ETUDE DE MAÎTRE JOSEPH BOURNAZIEUX

NOTAIRE

LE TREPORT (SEINE MARITIME)

Monsieur.

Etant chargé, par autorité de justice, de régler la succession de votre oncle et de votre tante, Monsieur et Madame Chanteloup, Alfred et Armande, je vous prie de bien vouloir prendre contact avec mon étude afin que nous convenions d’un rendez-vous.

Je vous prie de croire Monsieur…


Suivaient les politesses d’usage. Stéphane, après avoir signé le récépissé du recommandé, venait de lire la lettre que lui adressait Maître Bourna machin-chose.

Ben merde, la tante Armande, s’exclama-t-il ! Oh ! Il l’avait vaguement connue autrefois. Il était tout gamin alors, quatre ou cinq ans tout au plus. Une sœur de son père, puis cette tante était partie s’installer à Mers-Les-Bains, avec son oncle, alors ils s’étaient perdus de vue. Un jour, les gendarmes étaient venus, il était encore enfant : la tata et le tonton avaient disparus, une enquête était ouverte.

Son père avait été un peu triste, sans trop, lui et sa sœur ayant une grande différence d’âge : dix-sept ans ! Sa sœur beaucoup plus âgée que lui, ils n’avaient pas vécu l’enfance ensemble… Forcément.

L’éloignement n’avait pas arrangé les choses, et puis, pour couronner le tout, le beau-frère détestait les enfants ! Lui et sa tante n’en avaient jamais eus. Pour cette raison et bien d’autres encore, ils ne s’étaient jamais fréquentés.

Stéphane posa la lettre sur la desserte de l’entrée, puis continua ce qu’il était en train de faire : la vaisselle. Ayant reçu des copains la veille, sa femme et lui étaient allés se coucher, remettant la corvée au lendemain.

Il profitait d’un R.T.T de quelques jours pour régler des problèmes laissés de côté : demandes de prêts pour l’achat d’un appartement, régularisation de quelques dossiers négligés, plus deux ou trois bricoles en « stand-by ».

Quand Josette, son épouse, rentra le soir, plus tard qu’à son habitude, Stéphane lui tendit la lettre.

- Attends que je me déshabille au moins ! J’suis vannée, la grève encore ! Une heure d’attente à la gare du Nord.

- Ben dis-donc, te v’là riche ! dit la charmante épouse après avoir pris connaissance du courrier.

- Tu parles, rétorqua le mari, ce doit être une vieille bicoque, depuis le temps qu’elle est inoccupée, trente ans… C’est une ruine, oui !

- Bon écoute : je téléphonerai demain afin de prendre rendez-vous, un petit viron au bord dela mer, ça nous fera du bien, on va s’oxygéner les éponges, et je ne te parle même pas du plateau de fruits de mer.

Josette frappa dans ses mains, comme un enfant auquel on vient d’apporter un cadeau.

Le lendemain, Stéphane téléphona au notaire. Fort aimable, ce dernier lui donna rendez-vous pour le samedi suivant, dix heures trente précises ajouta le tabellion.

Bon voilà une chose de réglée, déclara Stéphane à voix haute, la météo prévoit du grand beau pour samedi : à nous les p’tits tourteaux !

Depuis la Courneuve, il leur fallut deux heures et demie pour atteindre Le Tréport. Grâce à son G.P.S, Stéphane trouva sans peine l’étude de Maître Bournazieux.

- Bravo, jeune homme ! Vous êtes ponctuel, c’est rare de nos jours. Madame… Il s’inclina respectueusement devant l’épouse du « jeune-homme », je vais vous conduire, je connais le chemin, et puis j’aime bien conduire.

Après avoir franchi la Bresles, il prit la route de Mers. Les vieilles bâtisses, fin dix-neuvième, début du vingtième, bordaient l’avenue du front de mer, superbes avec leurs colombages, leurs encorbellements, hautes de deux ou trois étages, un peu pompeuses, édifiées pour les riches bourgeois Parisiens, qui venaient là, grâce au chemin de fer, les trains de plaisir comme on les nommait à l’époque. La gare du Tréport toute proche leur permettait, en un petit coup de fiacre, de retrouver leur chère villégiature.

Aujourd’hui certaines de ces imposantes demeures aux noms très originaux, les mouettes, le ressac, belle vue ou encore les falaises, étaient en piteux état, d’autres au contraire semblaient avoir été construites depuis peu.

Tout en roulant, le notaire leur expliqua que la procédure avait été longue : délai de forclusion en cas de disparition avérée, etc, etc. Mais maintenant tout était net, quelques signatures, liquidation des comptes, et tout serait en règle.

