Je le devine bien, vous étiez fous d'inquiétude de ne plus avoir de nouvelles de ma formidable carrière artistique qui ne va pas tarder à décoller. Eh bien, rassurez-vous : je séjourne toujours en Californie et ne suis pas resté les bras croisés au cours des mois de silence radio qui viennent de s'écouler !

Mon ardeur légèrement douchée par le peu d'enthousiasme manifesté par vous, chers lecteurs et lectrices et potentiels acheteurs et achetrices de mon prochain album, à l'écoute de ma dernière maquette, à peu près équivalent à la froideur dont vous aviez fait preuve vis-à-vis de mes précédents essais (, , , , , , et itou), j'ai donc décidé de détruire tous mes enregistrements à grands coups de rangers et de repartir entièrement de zéro.

Finalement, l'énergie brute et primaire, ce n'est pas ce qui convient à vos oreilles de bourgeois encroûtés qu'un pet de travers suffit à effaroucher. Non, il vous faut du doux, du mélodieux, du bien produit ultra-sophistiqué, sans aspérité.

Je décidai donc de changer de nouveau de look et optai pour un smoking, volé emprunté loué chez un fripier des meilleurs tailleurs de la ville, et commençai à déambuler dans les quartiers les plus huppés à la recherche d'un salon où taper l'incruste l'on cause. C'est ainsi que, outre m'empiffrer de petits fours et engloutir des litres de champagne, j'ai sympathisé avec un type aussi bourré que moi gentleman féru d'art qui a su détecter en moi un génie du show-business en devenir.

Comme il me paraissait être pété de thunes un esthète prêt à soutenir financièrement la création artistique, je lui ai proposé de financer la production de mon prochain album qui allait naturellement se vendre par milliards à travers le monde et constituerait donc, en sus, un excellent placement pour lui avec une rentabilité à peine imaginable.

Coup de bol, il m'a baragouiné que c'était OK et que j'avais carte blanche, pour ne pas dire carte bleue. Et d'ailleurs, il était tellement torché enthousiaste qu'il me confia réellement sa carte Platinium assortie du code, en m'assurant que j'avais crédit illimité pour produire mon album.

Vu les conditions glauques relativement sobres dans lesquelles j'avais dû enregistrer mes précédentes maquettes, inutile de vous dire que cela n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd !

Je commençais à chercher un studio digne de ce nom. Je rachetai donc ceux de la Métro Goldwyn Meyer ainsi que tout le quartier environnant sur un rayon de 20 km, car il ne faut pas lésiner : je ne souhaitais pas avoir la visite d'importuns pendant que j'enregistre et me donne tout entier à mon Art.

Puis, après avoir réalisé que les studios en questions étaient en fait des studios cinématographiques, je les fis équiper entièrement en matos audio. Et quand je dis "matos audio", je parle de ce qui se fait de mieux au monde en la matière. Et pour le plaisir, je fis tout dorer à l'or fin avec mes initiales gravées dessus : on a beau n'être qu'à l'aube d'une carrière fulgurante, on n'en a pas moins son petit amour propre !

Ensuite, je recrutai le strict minimum pour mes sessions d'enregistrement, à savoir 3500 ingénieurs du son, 15000 musiciens (dont à peu près tous les orchestres philharmoniques de la planète), un petit millier de producteurs, 20000 agents d'entretien, 300 restaurateurs (les plus grands noms, ça va de soi), 160 coiffeurs, 240 manucures, 16000 masseuses et environ 30000 personnes pour toutes les menues tâches du quotidien. Le strict minimum, quoi ! Ce n'est pas parce mon nouvel ami payait tout que j'allais abuser, vous me connaissez !

Bref, je vous passe les détails, après six mois d'orgi de travail acharné durant lesquels je donnai le meilleur de moi-même, je peux vous assurer que le résultat est à la hauteur de mes ambitions : grandiose ! Nul doute que les gros boeufs fins auditeurs que vous êtes allez vous précipiter sur mon CD dès qu'il aura été pressé à douze milliards d'exemplaires et sera disponible dans le commerce !

D'ailleurs, comme je suis généreux et pas avares de mes deniers, je vous offre gratuitement un morceau de ce qui promet d'être le plus grand disque de tous les temps. Un morceau dont la sophistication de la musique n'a d'égale que la profondeur du texte, sur un thème puissamment subversif. Ça fait bouillonner le cérumen, hein ?




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Tant-Bourrin - Nadine la sardine


Nadine la sardine
Est partie en week-end
Avec ses copines
A Châteauroux dans l'Indre

Dans leur boîte en fer blanc
Au Shopi de la ville
Ce fut si troublant
Elles m'ont fait envie

Car j'ai bon goût
Oui, si bon goût
Oh, j'ai bon goût

Dans sa robe d'huile
Elle était la plus belle
Nous eûmes une idylle
Au fond de ma gamelle

Nadine, ô Nadine
C'était là ton destin
Nos amours se terminent
Dans mes intestins

Car t'as bon goût
Oui, si bon goût
Oh, t'as bon goût
Oh, bon goût

Nadine la sardine
Est partie en week-end
Avec ses copines
A Châteauroux dans l'Indre

Dans leur boîte en fer blanc
Au Shopi de la ville
Ce fut si troublant
Elles m'ont fait envie

Car j'ai bon goût
Oui, si bon goût
Oh, j'ai bon goût
Oh, bon goût

Car t'as bon goût
Oui, t'as bon goût
Oh, t'as bon goût
Oh, bon goût

(Téléchargeable directement ici)


Une seule chose m'étonne un peu : c'est la réaction de mon ami. Déjà, pour commencer, il a débarqué dans le studio, blême, avec un relevé de compte dans sa main tremblante. Et quand, fier comme Artaban, je lui ai fait écouter la maquette, il est devenu encore plus pâle que pâle et s'est mis à marmonner, le regard comme fou : "50 milliards de dollars !... 50 milliards de dollars !... et en plus pour ÇA !!!!"

Et ce que je comprends encore moins, c'est pourquoi il est plus tard allé inventer dans les journaux que les 50 milliards avaient été perdus dans un montage financier frauduleux, alors qu'il aurait pu fièrement annoncer à la face du monde qu'il avait investi un peu d'argent sur le plus talentueux auteur compositeur interprète que la Terre ait jamais porté, c'est-à-dire moi !

Ah, oui, au fait, je ne vous ai pas dit le nom de mon ami, il mérite bien que je lui fasse un peu de publicité : c'est Bernard Madoff.

Hein ?... Quoi ?... Qu'est-ce qu'il y a encore ???... Ça ne va pas ENCORE recommencer ??? Des mauvaises langues (des jaloux, oui !) semblent avoir l'outrecuidance de laisser entendre que tout cela ressemblerait peut-être de façon presque imperceptible à ceci...

Alors là, je suis scié. Mais je ne vais pas en rester là : je vais intenter un procès en diffamation à tous ces médisants et mettre des cohortes d'avocats sur le coup, na !

Et, d'ailleurs, je vais demander à Bernard s'il peut m'en prêter quelques-uns des siens, il paraît qu'il en utilise beaucoup en ce moment...