... donne-nous la Paix !

J'ai toujours pensé que Bof ajoutait par ses commentaires sous nos billets un peu de ces racines authentiques qui nous manquent ou dont nous sommes éloignés. En acceptant de rejoindre notre joyeux (mais pas que) Dream Team, il concourrait au rayonnement de son Limouzi tant aimé ? Ce n'est pas faute de lui avoir fait de pressants et allusifs appels du pied dans ce sens. Mais MÔssieur aime se faire prier de remettre la sienne. Alors j'insiste, et en attendant une réponse positive, je suis bien obligé d'user d'expédients pour vous faire profiter de sa plume ironique, enlevée et précise, bien que trempée plus souvent que de raison dans une encre à teneur alcoolisée élevée. Je n'en suis pas à mon coup d'essai puisque vous avez déjà pu vous délecter de la prose bofienne ? bofeuse ? bofesque ? en tous les cas pleine de bravitude ...

Je sais, je sais, je prends des risques : un jour viendra ou Bof ne m'écrira plus de peur de retrouver ses épîtres publiées, d'ailleurs il a commencé puisque ce billet potentiel avait Margotte pour destinataire désignée. Mais je ne l'ai pas pris en traître : sitôt reçu le mail je lui répondis ceci :

-"Ho mais avec très peu de modifications, ça peut faire un très beau billet, ça q:^) !!"

... qui le laissa coi, stoïque et non-bronchant, ce que j'interprétai comme une autorisation en bon uniforme.

Musique !

Ma chère Margotte,

je passe de bonnes vacances et je vous embrasse tous bien fort, même cet affreux Saoulfifre. Non, c'est même pas vrai, je prends seulement un jour de RTT demain pour un travail extrêmement très important. Ce soir, nous avons déposé au pied de l'alambic ambulant, Alex et moi, la récolte 2006 qui sera distillée dès demain matin à 5 h 30. Après avoir examiné les bidons, le distillateur a été catégorique : " rien à voir avec ce que tu m'as fait bouillir l'an dernier ". Nous avons donc de gros espoirs sur la qualité des produits (prune et poire) mais aussi, ce qui n'est pas pour me déplaire, sur la quantité de ces produits. C'est pour cela que je tenais à te remercier pour ces jolis bouchons qui neigent: je viens de leur trouver un usage, mais je suis sûr que tu n'en doutais pas. Demain à cette heure-ci, je serai peut-être en prison suite à un contrôle d'alcoolémie, au CHU suite à un coma éthylique, ou en train de me frotter les mains devant le résultat de la distillation. Je profite de l'évocation de tous ces aléas pour te dire que si je meurs demain d'avoir trop goûté la gnôle trop fraîche et trop forte, j'emporterai avec moi dans l'au delà le souvenir de cousins que j'aurais peut-être pu connaître plus tôt mais que je serai content d'avoir connu au crépuscule de ma vie. C'est la faute à la culture de bandes, culture tant répandue dans ce Limousin si austère et si sauvage, et si peu peuplé, ce qui devrait être un obstacle à la culture de bandes, justement : ma famille fréquentait les campagnards, votre famille ne fréquentait que les villauds, membres émerites de divers Cercles et autres inventions bourgeoises. Je vais maintenant essayer de trouver assez de bouteilles - je le répète, j'ai de gros espoirs pour demain - que je vais devoir rincer pour stocker mes jus de fruits corsés. Il fait nuit, je vais avoir des engelures sur mes mains martyrisées par le dur labeur de bouilleur de cru, mais sache, Margotte, que si nous nous revoyons, si Dieu, dans sa grande bonté, me prête vie, que je t'en ferai goûter de ce produit, toi qui nous a offert des bouchons qui neigent. Pour ton mec, je réfléchirai, si bien entendu, Dieu, dans sa grande bonté, me laisse cette possibilité. Peut-être adieu les cousins de Provence, si maladroits, si dangereux : promis, demain, s'il ne m'est rien arrivé, je vous donnerai les résultats de la distillation. Hé, hé, hé !

Cher Saoulfifre

Tu verrais la cour, on dirait un bidonville : cinq bidons bleus de 60 litres chacun et deux jolis, noirs, de 30 litres pièce, lavés à l'eau de source sèchent tranquillement au soleil avant d'être remontés au grenier, prêts à faire leur boulot à la prochaine récolte. Il y a aussi un jerrican de 25 litres qui sèche lui aussi. Il a servi ce matin à ramener une première coulée qui sent bien bon, ma foi, et que nous avons déjà mise dans une bonbonne de verre. Pour l'instant, tout va bien, mieux que sur le plan. On remplit la cuve de l'alambic, le feu brûle en permanence, ce qui fait qu'on ne perd pas de temps: une coulée à 53 degrés, on vide la cuve, on la remplit à nouveau, et ça repart. Ca sent bon, il y a des vapeurs dans la tente du distillateur, on goûte le produit pour être sûr qu'il soit bon, on surveille ça de près, quoi. Normal, après tout le mal qu'on s'est donné pour ramasser les fruits : le dos cassé, la chaleur sur le râble, les guêpes et autres sales bêtes à éviter, parce que, sais tu, mon cher Saoulfifre, que ces sales bêtes aiment les fruits bien murs elles aussi ? La lutte pour la vie, quoi : l'Homme risque sa peau pour prendre un petit grog de temps en temps, en hiver, quand il est malade et qu'il se dit que le lendemain matin, il devra quand même se lever dans la nuit noire et se jeter à la mine, dans le troisième niveau tout noir lui aussi. Bon, j'y reviens.

Bon, les bidons sont au grenier, la boisson dans des récipients en verre, l'alambic s'en va demain faire de nouveaux heureux dans le secteur de Bujaleuf. Je n'ai pas fait de coma éthylique, je n'ai pas été coincé par les gendarmes : bref, je me frotte les mains, tant et tant, que des crevasses commencent à se former entre les cals nés de l'usage de la pioche et de la pelle, outils très usités par les mineurs. Ces crevasses ne m'inquiètent nullement, je peux maintenant les désinfecter avec un fond de gnôle et revenir dès demain travailler comme un forcené. Donc, je suis vivant, j'ai un tout petit peu reconstitué le stock d'eau de feu, je pense que ça va aller : encore une épreuve surmontée.