Byalpel est en train de nous raconter la pire semaine qu'il ait connu. Faut dire qu'il traverse une sale période : mistralose carabinée attrapée à Marseille, et puis les antibiotiques et l'alcool n'ont pas fait bon ménage, une grosse déprime au boulot s'en est ensuivie, d'autant que le garde champêtre avec son tambour a annoncé le retour de Kim Bauer :^(

Une qui est de retour également, mais là, c'est pas jour de deuil, mais de fête, à la "Jacques Tati", c'est Salomé , et elle nous apprend que sa mère était directrice d'école ! Et ben, association d'idées, comme d'hab', je fonctionne que comme ça, va falloir vous y faire, ça m'a fait penser à ma PIRE ANNÉE SCOLAIRE.

Rentrée 62. J'ai donc 6 ans et quelques, et, c'est marrant, pendant les vacances, mes parents ont décidé de déménager et de quitter l'Algérie. Je sais pas quelle mouche les a piqué, mais elle en a piqué d'autres, car nous ne sommes pas tout seuls sur ce quai d'Oran, à attendre un bateau. "Tiens, voilà l'bateau, le bateau, le bateau, le baaateau...". Coucou Byalpel, heureusement qu'on avait l'humour, merci mon dieu, c'est pas qu'on l'a perdu, mais faut pas comparer un gadget avec une planche de salut, une combinaison de survie...

Mon père faisant rarement les choses comme les autres, alors que l'immense majorité des candidats aux charters ont choisi Marseille comme destination, nous avons pris le bateau pour Alicante, puis traversé l'Espagne pour venir nous échouer sur la plage d'Hendaye. Une petite bourgade balnéaire épatante, aux loyers intéressants à condition de s'engager à libérer les lieux avant le rush estival.

Mes parents allèrent nous inscrire à l'école publique, ma sœur et moi. Comme je savais lire, écrire et compter, ils négocièrent mon passage en 10ième (équivalent du CE1). Il fallut passer un petit test que je réussis. Je sais maintenant que les enseignants DÉTESTENT octroyer ce genre de passe-droit. Au lieu d'y voir un hommage à la compétence de leurs prédécesseurs, ils y voient un orgueil déplacé des parents et une immaturité obligatoire de l'enfant ainsi "poussé". En l'occurrence, ils n'avaient pas tort, mon père a toujours affiché pour nous une ambition scolaire inversement proportionnelle à la longueur de ses propres études. Enfin : comme le père de TB, il avait obtenu son certificat d'études. Et moi, les événements récents ayant sans doute perturbé mes repères et mon échelle de valeurs, il n'était peut-être pas vraiment judicieux de m'envoyer ainsi à l'assaut de la montagne des savoirs avec un an de moins que mes camarades apprentis-alpinistes. Outre ces 2 raisons classiques et pédagogiques qui avaient soulevé la méfiance de mon futur Maître d'école, quelques réflexions désagréables de sa part, sur notre origine pied-noir, firent comprendre à mes parents que je n'étais pas sorti de l'auberge.

Si, dans toutes les matières, je me débrouillais à peu près, ce connard réussit à me coincer en calcul. Ce n'est pas que j'aie un problème particulier avec les chiffres, mais ce gros porc m'a fâché avec les tables de multiplication. J'ai bloqué. Certaines cases étant vides (marrez-vous, marrez-vous, je vous prends aux Echecs quand vous voulez q:^) je suis obligé de compenser en faisant la multiplication d'avant, plus une addition... Il y avait 2 sortes de punitions :
- Privé de récréation. Sympa. Si j'ai eu 10 récréations dans l'année, c'est le bout du monde. Çà parait incroyable, mais c'est vrai.
- Des lignes. Copier 500 fois la table fautive. Ça commençait à coûter cher en papier, j'y passais mes soirées, ma mère me suppliait : "Mais applique-toi, tu les sais, à force de les recopier..." Bon, c'est vrai que j'étais un peu testard, je copiais tous les 7, puis tous les X, puis les chiffres dans l'ordre, puis les =, et puis, pour les résultats, j'en copiais plusieurs à la fois, c'était pas très malin, je le reconnais, mais cet espèce de pédophobe m'avait dans le nez, j'allais pas céder, non ?

Il y avait une 3ième punition : tous les samedis, il y avait séance cinéma. Il fallait amener 10 cts. Bon, j'étais toujours puni de cinéma (les fortes têtes, il faut les mater) et quand je n'étais pas puni, je n'avais pas les 10 cts ! Il ne me punissait pas, exceptionnellement, mais comme je n'avais pas les 10 cts, je restais dans la classe, et mes copains allaient voir le film dans la classe à côté. J'avais droit à la bande-son, à travers le mur. C'est pas du sadisme, ça ? Il aurait pas pu me les prêter, les 10 cts, cette pourriture de moisi >8 ? J'ai vu un seul film dans l'année : Crin-Blanc.

Bon, sur les trois raisons qu'il avait de ne pas être content, j'étais quand même innocent comme l'agneau qui vient de naître ? Je ne pouvais qu'obéir à mes parents, pour cette histoire de classe sautée, et j'étais quand même un peu jeune pour faire partie de l'OAS, et qu'on me mette sur le dos les erreurs de la colonisation q:^) ? C'était du racisme à l'état pur. Ce bourreau de l'inquisition laïque s'appelait Monsieur Comtesse. Je respecte les anonymats, en principe, il a dû crever, depuis, dans d'atroces souffrances, j'espère, mais là, je mets son vrai nom pour que sa famille ait honte q:^).

Ce saligaud, ce gland vérolé n'a pas réussi à me dégoûter d'apprendre, il ne m'a pas privé du plaisir de la découverte, de la connaissance. L'année suivante, je débarquais dans la classe unique d'un petit village de Dordogne dont le Maître, le "Monsieur", comme nous disions, me fascina littéralement, et obtint de moi le maximum.