La très aventureuse vie du Chevalier de Tant-Bourrin et de son écuyer Saoul-Fifre (Chapitre XVI)
Par Tant-Bourrin, dimanche 23 janvier 2011 à 00:11 :: Chroniques médiévales :: #1391 :: rss
(lecture préalable des chroniques précédentes conseillée)
Où le Chevalier de Tant-Bourrin fait une concession
XIIIème siècle après Jésus-Christ - Quelque part dans le Royaume de France
L'étrange équipage cheminait, piteux et grelottant, sous la pluie glacée d'un rude hiver médiéval.
En tête, le Chevalier de Tant-Bourrin, l'œil terne, perdu dans de folles pensées, les épaules affaissées, arborant une face longue de trois coudées, chevauchait dans le tintement métallique de son armure déstructurée, l'aura plus en berne que jamais.
Derrière, bien loin derrière, son écuyer Saoul-Fifre, dont l'aura de mouches semblait à son apogée, s'escrimait péniblement à tirer derrière lui tout son bardas ainsi que le petit nécessaire de voyage du Chevalier.
Couvert de sueur et de gouttes de pluie mêlées, il haletait, rageait, ahanait, soupirait, au bord de l'apoplexie. Il faut dire que le nécessaire de voyage d'un Chevalier, en ces rudes temps moyenâgeux, pesait son poids, ne serait-ce que parce qu'il comprenait - entre autres ! - une enclume pour les petits travaux de raccommodage sur les armures. Et si Saoul-Fifre en était réduit à jouer les bêtes de trait au lieu de se laisser, comme à son habitude, mollement porter par sa vieille bourrique miteuse, c'est que ladite bourrique n'était plus : elle avait fini par succomber, victime d'une crise cardiaque, sous l'ardeur des assauts du Chevalier.
A l'instant précis où la malheureuse bête avait rendu son dernier soupir, le philtre d'amour avait cessé d'agir et le Chevalier de Tant-Bourrin avait recouvré tout aussitôt son entendement. Bien que ce qu'il découvrit alors - ses mâles attributs emmanchés dans un cadavre de bourrique - dépassa légèrement l'entendement en question. C'est cette vision d'horreur d'une copulation nécro-zoophile que le Chevalier s'efforçait depuis lors de chasser de son esprit de plus en plus tourmenté.
- Messyre !... Messyre !... MESSYYYYYRE !!!
Saoul-Fifre, ventripotent, aviné et allergique à toute forme d'exercice, n'arrivait plus à suivre le train du Chevalier et de son blanc destrier.
- MESSYYYYYYYYYYYYRE !!! Attendesz-moy !!! Par pitiéééé !!!
Les cris de goret de Saoul-Fifre finirent par tirer le Chevalier de son introspection. Il tira sur les rênes de son cheval pour faire halte, et attendit que son écuyer, plus rougeoyant que jamais, finisse par le rejoindre.
- Messyre, ce n'estoit plus possyble, dit ce dernier entre deux halètements, je ne pouvois contynuer ainsy plus long temps !
- Oui, en effect, ce n'estoit plus possyble : la noble queste d'un Chevalier ne pouvoit estre ralentie par le pas lourd et pesant d'un escuyer ! Je te mandois doncques de presser la tienne allure !
- Heu... Messyre, sans avoir l'outre-cuistance de vous contredyre, je voulois bien mais ne pouvois poinct ! Depuys qu'avesz trucydé la mienne vieille bourricque en défonsçant la sienne rondel...
BLONK !!!
Le plat du hachoir du Chevalier venait de s'abattre lourdement sur le crâne de l'écuyer qui, pour frotter son occiput endolori, lâcha le sac contenant l'enclume. Celui-ci chut sur son pied, lui arrachant un double cri de douleur.
- Mais, Messyre, je vous assurois ! Peut-estre estes-vous, comme le dirait le mien cousin Siguemond Freudayne, dans le déni de la réalyté, mais vous avesz bel et bien enc...
BLOOOOONK !!!
Un second coup de plat de hachoir avait eu raison de l'opiniâtreté de Saoul-Fifre qui, à quatre pattes, s'efforçait de recouvrer ses esprits.
