voir ainsi se rengorger dans sa folie douce.