J’ai huit ans. La guerre s’est terminée il y a tout juste deux ans. Je traîne mes guibolles de flamand rose dans les rues de mon quartier, quand je croise François.

J’aime bien François, c’est un « vieux » : il a au moins douze ans ! Dans deux ans, après son certif', il ira bosser. Il est costaud, il veut être maçon comme son père. François, il en sait des trucs ! Surtout sur les filles. Tiens, l’aut’ jour, il m’a dit que les filles, elles avaient des règles tous les mois. Moi, comme un con, je lui ai répondu : « Ben, elles ont de la chance : moi, faut que j’fasse un an avec ma règle en bois, celle qui est dans mon "carton" ».

- Mais non, t’es bête ! Les règles, chez les filles, c’est quand elles ont du sang qui sort par leur nénette…

- Putain, ça doit faire vachtément mal !

- Ben… ça j’sais pas, faudra que j’me rencarde.

- Pendant les vacances, elles ont aussi des règles ?

- Ouais, j’crois bien.

- Putain, j’suis content d’être un garçon !

Et puis on a continué à parler comme ça. Lui, il est en CM2 : encore le fin d’études 1 et le fin d’études 2 et il ira bosser. Son père le fera engager comme « mousse » sur un chantier, c’est lui qui ira au ravitaillement, principalement des douze trous, du rouge de déménageurs pour les compagnons maçons, ça lichetronnait sévère à l’époque !

Un autre jour, alors qu’on jouait aux billes, il s’est ramené avec sa belle tronche fendue d’un large sourire.

- Hé les mômes, suivez-moi, j’vais vous montrer quéque chose, mais faut la boucler, hein ?

Nous, on l’a suivi jusqu’au terrain du père « la Cerise ». Ce terrain faisait l’angle de deux rues. Il y poussait un magnifique cerisier qui donnait, chaque année et en abondance, des cerises un peu aigrelettes que l’on nomme ici : « Montmorency », ailleurs c’est peut-être bien des guignes. C’est bon la Montmorency quand, après une chaude journée d’été, encore gorgée de soleil, vous la faites craquer sous la dent, puis en faisant la bouche en cul de poule, vous envoyez valdinguer le noyau dans la tronche du copain !

Le proprio, un p’tit vieux, nous autorisait à cueillir des cerises pour notre consommation personnelle, à condition qu’on lui remplisse trois ou quatre paniers auparavant.

On s’approche en catimini de la haie de troènes, servant de clôture, et là on entend des sortes de gloussements.

En écartant un peu les branchages, j’aperçois la mère Sureau en compagnie de Mimile, un veuf qui passait la majorité de ses soirées à l’épicerie buvette, située face au terrain du père la Cerise.

Il lui avait relevé sa jupe à la mère Sureau, dévoilant sous ses bas vachement bien filés et titre-bouchonnés des cuisses énormes dignes des jambons qui sont en vitrine chez la mère Fallard, la charcutière de la route des petits ponts.

Elle gloussait, la mèmère, se trémoussait. Moi, j’avais jamais vu ça, je n’en perdais pas une broque….

- Hein mon Mimile, t’as jamais vu une belle femme comme moi ? disait-elle en frappant sur ses cuisses.

Et l’autre pochtron qui balbutiait : ben non, retire ton corsage que je « voye » tes nichons… Et puis quand ça devenait intéressant, y’a la mère de mon pote Roland qui rentrait de « ses ménages », alors on s’est tirés, rapport à l’avoinée qu’on aurait pris si elle nous avait surpris à mater.

Pour en revenir à la mère Fallard, la charcutière, on aimait bien venir « lécher » sa vitrine au moment de Noël. Son mari le charcutier confectionnait un énorme château en saindoux !

Ah ! Comme il était beau ce château, avec son donjon carré, ses créneaux ornant le chemin de ronde. Il poussait le détail jusqu’à agrémenter son chef-d’œuvre de quelques soldats réquisitionnés sans doute dans le coffre à jouets de son gamin.

On voyait un poilu côtoyer un soldat de l’empire, suivi lui-même d’un centurion Romain… Bonjour les anachronismes, le père Fallard, il en avait rien à secouer !

Un jour, on était restés plus longtemps qu’à l’habitude à contempler et commenter ce trésor de l’architecture médiévale en miniature, quand tout à coup la mère Fallard déboule, nichons ballotants, double menton frémissant :

- Tirez-vous, tas de salopiots !

Salopiots, nous ? Alors on est revenus un moment plus tard et on a glavioté sur sa putain de vitrine, à la mère Fallard. Des cachous mortels, bien gras, qu’on est allé chercher bien profond, ça dégoulinait vilain, et puis on s’est tirés. Elle a bien dû se douter d’où venait la vacherie mais : pas vu, pas pris !

C’est encore François qui nous avait appris qu’en devenant « grand », ben… on aurait du poil à la zézette ! Moi, ça m’avait un peu foutu l’trac : j’me voyais déjà avec la quéquette toute poilue comme la queue de mon chien, les battements en moins quand je serai content !

Je n’avais pas osé poser de questions, j’aurais passé pour un con, mes potes n’en savaient pas plus que moi, chacun restait dans son coin faisant comme si « il savait ». Enfin, à partir de ce jour, j’ai guetté l’apparition des frisottements, et je ne devais pas être le seul !

Et puis y’en a qui disaient : « ben quand les filles elles ont fini de voir pousser leurs nichons, elles sont bonnes à marier ». Déduction faisant office de sentence, alors chacun guettait les nichons de sa ou ses frangines afin de voir si la date du mariage approchait.

Y’avait pas un jeudi sans qu’on organise un concours de : celui qui pisse le plus loin ou le plus haut ! Parfois, en voulant arroser plus haut que le pote, on arrivait à se pisser dessus ! Mais bon, ça nous faisait marrer, y’a pas de petit plaisir.

Et pis t’as vu : y’avait pô d’quilles avec nous ! A l’époque, les gisquettes ne jouaient pas avec les garçons dans la rue, ou pas trop, les Mamans les gardaient à la maison. Les « bandes » de copains étaient composées de cinq ou six galopins, pas plus, et ça suffisait largement à notre bonheur.