- Cela suffisoit, escuyer des miennes deulx ! Je t'ayois jà dict que le démon m'ayoit envoyé ces viles images pour éprouver la mienne noblesse d'asme, mais que rien de tout cela n'ayoit vrayment existé. Poinct barre.
Saoul-Fifre se garda bien, cette fois-ci, de répliquer à son Maître. Mais il n'en pensait pas moins et regrettait amèrement sa vieille bourrique miteuse, sur laquelle il pouvait, chemin faisant s'offrir le luxe de siestes avinées. « Au moins sera-t-elle morte heureuse », se dit-il en repensant aux derniers braiments extatiques de la pauvre bête.
Sa fureur passée, le Chevalier se frotta le menton, l'air pensif.
- Cecy estant, je te concédois qu'il falloit te trouver novelle monture, je ne pouvois courir le vaste monde et secourir veuves et orphelyns avecques un escuyer quy se traisnoit à des lieues derrière moy ! Dis-moy, sachois-tu où pouvons trouver une mule à acquéryr ?
- Le plus symple, Messyre, estoit de se rendre au bourg, il y ayoit là une conscessyon bourricquière...
- Eh bien, soit, allons-y !
Deux heures plus tard, le Chevalier, suivi de loin par son écuyer exténué, pénétra dans la concession bourricquière en question.
- Bien le bon jour, Messyres ! Renaud, pour vous servir ! Quel bon vent vous amenoit en la mienne conscessyon ?
- Chevalier Hippobert Canasson de Tant-Bourrin. Quant à l'aultre, là, inutyle de luy donner du "Messyre" : ce n'estoit que le mien facquin d'escuyer ! Je souhaitois acquérir une bourricque pour l'aider à transbahuter le mien petyt nécessayre de voyage. Qu'ayois-tu à me proposer ?
- Une bourricque ? Messyre, vous ne pouviesz mieulx tomber : j'estois LE spécialyste de la bourricque ! J'ayois là les derniers modèles, le nec plus ultra de la technologye médiévale ! Suivesz-moy, je vous en priois...
Le vendeur guida le Chevalier, suivi de son écuyer en sueur qui avalait déjà une rasade de mauvaise vinasse pour se remonter, à travers une vaste halle où étaient exposées des dizaines et des dizaines de montures.
- Vous avesz bien rayson de vouloir acheter en ce moment, car cela estoient les derniers jours de la prime à la carcasse : sy vous ramenesz la dépouille de la vostre ancienne bourricque, vous pourresz toucher la prime seigneuriale de mil ducats !... Ah, voilà assurément ce qu'il vous falloit, Messyre ! Miresz plutost cette merveille : c'estoit un modèle sport à la conduyte très nerveuse ! Quatre sabots en V, selle métallisée, fers alliage, ouverture automatycque des étriers, braiment sonore quatre tons... Avouesz que cela ayoit de la gueule !
- J'avouois, j'avouois... mais cela estoit trop tapoit-à-l'œil au mien goust ! Je ne voudrais poinct trop gaster le mien escuyer quy ne le méritoit poinct. Et puys la sienne bourricque finirait par faire de l'ombre au mien blanc destrier !
Sans se départir de son sourire commercial, le vendeur guida alors le Chevalier vers une autre allée, et s'arrêta devant une bourrique beaucoup plus massive que la première.
- Je voyois, je voyois... Messyre préférois plutost le confort aulx performansces sportives ! En ce cas, miresz doncques ce modèle quatre-quatre, ainsy nommé car il ayoit quatre pattes motrices. Grand volume, selle cuir, visyon élevée pour le conducteur, climatisatyon intégrée grasce à cestuy petyt éventail intégré dans la selle, pare-auroch à l'avant : le plaisyr de la chevauchée réinventé !
- Mmh... Qu'estoit-ce que ce chyffre sur la pancarte, là ? Estoit-ce l'asge de la bourricque ?
- Heu... Non, Messyre, c'estoit le nombre de picotins d'avoine qu'elle consommoit aulx cent lieues...
- Quoy ? Le mien escuyer me coustoit jà assez cher, je n'ayois poinct la vocatyon à faire vivre tous les céréalyers de la contrée !
Bien que dépité, le concessionnaire garda sa contenance et mena le Chevalier, suivi de son écuyer qui attaquait sa seconde gourde de vin, vers une autre bourrique, plus quelconque.