- Votre oncle et votre tante avaient effectué des placements forts judicieux, et malgré la ponction de soixante pour cent effectuée par l’état, vous hériterez d’une jolie somme !

Stéphane et Josette avaient échangé un clin d’oeil, suivi d’un petit sourire de satisfaction.

Mais enfin, sait-on ce qui leur est arrivé ?

- Non, non, tous les voisins ont confirmé la même chose : vos parents s’entendaient bien, quoique peu bavards, ils entretenaient des relations de bon voisinage, et puis un beau matin, les volets sont restés clos, au début, nul ne s’est inquiété, pensant à un départ précipité, suite à une mauvaise nouvelle ou autre…

Et puis les jours ont passés, les semaines, alors on a fait ouvrir la maison. Tout était en place, la table non débarrassée, les reliefs de leur dernier repas dans un état, vous vous doutez bien !

Les occupants : volatilisés, comme évaporés ! Les voisins ont procédé à un nettoyage succint, puis on a fermé la maison, apposé les scellés.

L’Alfa Roméo « Giuletta veloce » de 1959, une pièce de collection que le notaire aimait sortir les jours de grand beau temps, s’arrêta devant une grande maison à colombages comme ses voisines, les peintures extérieures avaient souffert, mais le bois ne semblait pas attaqué.

Haute de deux étages, le toit avançait, surplombant la façade. Ce petit air vieillot séduit immédiatement Stéphane. A hauteur de la porte d’entrée, bien protégée par un auvent recouvert de tuiles, une pancarte émaillée : « les flots bleus ». Cela fit sourire le couple.

Le tabellion sortit un trousseau de clés de sa poche et entreprit d’ouvrir la porte. Il se bagarrait avec la serrure quand se présenta à côté d’eux un petit bonhomme.

- Bonjour Messieurs et Madame, je suis le voisin.

Il sourit tandis qu’il soulevait son béret pour un salut à l’ancienne.

- Ainsi vous êtes les parents de ces braves Monsieur et Madame Chanteloup ?

- Oui, répondit Stéphane, je suis leur neveu, voici mon épouse…

- Enchanté, Madame.

- Quand vous aurez terminé votre visite et après déjeûner, passez donc me voir, si vous le désirez bien entendu, nous prendrons le café, ma maison est juste à côté, « les goélands ». Oh ! Une idée de ma pauvre femme, je suis veuf aujourd’hui.

- D’accord, s’entendit répondre Stéphane, Monsieur ?

- Pinotet, Georges Pinotet.


Le jeune couple s’engagea dans l’entrée, précédé par le notaire. La visite peut commencer, déclara ce dernier en prenant l’allure d’un guide de musée : une belle entrée, avec à droite l’escalier menant aux étages, puis les « commodités », juste après la cuisine, à gauche, dans l’ordre, salon, salle à manger, quelques meubles, non pas anciens, mais plutôt des anciens meubles ! Un vieux tapis miteux, les papiers peints bien défraîchis, pas d’humidité comme on aurait pu le craindre.

En avant du salon, une large baie vitrée légèrement en surplomb, ouvrant sur la mer.

- Quelle vue ! s’exclamèrent en chœur Stéphane et Josette.

- N’est-ce pas ? acquiesça le notaire.

L’escalier craquait un peu, mais semblait solide. Un cabinet de toilette, trois chambres à l’étage, meublées également, la plus grande donnant sur la mer, un petit balcon de bois. Josette ouvrit la porte-fenêtre, s’avança prudemment. Le balcon était encore solide. A sa droite, elle voyait les majestueuses falaises blanches, à gauche, Le Tréport.



- Waouh ! Viens voir, minou, comme c’est beau !

Encore un étage, deux chambres, moins larges à cause de la pente du toit. Dans la première chambre face à la mer, une porte grise, fermée, Josette l’ouvre, elle ne comporte aucune ouverture hormis la porte. Pour tout mobilier : une table de bois blanc, et une chaise au cannage fatigué. Son mari la suit.

- Quel pouvait être l’usage d’une telle pièce ?

- Je n’en sais trop rien, répondit maître Bournazieux, mais vous pourriez aisément en faire un « dressing », comme on dit aujourd’hui.

C’est à ce moment là que la sonnerie du portable de Stéphane se mit à sonner, lui jouant « Oh Susanna ». Il prit l’appareil.

- Allo ? Salut Eric… Oui, nous sommes à Mers, mais attend, ça passe très mal, il s’avança de deux pas, se retrouva dans la chambre.

- Ah ! Oui, c’est nettement mieux… Oui, oui, bon c’est ok, oui c’est ça à plus tard, ciao !

