Un jour de 2008, Killian et Thierry ont fermé leur porte et sont partis à pied vers l'Est, avec l'idée de faire le tour du monde sans dépenser plus de deux euros par jour. Six ans plus tard, ils ont marché 17 000 km, sont arrivés en Malaisie et ont l'intention de poursuivre leur périple. Entre bivouacs en plein air, couch surfing et hébergements de fortune, ils respectent leur budget, en s'accordant de temps à autre une folie : dépenser 30 euros en une journée, somme dont ils disent : « avec 30 euros, on peut se faire plaisir n'importe où dans le monde. »

Des récits de voyage pas chers, loin, et surtout non polluants, à base de marche, vélo, cheval, voile…, c'est la « ligne éditoriale » du magazine  Carnets d'aventure. On y croise de jeunes parents qui prennent un congé sabbatique et partent en vélo tandem sur la cordillère des Andes avec leur gamin de deux ans, des potes qui parcourent les îles de la Baltique en canoë-kayak, ou sillonnent la Nouvelle-Zélande à pied pendant trois ans. Mieux que des militants écolos sur le thème de la sobriété heureuse, ces voyageurs donnent envie de consommer peu et de profiter de chaque instant. Ils font rêver parce qu'ils sont réalistes : ils l'ont fait et en sont heureux.

Parmi les animateurs de ce magazine qui booste l'optimisme, il y a Alexis Loireau. Je ne le connais pas, je l'ai découvert avec un petit livre intitulé : « La grâce de l'escalade, petites considérations sur la verticalité et l'élévation de l'homme » (Boréal). J'ai commencé l'escalade il y a un an et demi, sans autre désir que de grimper avec fluidité et si possible élégance. Justesse du geste plutôt que performance. Hélas, les manuels que je trouvais ne parlaient que de matériel et de technique avec en filigrane l'incitation à un esprit de compétition qui n'est pas mien. D'où la divine surprise de ce bouquin poétique qui faisait écho à mon désir d'harmonie.


Alexis Loireau ; crédit photo : France Inter


Un drôle de type, Alexis Loireau. Bon élève, ingénieur sorti d'une grande école puis rentré dans une grosse entreprise qui l'a conduit à bosser en Bolivie, Australie et au Brésil. Où l'appel des hauteurs a été le plus fort. Il a peu à peu glissé du boulot/boulot au boulot plaisir en quittant sa boîte pour créer avec un brésilien la plus grande salle d'escalade du pays. Sans oublier d'aller à la rencontre de falaises et de rochers du monde entier qui ravissent son goût du détail, son amour de la couleur des roches, de la nature, du dénuement et du silence. Il illustre à merveille l'idée qu'en se libérant peu à peu du vacarme ambiant et des images artificielles, on accède à une sorte de plénitude qui ressemble au bonheur. J'ai expérimenté cette sensation il y a quinze ans, lors d'un séjour solitaire de quatre mois en Grèce. Les premiers jours, je m'installais face à la mer avec un livre et de la musique en fond. Puis j'ai arrêté la musique. Enfin, j'ai posé mon livre et goûté un bonheur quasi parfait à simplement contempler la mer pendant des heures. Un voyage immobile, où la peur d'être seule avait fait place au plaisir de la solitude.

Les voyages lointains fascinent, mais ce que j'aime par-dessus tout dans ceux de ces aventuriers économes, c'est l'absence de peur. Ils ne cherchent pas à tout baliser, partent sans gilet jaune fluo ou casque de protection et pensent que les inconnus qu'ils vont côtoyer seront bienveillants, pensée vérifiée dans l'immense majorité des cas. Cette absence de peur n'exclut nullement la lucidité et la prudence, mais change agréablement de la parano quotidienne. Je n'ai jamais rencontré Alexis Loireau et je le regrette car il a une bonne tête, à l'extérieur comme à l'intérieur. (Non, les Blogbos, je ne drague pas! Cessez de croire que l'admiration que j'exprime pour quelqu'un dissimule forcément des turpitudes...)


La grâce de l'escalade