- Ceste foys, j'ayois compris ce que vous cherchesz : fi de la vitesse ou d'un confort excessyf ! Vous pensesz, j'en estois convaincu, avant tout à la sécuryté ! N'en dites poinct plus et admiresz plutost ce modèle avecques lequel voyager devenoit plus sûr que dormir en la sienne paillasse : freynage ABS (anti-blocage des sabots), mors assisté, sac à air passager, sacs à air latéraulx, ceinture de sécurité...
- Icelle ressembloit à une ceinture de chasteté comme deulx gouttes d'eau !
- Vous avesz l'œil, Messyre ! Il s'agissoit en effect icy de la versyon fumelle, pour lacquelle sécuryté égaloit chasteté. Mais rassuresz-vous, il existoit une versyon masle !
- Mouays... Je restois dubitatyf : des marauds malodorants, je puis en trouver à chaque coin de ruelle pour remplascer le mien escuyer en cas de besoin, sa sécuryté m'importoit doncques bien peu, et encor moins la sienne chasteté dont il ne restoit plus rien depuys fort longtemps !
Le malheureux commerçant parut cette fois décontenancé.
- Mais que puis-je doncques vous proposer, Messyre ? Aucun écquypement ne sembloit trouver grasce aulx vostres yeulx !
Affolé à l'idée de devoir vendre un modèle de base à vil prix, il chercha désespérément une ultime idée. C'est à ce moment que Saoul-Fifre émit une bruyante éructation après avoir lampé le fond de sa gourde. Le vendeur porta son regard sur la trogne rubiconde de l'écuyer et, soudain, une petite torche s'alluma au-dessus de sa tête : il avait trouvé la solution !
- Venesz, Messyre, j'ayois une dernyère bourricque à vous faire voir : un modèle symple, muni d'un unicque mais précieulx écquypement !
Un instant plus tard, le Chevalier, convaincu, fit affaire avec le concessionnaire.
De nouveau équipé pour l'aventure, l'étrange équipage reprit sa route d'errance.
Devant, le Chevalier de Tant-Bourrin sur son blanc destrier, l'aura toujours en berne mais un infime sourire aux lèvres, satisfait d'avoir choisi pour son écuyer la bourrique dressée par un éthylo-maître pour ne pas avancer tant qu'elle sentirait une odeur de vinasse chez son cavalier.
Loin, très très loin derrière, son écuyer Saoul-Fifre, à l'aura de mouches vrombissantes, fulminait et pestait contre cette foutue saleté de sacrée tête de mule qui refusait d'avancer, affolé à la perspective de devoir choisir entre boire ou conduire sa bourrique.
Car tel était le destin d'un preux Chevalier et de son écuyer en ces temps médiévaux.
Commentaires
1. Le dimanche 23 janvier 2011 à 09:33, par Andiamo
2. Le dimanche 23 janvier 2011 à 09:34, par Bof.
3. Le dimanche 23 janvier 2011 à 09:48, par Saoulfifre
4. Le dimanche 23 janvier 2011 à 11:25, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
5. Le dimanche 23 janvier 2011 à 19:08, par calune
6. Le dimanche 23 janvier 2011 à 19:19, par Mamzelle Kesskadie
7. Le dimanche 23 janvier 2011 à 21:36, par Pascal
8. Le dimanche 23 janvier 2011 à 23:38, par Epaminondas
9. Le dimanche 23 janvier 2011 à 23:42, par Oncle Dan
10. Le lundi 24 janvier 2011 à 05:37, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
11. Le lundi 24 janvier 2011 à 10:02, par Olivier
12. Le lundi 24 janvier 2011 à 12:34, par La Griotte
13. Le lundi 24 janvier 2011 à 19:53, par Martine
14. Le lundi 24 janvier 2011 à 19:59, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
15. Le mardi 25 janvier 2011 à 15:25, par Anne
16. Le mardi 25 janvier 2011 à 17:41, par Freef
17. Le mardi 25 janvier 2011 à 18:59, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
18. Le vendredi 28 janvier 2011 à 18:06, par Freef
19. Le vendredi 28 janvier 2011 à 18:46, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
20. Le samedi 29 janvier 2011 à 18:36, par gdblog
21. Le samedi 29 janvier 2011 à 18:47, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
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