S'il y a une chose qui m'a toujours paru zarbi chez un bon pourcentage de mes contemporains, c'est l'image négative qu'ils ont de la mort. La trouille bête et méchante à la simple idée de la mort, devant une représentation de la mort, l'angoisse durant une conversation sur la mort... Pourquoi ? La permanence de la mort, l'évidence, la certitude, l'égalité de tous devant elle, une des rares qui nous rende cette justice, d'ailleurs, c'est sécurisant, la mort, c'est du solide, du ciment précontraint, on peut compter sur elle à toute heure et en tous lieux, encore mieux qu'un épicier arabe...

Brel nous a légué plein de belles choses, et entres autres : "Mourir, la belle affaire ! Mais vieillir ?..." Là oui, je le suis. Il y a des tas de craintes logiques, raisonnables, humaines, réfléchies et je me méfierais d'un gars qui ne les a pas fortement implantées : la peur de souffrir, de déchoir, la rébellion contre la maladie (inverse de l'hypocondrie), la prudence, l'instinct de survie... On prend conscience du risque, du danger et on fait ce qu'il faut, ce qu'on peut, contre, et s'il n'y a plus rien à faire, on a les chocottes, c'est normal.

La mort, c'est elle qui est normale. Elle fait partie du cycle : nous mourrons, aussi vrai que nous sommes né. Elle est même belle, nécessaire, indispensable. Si la mort n'était pas là pour réduire les effectifs et rajeunir les cadres, le monde serait un wagon de métro à une heure de pointe et ce, sur plusieurs épaisseurs : une gigantesque boîte de sardines. Nous n'en arriverions pas là, d'ailleurs, morts de faim, de soif, de manque d'oxygène, de promiscuité, tués par nos frères humains pour un peu d'espace. C'est d'ailleurs l'avenir que nous promettent quasiment tous les avenirologues. La bombe P (comme population) va nous exploser à la gueule. Et que font nos dirigeants pour désamorcer cet explosif ? Rien. Ils se congratulent mutuellement, ils se frappent sur l'épaule, s'embrassent, se serrent les mains, se félicitent des dernières statistiques : les avancées dans le progrès médical font rendre gorge à la mort et l'espérance de vie augmente ! Ouaih ! On vit plus vieux, certes, mais c'est justement notre problème, bien vu, l'aveugle. Et dans quel état ? Avec quelle qualité de vie ? Et dans un monde ou il y a encore des enfants qui meurent de faim, n'y a t'il pas d'autres combats plus urgents à mener ?

Surfant sur votre peur, tous les menteurs, griffe dans la griffe, essayent de vous refiler le même produit pourrave. Tous les dealers d'opium du peuple, pour vous injecter leur camelote frelatée, ont le même cadeau Bonux : ils vous parlent de la vie éternelle.. Super Concept. Ça fait des millénaires que ça marche. Vous êtes dans la merde aujourd'hui, mais filez moi la dîme, la quête, les offrandes, le denier du culte, faites bien tout ce que je vous dis et là-haut, vous verrez, ça sera vraiment le Paradis, comme on dit : pour vous messieurs, vierges perpétuelles (brevet déposé) pour vous mesdames, un choix de princes charmants au romantisme échevelé (BHL est très demandé)... Tous les prophètes l'ont dit :" Donnez-moi un levier et j'enculerai tout le monde". Ça marche car ils tablent sur la peur du "rien après la mort", du "c'est fini, F.I.N.I.". Quoi, mon bel égo, dégonflé, envolé ? Je n'y peux point croire... Comment la terre tournerait elle sans moi ? On a sûrement droit à un 2ième essai ?

Il n'y a pas de webcam au Paradis. On peut l'imaginer à sa guise, toutes les options sont cochables. Si l'enfer c'est les autres, le Paradis, ça doit être soi. Le vieux rêve magico-enfantin du Pouvoir Absolu.

Les politiques ne nous disent pas autre chose. Ils essayent juste de nous faire croire que le Paradis est sur terre et que ce sont eux qui nous le construisent avec leurs petits doigts. Regardez comme vous êtes heureux : vous vivez plus longtemps ! Et encore, vous n'êtes pas sérieux, si vous arrêtiez de fumer, de boire, de vous droguer, de rouler trop vite, Jeanne Calment serait une jeunette à côté de vous ! Chiche qu'on le fasse, juste pour voir ? Et chiche qu'on s'aperçoive que les chiffres de cancers, de sidas, de suicides, de vieux morts de soif, de maladies nosocomiales, virales, génétiques, mutantes, dégénérescentes, continuent de grimper QUAND MÊME car vous nous concoctez un monde de merde, pollué jusqu'à l'os, qui monte en chaleur et qui sent les métaux lourds irradiés et antibiotiqués ??? Car maladie est de la même famille que malheur.

Parmi les grands trouillards de la mort, on trouve de bien belles têtes pensantes, le roi étant bien évidemment notre cher Cavanna, qui a commis "Stop-crève", en 1976, un recueil involontairement hilarant qui demande des sous au gouvernement pour "la recherche sur l'immortalité". Un must qui pue la peur par tous les pores. Il est talonné de très près par le grand Frédéric Dard qui nous avouait :"Mourir m'angoisse pour ceux que je laisserai derrière moi". Il disait aussi, et c'était chouette de sa part, car un bon rire vaut un steak :"Je n'ai pas la foi..., mais je suis disposé à admettre l'existence d'un être supérieur, agissant sur notre vie...". Brassens, a contrario, regardait la mort dans les yeux, les lui faisant même baisser. "Les quat'z'arts", la chanson qu'il a écrite après la mort de son père, est un acte d'Amour fabuleux : on rend hommage à ses morts en restant aussi vivants qu'ils auraient aimé qu'on le soit. Ça n'empêche pas la mémoire.

Pouvoir parler ainsi de la mort est une chance et je dois en remercier une foule de gens. D'abord les peuples méditerranéens, qui ont une relation à la mort saine et naturelle, très "inchallah". Notre voisine, mamma juive de bédé, appelait ainsi mon copain pour le repas de midi : "Daviiiiiid ! Monte tout de suite ou je te glisse dans la tombe...". On employait des expressions comme "la mort de tes os", "con comme la mort", "le cimetière de Bône ? Envie de mourir, il te donne...". Enfant de chœur est une fonction bénévole. Mais, après les messes d'enterrement, sans doute pour atténuer le côté bien gonflant de la chose (supporter tous ces gens en pleurs, ne pas rigoler...) mon curé nous laissait nous partager la quête. Mes premières années sur cette terre sont des années de guerre. La mort était un sujet de conversation quotidien et elle a frappé des proches. Les coups de feu, les "stroungas" (explosions de bombes) formaient notre fond sonore.

J'ai fait ami-ami, j'ai tutoyé la mort à l'époque des culottes courtes. Quand on va se revoir, on se racontera nos souvenirs de la communale et j'espère, que par fidélité au bon vieux temps, elle me fera bénéficier d'un sursis... avec un motif définitif ! d;~)