Marrant de vous avoir donné la recette des migas et jamais celle du couscous ?

Je me souviens : je travaillais dans le téléphone à l'époque, ou plus exactement pour une petite boite qui se faisait exploiter par les encore PTT (Petits Travaux Tranquilles). Ben oui, la privatisation est un concept déjà ancien. En 76, un fonctionnaire coûtait déjà passablement cher, alors le vrai travail productif était sous-traité à un "privé", externalisé, délocalisé, appelez ça comme vous voulez mais le principe est le même. Aux PTT les relations avec les clients, les contrôles, les soumissions de marchés (abonnés, dépannage, tirage de lignes aériennes, souterraines...). Le système est basé sur les "enveloppes" ; emportera le marché celui qui fera l'offre la mieux disante ou, le plus souvent, la moins élevée. Classiquement, l'année suivante, fort de sa réputation et de la qualité du travail fourni, l'entreprise privée qui a eu le marché sur le secteur essaye de proposer cette fois-ci un prix un peu plus élevé. Et hop, c'est un concurrent nouveau qui débarque, qui casse les prix, travaille souvent à la limite de la perte en mettant ses ouvriers sous pression. La première boite fait faillite, et la deuxième rembauche en principe les ouvriers licenciés économiques de la première boite, qui connaissent bien leur secteur. J'ai été licencié 3 fois avec ce système. Bonjour la sécurité de l'emploi ! Évidemment, les syndicats étaient contre ce choix décidé au plus haut niveau des administrations pour des raisons strictement économiques. Les quelques ouvriers fonctionnaires PTT, EDF ou SNCF s'occupant de chantiers résiduels, regardent les privés d'un œil noir et les détestent, disons le mot. Nous étions des briseurs de grève, nous baclions notre boulot (ce qui était faux, vu les contrôles très sévères où leurs tendances sadiques donnaient leur pleine mesure), nous empêchions les postes supplémentaires que les syndicats réclamaient à grands cris. Nous, de notre côté, ricanions peu charitablement de leur rythme de travail ridicule (4 fois inférieur à nos stakhanovistes résultats) et du célèbre glandeur restant au pied de l'échelle "pour la sécurité" tandis que son collègue y montait.

Ceci représentant la relation de base, certains rapports humains préférentiels pouvaient interférer. Un de mes homologues de chez France Télécom, me voyant quillé en haut de mon échelle 3 brins, en plein virage dans une rue très passante en automobilistes pressés, le pied de l'échelle sur la chaussée car le trottoir était inexistant à ce endroit, a installé pour me protéger, son véhicule de service, ses warnings et son panneau "Travaux" réglementaire. Sympa car le patron ne nous fournissait bien entendu aucun matériel de sécurité et de toute façon, nous étions tellement sous pression qu'aller chercher la voiture à 100 mètres était inenvisageable en termes de temps perdu. Un autre "camarade du service public", me voyant englué dans une "façade" d'au moins 50 mètres, déplia son échelle et se mit à planter ses cavaliers à mes côtés. La solidarité ouvrière existe et peut ensoleiller une journée pluvieuse.

Mais à propos de soleil, j'étais parti il me semble pour vous parler de couscous. Oui, j'avais donc les clefs des centraux téléphoniques et communiquer ne me coutait pas cher. Je téléphonais durant des heures à mes potes et à ma moman en particulier pour lui extorquer ses recettes savoureuses. Si je suis plutôt du genre à innover en cuisine, je pense que mon couscous ressemble beaucoup à celui de ma mère. C'est trop important pour que je me laisse aller à faire le malin, il s'agit quand même du plat national d'Afrique du Nord, à ne pas confondre avec le Maghreb de canard.

Bon écartons d'emblée les hérésies tunisiennes (pour chochottes) ou les variations marocaines touristiques (pour fillettes only). On vient d'Algérie, comme Chimène, et par tous les couscoussiers, on y revient. On oubliera cependant d'utiliser du beurre rance. Ce serait certes un retour aux fondamentaux, mais la mise en œuvre, en nos heures javellisées, en serait complexe. Point de raisins secs, non plus, de pruneaux, encore moins de tomates, pas de lait. Des légumes, de la viande, de l'huile d'olive, du ras-el-hanout et de la harissa. Et c'est tout ! Allez, un peu de sel, vaï.

Pas n'importe quels légumes, hein ? Hier soir, cerise sur le mokhrout, un des invités avait des allergies. Mais pas qu'une, plein, et des spéciales. Un cas d'école : ses parents sont maraichers dans le coin et son terrain de jeux étant gosse, c'était les serres, j'imagine ? Les serres de légumes et leurs 40 traitements chimiques annuels. Pour peu que le gosse ait eu la détestable habitude de se sucer le pouce ou de se ronger les ongles, il ne doit pas falloir chercher ailleurs l'origine de ses maux. Je lui ai donc concocté un couscous spécial "traumatisé du progrès agronomique" avec de la courgette, de l'aubergine et du poivron. Tous les autres léguminacées l'auraient envoyé aux urgences et l'ambiance de notre petite fête en eut été dépréciée. Ouf il a conservé sa tronche de cachet d'aspirine du début à la fin du repas et nous avons échappé aux pustules explosant dans des tons verts et bleus qui auraient juré avec les couleurs chaudes de notre intérieur.

Nous autres avons eu droit à la panoplie complète et riche des légumes autorisés par ma mère pour la confection du couscous. Aaaargh, non, mon fournisseur n'avait pas le céleri-branche, alors ça, c'était la cata catastrophique, si vous me permettez cette redondance. Je considère le céleri-branche comme un des légumes incontournable ! Et ben j'ai été obligé, l'âme aux portes de la mort, de m'en passer. Dure épreuve que je ne souhaite à aucun bédouin, ni à sa fille.

