Je me suis laissé dire que la période actuelle serait vaguement propice à une coutume que d'aucuns qualifieraient de charmante (mais je connais d'aucun depuis longtemps : ce n'est qu'un gros con), à une tradition si passéiste et poussiéreuse qu'elle ferait passer Giscard pour un ovule à peine fécondé, à un fatras de niaiseries nimbé de superstitions mal dégrossies, à savoir les vœux de bonne année.

Eh oui, inutile de barguigner, il ne sert à rien de se tordre les mains et de se couvrir la tête de cendres : l’heure approche, les soldes annuels de la plus vile faux-culterie vont commencer.

Car, en vérité, quoi de plus chiant, au sens premier du terme, après avoir passé plusieurs semaines à éviter les contacts douteux et à se laver très méticuleusement les mains une dizaine de fois par jour, que de devoir subir aux premiers jours de janvier les miasmes répugnants de dizaines de cousins, tantes, grands-oncles et collègues de bureau empressés de répandre sur vos joues des traînées baveuses ainsi que l’assurance d’une belle gastro-entérite à venir ? Sans compter que les dits épanchements salivaires s’accompagnent invariablement de vœux convenus et plein d’inanité dont l’effet laxatif n’est plus à démontrer.

Hélas, la pression sociale (terme élégant désignant l’esprit grégaire du troupeau de bœufs) est telle qu’il est difficile d’y couper sauf à passer pour un rustre asocial doublé d’un goujat semi-psychopathe.

Certes, ne le nions pas, il peut parfois y avoir quelque intérêt supérieur à suivre le chemin boueux des conventions.

En effet, quel espoir pourrait avoir le jeune adolescent acnéique d’aller soutirer un ultime billet de cinquante euros à sa vieille mère-grand arthritique, à laquelle il n’a pas une seule fois rendu visite de toute l’année écoulée alors qu’elle habite à deux cents mètres de chez lui, s’il ne se pliait, le moment venu, c’est-à-dire le 1er janvier, à l’exercice des vœux, à savoir un « bOnané mémÉ » essèmessisé, car faut quand même pas déconner, il va pas se pourrir deux heures chez la vioque, elle peut se fendre d’un timbre pour lui envoyer le fric, hein ?

De même, comment l’homme attentionné pourrait-il se tenir informé de l’état de santé de sa chère grand-tante s’il n’allait une fois l’an lui souhaiter une bonne santé, avec une sincérité d’autant plus remarquable qu’il espère lors de chaque visite annuelle détecter les petits signes annonciateurs d’une maladie qui emporterait enfin cette vieille peau qui ne sait plus quoi faire de son fric et dont il est l’unique héritier ?

Citons enfin l’homme politique dont le destin présidentiel s’est accompli et qui, une fois l’an, ne saurait déroger, sous peine de sévère correction dans les sondages d’opinion, à la plaisante coutume des vœux télévisés, au cours de laquelle un accessoiriste doit lui chatouiller, hors cadre, les orteils pour qu’il puisse arborer une ébauche de sourire patelin en lieu et place du rictus chargé de morgue qui lui vient naturellement au visage dès qu’il s’agit de s’adresser à la populace.

Mais pour ces quelques exemples où les mièvreries mielleuses proférées trouvent une justification dont on ne saurait contester la robustesse, combien de vœux niaiseux bramés sur les douze coups de minuit, juste pour se fondre dans le tiède moule de la médiocrité, avec autant d’empathie pour leurs destinataires que pour les canards dont les foies cirrhotiques parfument encore les haleines entre deux relents de mauvais vin mousseux ?

Oui, ne nous leurrons pas : les souhaiteurs de bonne année sont une engeance dont la nocuité n’est plus à démontrer. Essayez simplement de dénombrer les personnes à qui vous avez un jour adressé vos vœux de bonne santé et qui sont mortes au cours de l’année qui a suivi dans d’atroces souffrances !

Alors, pas nuisibles, les vœux ? Généralisons : si l’on considère qu'environ 0,9% de la population meurt chaque année et que, dans l’immense majorité des cas, les défunts s’étaient vu souhaiter une bonne année le 1er janvier, on peut conclure sans hésiter que les vœux pas frais tuent bien plus que les listeria et les salmonelles réunies.

Considérons maintenant le contexte actuel. C’est la crise. Attention, pas la petite crisounette de rien du tout que l’on soigne en deux temps, trois mouvements avec une bonne dose de libéralisme et deux de vaseline ! Non, la crise, la grosse crise, celle que les têtes à CAC du Palais Brognard seront les derniers à vous annoncer, vu qu’il leur faut vite refourguer toute la merde aux petits porteurs avant que ça ne plonge pour de bon. Oui, LA crise, die grosse Krise mit un K majuscule, comme dans Kaputt ! Du genre de celles qu’on ne voit qu’une fois par siècle et dont on n’émerge difficilement qu’au bout d’une vingtaine d’années et de quelques millions de morts.

Bref, si vous espérez vous en tirer en réduisant légèrement votre train de vie (remplacer le beurre par de la margarine, échanger votre portable contre deux pots de yaourts reliés par une ficelle, aller en vacances à la Petite Moule plutôt qu’à la Grande Motte, etc.), vous êtes bien loin du compte ! Commencez donc plutôt par vous constituer des stocks de graines de topinambours et, si vous désirez apporter quelques protéines animales à votre alimentation, pensez également à vous équiper de pièges à rats.

Toute cette longue introduction (alors, heureuse ?) pour bien vous faire comprendre la situation dans laquelle je me trouve embourbé :

1°) les vœux niaiseux et consensuels, ce n’est pas vraiment ma tasse de Darjeeling avec une feuille de menthe et un nuage de lait, merci ;

2°) oui mais les impératifs de la bonne tenue de blog m’imposent de ménager les neuneus décérébrés qui me lisent en les caressant dans le sens du poil et en leur souhaitant la bonne année (les doigts croisés derrière mon dos, je vous rassure) ;

3°) re-oui mais, ce faisant, je m’identifierais trop au quidam agitant son mouchoir sur les quais de Southampton en 1912 et criant bon voyage à ses cousins embarqués pour une croisière de rêve à bord du Titanic.

Car, sachez-le, l’hypocrisie et le souci de préserver l’audience de ce blog ont des limites : celle de ma déontologie (mot élégant servant généralement à exprimer l’idée qu’il faut allonger quelques biftons supplémentaires). Faux-cul peut-être, mais avec un vrai fond !

Ne pouvant par ailleurs me résoudre, par souci d’originalité, à recourir au même subterfuge que l’an dernier, à savoir laisser à un algorithme le soin de faire à ma place le sale boulot des vœux, je vais donc me livrer avec quelques jours d'avance, quand bien même cela me laissera un goût de rance dans la bouche, à ce labeur que je honnis tant… Allez, je me concentre, je prends ma respiration, et c'est parti...


Bonne chance pour 2009, tous mes vœux de survie !


Et maintenant, veuillez me laisser seul, s’il vous plaît, je vais me retirer dans mes appartements pour récupérer, je me sens si las…