C'est une calanque de la chaine de l'Estaque, sur la commune du Rove, avé la vue dégagée sur toute la baie de Marseille. Va-z-y, répète cette phrase avec l'accent du Midi et tu commenceras à entendre grincer les cigales. Ô peuchère, qu'on est déjà le 26 juin et qu'elles n'ont même pas encore commencé à se racler la gorge et faire leurs vocalises. Tu verrais ça, toi, qu'il ait trop pleuvu cet hiver et qu'elles se soient toutes noyées ? Ça serait un coup à faire fuir les touristes ! Que c'est fragile, un touriste ! Pas de cigales, pas d'encouragement du commerce local. Pas de soleil, on retourne à Corbeil !

Nous, on s'en passerait bien, des cigales. Les cigales, c'est un peu comme si t'écoutais ta radio bloquée sur une fréquence linéaire, monotone, sans surprises, triste, conforme, uniforme... Oui, t'as raison, un peu comme une France-Inter rêvée par les duettistes Rudolf Hees et Philippe Pétain. Et leur sarco-trafiquant.

L'État, mon actionnaire, comme ils disent dans leur jargon baveux, ces limaces. Et le peuple, vos auditeurs, vous y pensez quelquefois ? On s'assoie dessus, on les tronche, aussi fort qu'on nous a tronché, aussi profond qu'on s'est laissé troncher. Transmets, corromps, projette, fais aux autres ce qu'on t'a fait, venge-toi. Et n'oublie pas que tu as fait tout ça pour avoir le pouvoir, et que le pouvoir, tu l'as.

Alors, de quoi te plains-tu ? Ben c'est à dire que ça ne ressemble pas trop à mes rêves de petit garçon ? Ah bé c'est qu'on peut pas tout avoir dans la vie, mon petit !

Finalement et tout bien réfléchi, je préfère les cigales.

Et puis Niolon, c'est adossé au massif, et avec le viaduc du chemin de fer qui fait barrage, tu sens pas le Mistral, même s'il boufe comme le soufflet de forge du diable. Et pis même en plein cagnard, tu as toujours la fraicheur de la mer. Oui car l'eau s'évapore et en s'évaporant, elle crée du froid, c'est le principe de la gargoulette de ma mère suspendue à une branche du poivrier. En gros, quand il fait chaud, la terre emmagasine de la chaleur et la mer, du froid. Donc à Niolon, sans Mistral et sans températures à te faire te dessécher sur place, tu peux supporter stoïquement le métronome rouillé des cigales.

C'est pourtant pas l'huile d'olive qui leur manque, dans le quartier.

Je te sens intéressé, tout à coup. Comment est-ce que l'on ferait-on si je voudrasse y aller, te dis-tu ?

Le mieux : tu prends le bus 36 sur la Canebière et tu descends à l'Estaque-port. Tu m'entends : tu descends pas à l'Estaque-plage, tu descends à l'Estaque-port ! Tu montes sur ton pointu et tu suis la côte jusqu'à Niolon. Là, tu te gâves. Tu te gâves les yeux de toute cette lumière qui fait reluire la mer et qui chauffe les rochers à blanc. Tu te gâves les narines d'iode, de sueur d'écailles et de poison d'oursin, à la saison. Ça sent tellement le large, le bouquet garni et le Guédiguian que tu resteras fidélisé le long de cette côte, scotché à vie, avec un désir comac d'y revenir le plus souvent possible.

Tu n'as peut-être pas de pointu, ni même d'anneau à l'Estaque, mesquin que tu es ? Alorsse il te reste une chance de faire le riche à peu de frais. Prends un ticket à la gare Saint-Charles sur cette ligne mythique, "Le petit train de la côte bleue", qui a coûté 20 millions de francs-or au début du siècle et au contribuable français. Ou, si nous sommes en été, monte sans payer dans un des wagons pleins de racailles des quartiers Nord qui vont se baigner sur les rares plages. Le contrôleur te laissera tranquille.

Tu peux choisir ta destination parmi ces noms qui ont fait briller tant de prunelles : plage Napoléon, La Couronne, Sausset-les-pins, Carry-le-Rouet, La Redonne-Ensuès, Le Rove....

...mais suis mon conseil et descends à Niolon.