- Ho Pascal ! Allez viens on va s’en j’ter un.

Midi, attablés à la terrasse du café "Les Platanes", Francis, en compagnie de Fernand et Milou, vient d’interpeller le paysan en bleu de travail, casquette délavée rejetée en arrière, croquenots crottés aux pieds.

- Putain con, c’est pas de refus, fait’na chalor a far badar tots los luserts e tots los picataus dau païs, la suor me devala dins la jôtas dau cuôl ! (1)

Tous se marrent de bon cœur.

- Oh Gaston ! Une mominette pour le gamin !

Le patron arrive et en profite pour remettre la tournée aux trois autres.

- Té Pascal, tu ne les as pas revus tes Martiens ?

L’interpellé rosit.

- Fas cagua, Francis, arrête, HO ! Vous n’allez pas m’emmerder toute l’existence avé cette histoire, j’aurais bien voulu vous y voir moi, quand l’espèce de gros limbert gris est descendu de son engin bizarroïde, j’en suis encore tout estranciné !

Deux ans plus tôt, alors que Pascal travaillait à sa vigne, coupant les sarments, binant les pieds...

- Cette vigne, ça t’occupe toute l’année, le sécateur ça te bouffe les pognes, grommelait-il, et ces cons de Parigots, qui z’y comprennent rien ! Leur putain de pinard, ils le font venir de partout. Toi, tu t’escagasses pour une poignée d’olives, et encore pas bien grosses les olives. Au cul de l’âne, il les sentirait pas passer !

Il est là à parler tout seul, comme souvent, il sourit même en voyant dans sa tête les olives au cul de l’âne !

Puis, petit à petit, il prend conscience d’une présence. Il se retourne et là, sur le chemin, à quelques mètres de lui, il voit un truc bizarre, de la taille d’une très grosse voiture, de couleur grise. Aucun reflets : cette chose semble absorber la lumière. Il ne l'a pas entendu arriver. A côté, une créature, un peu plus petite que Pascal, son "visage" ressemble un peu à celui d’un lézard, il est gris lui aussi, mais légèrement brillant, comme si il portait une combinaison très fine et parfaitement ajustée à son corps.

Le "visage" de cette chose n’exprime aucun sentiments. Lentement, elle lève un petit objet, de couleur orangée, le dirige vers Pascal, avant qu’il ait pu comprendre quoi que ce soit, il se sent tout engourdi, comme paralysé, un peu "vapé"… Puis plus rien, le black-out… Le trou de mémoire.

Quand il reprend conscience, le soleil est déjà bas sur l’horizon. Pascal se secoue, comme un chien qui sort de l’eau, se frotte les yeux, sa bouche est sèche, râpeuse, lentement ses idées se rassemblent.

- Voyons, je suis arrivé vers deux heures, il regarde le soleil : ben il est cinq heures environ, qu’est-ce qu’il m’est arrivé ? Le boulot n’a pas avancé !

Il a parlé à voix haute comme à son habitude.

Quand il rentre au village : une vieille église, son campanile en fer forgé, la place et ses platanes centenaires, marché le Samedi et le Mercredi, le reste du temps la pétanque, LE café du village au nom très original, "Les Platanes", et les piliers, attablés, là.

- Ho Pascal ! Qu’est-ce qui t’arrive ? On dirait un hanneton qui a pris un coup d’béret !

- Oh fan, je suis tout ensuqué, si j’vous raconte, vous allez vous foutre de ma gueule ! Oh, Gaston, une mominette !… Non, un grand pastaga ! J’ai une de ces soifs !

A peine servi, Pascal écluse son godet cul sec.

- Peuchère, tu vas nous avaler la Durance, et l’Ubaye avec !

Pascal enchaîne :

- Si vous saviez : y’a un Martien ou je ne sais quoi, qui a atterri dans ma vigne !

- Tu es sûr que tu n’as pas un peu chargé sur le rosé ce midi ? Depuis que la Vivette elle est au cimetière, il me semble que tu leur vois souvent le cul aux bouteilles, à défaut de voir celui des femmes, lui répond Milou d'un air goguenard.

Sans relever la boutade, Pascal continue.

- Eh bé voilà : j’étais dans ma vigne, là-haut, au mas de Bouffaréo, il était deux heures, quand tout à coup, j’ai senti une présence…

Les trois autres écoutent, attentifs.

- Je me suis retourné et j’ai vu un engin de la taille d’un gros 4x4, à coté y’avait une chose… Un truc, c’était pas humain !

- Le pastaga, lâche Milou !

- Te vas ‘massar un pastisson, grand colhon (2) ! Si tu continues, je sais bien ce que j’ai vu, fan ! Puis après, j’sais plus bien, c’est vague, je me suis "récupéré" trois heures plus tard, ensuqué, comme après une cuite, j’avais pas bu nom de Dieu ! Juste un verre ou deux en mangeant, pas de quoi retourner un mulet !

- Eh bé Pascal, tu vas finir avec un entonnoir sur la tête, lâche Fernand, tout en montrant sa bouche édentée.

- Mais non, j’suis pas fada, fan de chichourle, tu m’prends pour un colhon !

Pascal se lève, un peu furieux :

- Bon, j’préfère aller soigner mes chèvres, elles sont moins bêtasses que vous !

- Oh, tu veux mes bottes ? s’esclaffe Fernand.

- Coulhon vaï ! rétorque Pascal.

Le lendemain, comme chaque soir, après la journée, on se retrouve aux "Platanes". Francis tient le journal.

Ouvert devant lui, "La Provence", il commente les évènements :

- Vé ! Encore une disparition, ça commence à en faire un paquet ! Une femme, cette fois, du coté de Pélissanne, putain con t’as eu chaud, toi, Pascal, ce doit être ton "Martien" qui fait le coup, mais t’es trop vieux, ça ne lui aura pas plu ! Te seis mas ‘na meschanta carna (3), dans l’fond c’est mieux pour toi.

Tous se marrent, et on remet la tournée.

Après l’adiussiat rituel, Pascal rentre chez lui, la maison est bien vide depuis la disparition de Vivette, il suspend sa veste de bleu au crochet près de la cheminée, puis se dirige vers l’escalier de la cave, allume la petite ampoule poussiéreuse pendue au plafond, et se dirige vers le grand congélateur, soulève le couvercle.

Dans la pénombre, et combiné au froid du congélo, le jeu de lumière fait légèrement briller sa peau aux reflets un peu argentés, sa main plonge dans le bac et en remonte un bras, un peu grassouillet, la peau est douce et nacrée, assurément celui d'une femme, ce soir Pascal mangera de la daube.



Un grand merci pour ANNE qui m’a traduit en langue d’OC les quelques phrases qui émaillent ce petit billet, encore MERCI.

En voici la traduction :

(1) Il fait une chaleur à faire bailler tous les lézards et les pics-verts du pays : la sueur me desend entre les fesses !

(2) Tu vas ramasser une tarte grand couillon.

(3) Tu n’es qu’une mauvaise carne.