L’ouverture de la chasse aux vers de terres a lieu à peu près à la même date que celle aux autres espèces, vu qu’il s’agit de labours et qu’on laboure en automne. Le seul zoziau qui chasse le ver de terre est la mouette. Il n’y a rien d’officiel là-dedans, pas d’examen à passer et c’est vrai que je vois d’autres espèces dans la raie de la charrue mais à mon avis les autres ne s’intéressent pas aux vers mais plutôt aux insectes. La mouette , animal vindicatif , ne supporterait pas sans réagir qu’on lui ôte le ver de la bouche. La mouette est un animal à besoins protéiniques élevés. Sous-ordre des charognards cannibales carnivores. Plus viandard, tu meurs dans d’atroces souffrances. J’en ai vu un vol du côté de Reims, mixte, mouettes et chandons, mais en principe, la mouette vit au bord de la mer et son régime est à base de poissons . Mais à l’automne, les vieilles légendes mouettes leur ayant appris que, comme les marins sont les laboureurs de la mer, selon la belle expression de Victor Hugo qui, lui, labourait la bonne, des bateaux à roues font de même avec la terre, elles migrent vers l’intérieur en grands troupeaux hiérarchisés pour équilibrer un peu leurs apports nutritifs. Mais pas pour rigoler. Elles sont venues BOUFFER DU VER et que celui qui n’est pas d’accord lève le doigt. Et elles sont pas débiles ! Je l’ai vérifié moultes fois : elles doivent avoir leurs taste-vers et dédaignent les terres ou on a forcé un peu trop sur le désherbant et les terres de plaines ou les vers sont assurément bien gras mais un peu mous et guère musclés. Des intellectuels, quoi .

Autant dire que mes lombrics de luxe, biologiques, sportifs et nourris sainement avec de la bonne matière organique sélectionnée et certifiée, les mouettes leur ont décerné un max de fourchettes dans leur Bové-Millau personnel. Cas d’école : le troupeau est à table dans l’équivalent d’un Routier, à 2 bornes de là. Ils reconnaissent le bruit de mon tracteur, ha ça, l’oreille mécanique, ils l’ont ! Ils se lèvent tous comme une seule mouette, s’envolent sans payer, et je les vois rappliquer dans mon champ 3 étoiles pas 2 minutes après avoir commencé à labourer ! Evidemment, ils sont un peu refroidis par les gesticulations de Jade mais c’est pas le genre à laisser se créer des précédents :

« On vient tous les ans à la même place, on a les crocs, les meilleurs vers à 30 bornes à la ronde sont à portée de bec là sous nos pattes, c’est pas un toutou à sa mémère qui va nous impressionner !  Rougntudjuuu ! »

Et c’est vrai qu’un troupeau de mouettes affamé, vu de près, ça fout les jetons ! Ça crie, ça braille, c’est prêt à saigner à blanc sa propre mère juste pour un échantillon minable, on dirait les zombies, dans « La nuit des morts-vivants », mais des zombies accros aux drogues dures et en manque depuis leur enterrement . Ha, c’est pas beau à voir ! Et en plus, elles ont un plan de bataille : elles envoient les jeunes pour appâter Jade et bien la fatiguer en redécollant à peine posées, et, de l’autre côté du champ, les nanties, la France du haut, se goinfrent posément sans risquer l’ulcère. Jade piquait un sprint devant ces visions d’horreur, elle s’auto-énucléait comme le loup de Tex Avery , mais de rage , elle commençait à avoir des boules bientôt grosses comme 2 montgolfières, mais , à tous les coups, les mouettes s’élevaient in extrémis dans les airs avec un ricanement sardonique, et les mâchoires de Jade claquaient dans le vide…

Au moins leur faire peur , les empêcher de se poser… Ça ne serait bien sur qu’une demi-victoire , car Jade a surtout un réel besoin vital de les étriper , de les dépecer , de leur tirer sur les nerfs un par un , jusqu’à la rupture en un bzoiiiing harmonique , de leur enfoncer leurs sales yeux pleins de viande rouge dans le croupion , de les plumer jusqu’au dernier duvet au strip-poker , de leur lire du Robbe-Grillet… Mais des hordes , des nuées , des essaims , des légions romaines de mouettes pullulantes qui vous cachent le soleil , qui vous défoncent le tympan avec le marteau-piqueur de leurs Krrriiiiis effroyables , qui vous arrachent sans vergogne et sans aucune pitié les poils de la queue, et avec, votre dernier espoir, votre dernier sursaut, votre ultime ressort et votre dernière once de fierté .

Aaargh ! Si elle pouvait voler…