Mais je m'aperçois que si je ne commence pas par le début, vous n'allez rien comprendre. Oui, on commence pas faire revenir la viande, c'est logique vu que c'est ce qui met le plus de temps à cuire. On va prendre l'exemple basique du couscous-mouton (coscos-moto en version originale). Si vous êtes riche, vous prenez un gigot ou une épaule ou les deux. Ma mère mettait des hauts-de-côtes et du collier. C'était divin. Enfin bon, j'arrête, je me fais du mal. Vous désossez sommairement (vous n'êtes pas professionnel et moi non plus) votre gigot et vous mettez les os à bouillir dans un fond d'eau (non, pas dans un fondouk). La viande récupérée, vous la découpez en "parts", selon combien vous êtes et vous les faites revenir à l'huile d'olive dans un faitout en tôle, à feu vif : faut qu'elle soit saisie, voire qu'elle "attrape" un peu. Certaines viandes rejettent de l'eau. Videz cette eau jusqu'à ce que la viande soit sèche, grillée et qu'elle attrape au fond du récipient (pour que le message s'imprime bien dans les mémoires, n'hésitez pas à vous répéter).

Vous aurez bien sûr préparé auparavant tous les légumes, lavé, épluché, découpé en lanières (choux, poivrons...) ou en morceaux les légumes, selon les disponibilités. Si vous les mettez tous ce sera meilleur, bien sûr.

Les indispensables sont les légumes "avec un goût prononcé" : les navets, le céleri-branche, les cœurs d'artichauts "maison" (le coup de main est assez simple à attraper, ne faites pas l'idiotie ignominieuse d'acheter de fades cœurs d'artichauts en boite), les poivrons, les aubergines...

On y ajoute des plus classiques comme les carottes, le chou, les courgettes et bien sûr aulx et oignons...

Donc vous avez fait revenir dans votre faitout espagnol (une tôle peu épaisse qui transmet très bien la chaleur) ou dans votre wok, ça marche très bien aussi, vos morceaux de viande, à feu vif. La viande a attrapé. Vous enlevez la viande, que vous videz là où les os sont en train de bouillir. Ce deuxième récipient est en principe le couscoussier et doit pouvoir contenir l'ensemble du bouillon à la fin. Mais il peut être une grosse cocotte.

Vous allez maintenant faire revenir tous vos légumes, espèce par espèce, dans le faitout/wok qui a servi à faire revenir la viande. Entre chaque espèce, versez un peu d'huile d'olive et faites revenir à feu vif, très vif. Le nez est important : le légume doit exprimer sa personnalité sans que ça sente le charbon. Au fur et à mesure, on verse chaque légume dans le "pot commun", qui est sur un autre feu à côté, où ils continuent à cuire avec la viande, et le ras-el-.hanout, et la harissa, selon goûts.

Il y a un ordre (les légumes les plus longs à cuire en premier) mais je ne me souviens jamais lequel. Je crois que les carottes et les navets, pleins de fibres, sont assez "durs à cuire", surtout s'ils n'ont pas été découpés dans le sens de la longueur ! Le chou doit être bien cuit aussi, pour des histoires de digestion. Il y aura peut-être des spécialistes dans les commentaires, qui pourront préciser ce point de doctrine ?

Voilà. Il faut bien 1 heure ou 1 heure et 1/2 de cuisson, à feu doux, voire plus. À surveiller. Il y a belle lurette que je ne fais plus la graine au couscoussier, au dessus du bouillon. Les graines modernes sont toutes pré-cuites, même si ce n'est pas marqué sur la boite et deviennent toutes molles, cuites à la vapeur. Non, je suis passé à la cuisine du 3ième millénaire : je fais gonfler ma graine avec un peu d'eau froide, il en faut très peu (2 verres de cantine pour 1 kg). J'attends que ça gonfle, ça se prend en masse, je l'émiette et je la mets dans un plat en terre qui va au micro-ondes et je fais cuire 20 minutes, faut qu'elle soit très chaude.

Hier soir (c'est pour ça que j'ai reculé mon jour de billet) nous étions 27 attablés et j'ai utilisé pour la première fois le faitout espagnol de 60 centimètres de diamètre que nous avions acheté à Port-Bou en nous doutant bien que nous en aurions un jour l'usage. Je dois reconnaitre que l'arrivée sur la table d'une telle gamelle a le chic pour instiller dans les esprits l'idée qu'il ne sera pas nécessaire de se battre pour assurer sa subsistance. Le plus inquiet des convives se sent aussi sec libéré de toute angoisse abstinentielle.

La faim n'est rien, mais la soif ? Les mille et une pierres amenés par l'ami Philippe, en bio absolue, culture et vinification, se sont laissés siroter sans se débattre.

Le phénoménal calva de tonneau (1997) de notre rare et regretté Lorent a eu bien plus qu'un succès d'estime, dans le service de verres à liqueur à nous légué par la hoirie S... grâce au codicille proposé par Françoise .

Certains invités en auraient-ils abusé ? Toujours est-il que seulement quelques minutes après leur départ, ils retoquent à notre porte et nous demandent un café, celui-ci afin de rédiger dans le calme et la convivialité un Constat Amiable d'Accident, le pare-choc de l'un ayant embouti la portière de l'autre, qui, de l'avis unanime des témoins, ne lui avait strictement rien fait.

Et cette violence gratuite, sous nos fenêtres. Les médias n'évoquent donc pas sans de bonnes raisons les méfaits dus à la consommation excessive d'alcool ?