- C’était Eric

- Ben oui j’avais compris, répondit l’épouse.

Il retourna dans la petite pièce, et là son regard fut attiré par quelque chose qui brillait sous la table. Posant son portable sur la chaise, il se baissa et ramassa ce qui ressemblait à une pièce, puis la montra au grand jour.

- Faites voir, s’écria le notaire. Ah ! Ça, mais on dirait une « obole », vous savez cette pièce en argent, que les Grecs anciens mettaient dans la bouche des morts, afin qu’ils paient leur passage à Charon, le passeur du Styx, le fleuve des enfers. Je suis numismate, et je puis vous affirmer que cette antiquité vaut son pesant d’or ! Votre oncle était numismate ?

- Ben, j’sais pas, s’entendit répondre Stéphane.

La visite terminée, le notaire les reconduisit au Tréport. Tout au long du chemin, notre couple ne tarissait pas d’éloges : elle est belle, avec quelques travaux… Et puis je suis agent immobilier, travailler là ou ailleurs, ma femme est secrétaire trilingue et je crois savoir que les Anglais achètent beaucoup dans le coin, trouver du boulot ne devrait pas être un problème.

- Ecoutez maître, nous allons accepter l’héritage, d’autant plus que le solde de la succession est très largement positif, même après acquittement des frais de succession.

- Bravo, bonne décision, vous ne le regretterez pas !

Ils repassèrent à l’étude, signèrent une liasse impressionnante de documents, puis se séparèrent, chacun arborant un large sourire.

Pour fêter l’événement, Stéphane entraîna sa femme dans un joli restaurant avec terrasse ouvrant sur le port et la jetée, ils se commandèrent un énorme plateau de fruits de mer, accompagné d’une bouteille de Sancerre.

Après ce déjeuner, ils se rendirent à la villa « les goélands ». Monsieur Pinotet vînt leur ouvrir.

- Entrez, entrez, ça me fait vraiment plaisir, je suis un vieux bonhomme, vous savez, 95 ans dans un mois, dit-il fièrement.

- Vous ne les faites pas, répondit Josette, c’est exactement ce que le vieux bonhomme attendait, alors pourquoi le lui refuser ?

Attablés devant les cafés fumants, très bons au demeurant, Monsieur Pinotet commença son récit.

- Nous avons acheté cette maison, mon épouse et moi en 1942, pendant la guerre, ça n’était pas cher à l’époque. Nous avons connus les précédents propriétaires, je veux parler de ceux qui avaient vendu avant ceux qui avaient cédé la maison à votre parenté !

Ils avaient hérités d’un vague cousin, celui qui avait fait construire la bâtisse, et comme les droits de succession étaient élevés, ils avaient dû débourser une somme assez conséquente afin de l’acquérir, puis les suivants, And.. Andrieux, ils s’appelaient, et enfin votre oncle. Eh bien, croyez moi ou non, ils ont tous disparus, les hommes tout du moins, les femmes sont restées, ce sont elles qui ont vendu.

Il y a eu enquête, vous pensez bien ! Les gendarmes ont imaginé quelque crime crapuleux visant l’héritage !

Seuls vos parents ont disparus ensemble. En tout cas, je suis bien heureux que vous veniez vous installer, mais dépêchez-vous si vous voulez que nous fassions plus ample connaissance, car je n’en ai plus pour bien longtemps !

Allons, allons, Monsieur Pinotet, il ne faut pas dire ça, vous ferez un magnifique centenaire.

Ils se quittèrent sur cette phrase, en remontant dans sa Laguna, Stéphane mit sa main dans la poche : je vais appeler Eric, pour lui apprendre la bonne nouvelle !

Il met sa main dans la poche : merde ! J’ai laissé mon portable dans la « petite pièce », il faut absolument que je le récupère, il embraye un peu sèchement, direction : Le Tréport.

Maître Bournizieux sourit, puis se laisse conduire, je suis pressé a argué Stéphane, on ne voudrait pas rentrer trop tard.

A peine la porte de la villa ouverte, Stéphane et Josette grimpent les marches quatre à quatre, le notaire est resté dans l’entrée, deux étages, tu penses !

Curieux, je pensais avoir laissée la porte de la petite pièce ouverte, à cause de l’odeur de renfermé, déclare Madame en arrivant au second étage.

Stéphane actionne la poignée de la porte et cherche son téléphone… En vain, je l’avais pourtant mis là dit-il à son épouse, en montrant la chaise, il regarde partout, se penche et, au même endroit que précédemment, il aperçoit briller un petit objet, il le ramasse, le porte dans la lumière : une obole, murmure-t-il.