Olaf Irfuse avait un problème certain d'excédent pondéral. Bon vivant, il aimait la bonne chère, les soirées dans de grands restaurants, les originalités des grands chefs comme les roboratives recettes traditionnelles. Il sacrifiait aussi à la beauté sous toutes ses formes, aux beautés sous toutes leurs formes, surtout les plantureuses, les pulpeuses, mais les exercices physiques auxquels ils s'adonnaient généralement suite à ces sorties gastronomiques, si elles suffirent pendant de longues années à éliminer les calories superflues, eurent, l'âge venant, de plus en plus de difficulté à l'aider à conserver son poids idéal.

Olaf n'était pas le genre à s'infliger volontairement des privations, mais il se laissa tenter par des publicités prônant sans vergogne "Perdez vos kilos en trop sans vous restreindre" ou "Maigrir sans régime". Des arnaques, bien entendu, comme celle des régimes dissociés à la "Moncognac" qui préconisent de se gaver d'un produit, partant du principe qu'on va s'en dégoûter et que, quand tout vous fera vomir, vous maigrirez.

Faux, comme vous pouvez l'imaginer : vous vous goinfrez de ce que vous aimez et vous vous boudinez derechef.

De guerre lasse, comme c'était un viandard de première, il se dit qu'il allait essayer un régime hyperprotéiné, facile, agréable, à condition bien sûr de fuir comme la peste les sachets remplis de sciure insipide que des commerciaux tortionnaires essayaient de refourguer sans pitié à la population souffrante et rondelette. Au prix d'une drogue dure garantie non-coupée au saccharose.

Non non, il n'y avait pas marqué "pigeon" sur son gros bedon. Il se rendit chez son boucher et lui commanda des kilos et des kilos de viande de boeuf sans aucune trace de gras qu'il fit hacher en surveillant attentivement la qualité. De retour chez lui, il se prépara un tartare avec un œuf, des condiments, du persil, des tas de bonnes choses en évitant les mauvaises : les sauces et l'huile. Et il se sustenta en suivant ce menu pendant quelques semaines avec beaucoup de plaisir car il adorait le tartare.

Le résultat ne se fit pas attendre. Tout le monde sait ou devrait savoir qu'il est déconseillé de manger du bœuf mal cuit, alors vous pensez, cru ? Statistiquement d'ailleurs, le français aimant sa viande saignante, attraper un taenia solium n'est pas une vue de l'esprit, ça a l'air même assez courant si j'en crois les nombreuses discussions sur le sujet dans les divers forums.

En tout cas, Olaf en avait bel et bien avalé un œuf et le régime suivi ne semblait pas contrarier le taenia le moins du monde. Il profitait, grossissait, faisait comme chez lui. Olaf sentait l'animal à sang froid se faufiler, faire des allers retours, la nourriture et la boisson forcément assurée puisque le choix laissé n'en était pas un : le nourrir ou mourir.

Chose étrange, amphitryon obligatoire de ce ver peu ragoûtant, il ne prit pas l'affaire en mal et vit le côté positif de cette présence intérieure : son nouveau régime était tout trouvé et réunissait tous les avantages. Il pouvait désormais manger ce qui lui ferait plaisir et sans se limiter niveau quantités. Non seulement il renoua avec ses habitudes de boustifaille à gogo mais ses amies le félicitant pour sa sveltesse retrouvée, les aventures et les bonnes fortunes ne lui manquèrent pas. Son copain le ver, bien traité, ne lui causait aucun désagrément, ses seules manifestations visibles étant des bouts d'anneaux plats qu'il retrouvait parfois dans ses sous-vêtements. Une rapide recherche internètique lui apprit qu'il s'agissait de sacs d'œufs que son taenia lâchait dans la nature, à charge pour eux de se dégotter un hôte accueillant et généreux, un père ou une mère nourricier.

Une idée germa dans le cerveau olafien. Il en rencontrait, des monceaux de filles et de gars persécutés par les canons de beauté normatifs trimballés par les mannequins anorexiques de la publicité. Ce n'était pas ce qui manquait, les joyeux lurons avec une bonne épaisseur de chair ferme autour des os, de chouettes poignées d'amour auxquelles se raccrocher dans les mouvements "furioso" et des joues bien rebondies. Mais ils se désolaient, se décrivaient comme obèses et rêvaient de rejoindre la cohorte des culs tristounets tout plissés, des côtes à faire pleurer sur la faim dans le monde et des genoux de squelette.

Un marché gigantesque lui tendait les bras. Il était l'exemple vivant et convainquant du régime parfait absolu, taillé sur mesure pour tous ceux qui, comme lui, ne souhaitaient pas modifier d'un iota leurs habitudes alimentaires. Il allait leur vendre ses œufs de ténia. Investissement zéro, marché sans limite, bénéfices maximum, satisfait ou remboursé. Et si par hasard, un cas tournait mal, les solutions médicamenteuses existaient.

La discrétion s'imposait. D'abord les amis, puis le bouche à oreille, une gigantesque boule commerciale commença à rouler, à s'enfler à chaque tour, l'argent rentrait à flots. Aucun client ne mouftait, personne n'a envie de crier sur les toits qu'il a en permanence une espèce de boa dans le cul, ça ne le ferait pas dans les soirées mondaines. Une affaire en or, invisible, nette d'impôts, et qui rendait les humains heureux, c'est-y pas beau ?

Lui si papillon en matière sexuelle, lui célibataire forcené avide de multiples aventures, Olaf tomba un jour amoureux d'une de ses clientes, une fille magnifique, jeune et qui lui rendait ses sentiments, enfin, c'est ce qu'il lisait dans ses yeux. Contrairement à son habitude, il ne força pas les étapes de la séduction et lui fit une vraie cour d'un romantisme échevelé, l'invitant tour à tour dans les endroits les plus extravagants et lui écrivant les poèmes les plus passionnés.

Un soir printanier, sur une des terrasses du San Pietro, un hôtel qui fait corps intimement avec la beauté sidérante des rochers de cette côte amalfitaine, il saisit sa main par dessus la table et lui déclara avec fougue qu'il comptait, si elle lui en donnait la permission, consacrer le reste de sa vie à faire son bonheur. Elle lui répondit dans un souffle que son plus cher désir était de le rendre heureux, lui aussi. Ils s'enlacèrent devant la sérénité du golfe de Salerne puis basculèrent sur le grand lit de la suite princière pour une nuit qu'ils savaient devoir être torride.

Olaf se réveilla avec un poids nouveau sur l'estomac. Il se gratta la tête, porta un regard suspicieux sur le superbe corps nu de sa compagne, alanguie à ses côtés, comprit dans un éclair et se frappa le front. Bon dieu mais c'est bien sûr : elle m'a refilé le sien !

Son ver ni lui n'étaient plus solitaires.