Notre amie Cassandre a décidé de sponsoriser le blog de Java , sa chatte fidèle qui est un peu son Milou à elle "car Java, la brav' Java suit Cassandre partout...". Cette décision a réactivé chez moi des souvenirs personnels.

Je vous ai déjà raconté ici et comment nous avons trouvé, sauvé et recueilli cette petite boule noire de Zoulikha, mais celle-ci n'est pas restée l'avortonne mal aimée de ses débuts. Elle a poussé puis est devenue cette grande chatte aux yeux d'hypnotiseuse devant lesquels je redevenais un petit enfant.

En personne honnête et reconnaissante envers la gamelle et le toit que nous lui offrions, elle débarrassait la maison de ses souris. Probatoires, elle nous déposait ses proies sur le seuil , les torturait un peu en leur donnant de faux espoirs d'échappée belle puis les rapatriait au cœur de ses griffes si élégantes où elles mourraient de peur simple, généralement.

Ayant horreur du gaspillage, elle les dépeçait alors en mâchant consciencieusement.

Le reste du temps, elle vivait sa vie libre de chat, nous avions un assez grand jardin mais elle ne dédaignait pas explorer aussi ceux des autres. Elle regagnait ses pénates le soir généralement, miaulait pour qu'on lui ouvre et rejoignait le coin du feu, quelquefois pour se lover en ronronnant dans nos bras, quelquefois préférant un solitaire tête-à-tête avec les flammes.

Car le feu est un vrai frère pour le chat. Leurs yeux pétillent de la même force, ils ont en commun le calme et la vivacité, la douceur et la cruauté, la chaleur de la tendresse et le sadisme de la brûlure. Le chat accepte le feu dans sa famille, il le contemple, l'adule, semble échanger avec lui, s'y reconnait et un tremblement - de crainte ? - ébroue son habit de noirceurs.

Une autre sorte de feu s'emparait épisodiquement de ses entrailles, elle disparaissait alors de longs jours. Des hurlements à la sauvagerie inouïe emplissaient nos nuits. De longs cris rauques pétris de douleur et de plaisir, saisissant nos âmes soi-disant civilisées d'une espèce de souvenance animale.

Elle revenait comblée de ses sabbats nocturnes sur les toits, son regard suivait une direction, une ligne identique à celle que ses semblables avaient suivie un jour, elle prenait des habitudes casanières, son rythme s'alentissait, on la vit fouiller les armoires, les recoins, à la recherche d'un nid possible, sécurisant, mais elle ne le trouva pas chez nous.

Enfant abandonnée par la faute des hommes, elle en gardait à leur égard une défiance insurmontable. Certaine de notre amour pour elle, elle avait moins de certitudes concernant notre acceptation de ses futurs petits, la chair de son sang, ce qui n'était pas bête du tout, pour une bête, si l'on me permet cette antanaclase.

Elle sortit et nous ne sûmes jamais où elle se cacha pour les mettre au monde. Elle nous les ramena, un par un, par la peau du cou, une fois bien démarrés, pour la présentation au reste de la famille, avec quand même une légère appréhension au fond des yeux, quand à notre réaction.

Celle-ci fut chaleureuse, enthousiaste, voyeuse, tripoteuse, mais la sélection naturelle frappa. Il y eut des morts, on nous demanda des chatons à adopter et il n'en resta plus qu'un avec Zoulikha, adorable et bien costaud.

Une chaude après-midi d'été, je les entendais jouer tous les deux dehors. La mère apprenait au petit à faire de l'équilibre sur mon échelle qui était couchée, appuyée contre le mur. Je sortis un peu plus tard, l'échelle au centre de gravité instable avait basculé sur le petit. Je soulevai l'échelle, il m'apparut bien écrasé et surtout bien immobile. Sa mère se mit à le lécher, à le lécher, à le lécher de partout, elle le retournait à grands coups de langue, de patte, de l'air de lui dire : "Ho, tu te réveilles ?".

Elle lécha ainsi son bébé pendant un long moment, avec tout son amour de mère, et puis quand elle sentit qu'il devenait froid, que malgré tous ses efforts la vie avait définitivement quitté ce petit corps, toujours aussi imperturbable, elle entreprit de le manger.