Non mais quel trou du cul je suis !

Ho mais comme il est bordé de jolies médailles !

Du cul, j'en ai toujours eu. Au propre comme au figuré. L'un n'irait pas sans l'autre ? Je ne veux pas le croire, il faut se méfier des généralisations. Dans le malheur comme dans le bonheur, il faut avoir de la chance, s'en convaincre, en être convaincu, se le répéter ad libidum, jusqu'à ce que sa libido n'en puisse plus, en une espèce de méthode Coué à l'action non prouvée (on n'a rien trouvé dans les pilules Coué), mais à l'efficacité certaine, et c'est quand même le principal. Personnellement, j'ai toujours préféré une arnaque de charlatan sans diplôme qui me remet sur pieds, à un vrai médicament sérieux, scientifique et estampillé qui me fout la chiasse, me rend allergique, me déclenche une maladie chronique et me tapisse de boutons. Chacun ses goûts.

Mon métier se résumant en fait à utiliser des machines dangereuses, contondantes, perforantes, prolongées d'accessoires en acier haute résistance, je suis devenu prudent par la force des choses. Je suis toujours concentré, réfléchi, je suis comme Coco le perroquet : je ne lâche pas le premier barreau avant d'avoir fermement saisi le suivant. Alors bon, n'ayant jamais eu d'accident, n'ayant plus jamais remis les pieds dans un hôpital depuis une amygdalectomie à l'âge de 15 ans, toute utilisation devant moi de mots comme "chute", "urgences", "fracture" induit automatiquement sur mes lèvres un petit sourire paternaliste et condescendant, puisqu'intimement persuadé que les catastrophes n'arrivent qu'aux têtes-en-l'air dotées de tendances suicidaires.

Bon ben je suis ravi de vous apprendre que mon taux de connerie a vertigineusement baissé en quelques heures, remettant en question tout un système de valeurs basé sur une loi de distribution hasardeuse aux critères abusivement optimistes.

Jeudi soir, notre chantier de couverture tirait à sa fin. Il restait à fixer sur la charpente une dernière plaque d'Everite ©. On la place bien où il faut qu'elle soit, on trace là ou il va falloir faire les trous par où vont passer les tire-fonds (grosses vis) qui fixent les plaques sur les pannes en bois. Faisant allusion à une vieille tradition qui veut qu'on boive un coup sur le toit quand la cheminée ou la couverture est finie de poser, je lance aux 3 autres présents : "Allez, quand on a terminé, je fais péter une roteuse de tisane !". Trois "Ooooouuuaiiiiiiiis !" enthousiastes me répondent et nous continuons, légèrement excités par cette perspective.

Je suis au bout de l'échelle, à environ 3,5 m de hauteur, le vide à ma droite, et je me sens pas très à l'aise. L'échelle est vieille, je n'ai pas une confiance exagérée en elle. J'ai le torse qui dépasse de la plaque, je tends la main, j'empoigne la perceuse à batterie munie de sa mèche de 6,5 mm et je fais le premier trou dans la plaque. Je suis pas "à ma main", la mèche ne coupe plus trop, je me fais chier, la journée est finie, je suis "le patron", je dis au collègue qui est sur le toit, un peu plus à l'aise : "Finis, j'y arrive pas". Et je reste là, tranquille, les yeux vers cet horizon magnifique dans le soir qui descend, tandis qu'il finit les 2 trous qu'il reste à percer...

Pour sécuriser ma position, je n'avais rien trouvé de mieux que de m'agripper à la poutre, dans le petit espace entre la poutre et l'ondulation de la plaque... Erreur ! C'est une douleur vrillante qui me fit me rendre compte que cet emplacement était situé juste à l'endroit où le copain perçait le dernier trou. Putain, j'étais le messie de retour de Palestine et, temps modernes obligent, ils étaient en train de me fixer à la croix à l'aide d'une visseuse-dévisseuse portative Wurth ©, le fournisseur des pros ! D'habitude, c'est dans les bas-fonds qu'on pousse les hauts cris, mais là c'était effectivement en haut d'une échelle. Mon hurlement souffreteux interloqua légèrement le légionnaire romain sur le toit qui ne faisait qu'obéir aux ordres, finalement, mais qui releva sa perceuse, on ne sait jamais. Je n'attendis pas qu'il recommence, et, ma main libérée, je descendis aussi précipitamment que possible jusqu'au plancher des vaches en gueulant "Oh putain, Oh putain que je suis con...". Sur le toit d'ailleurs, le tortionnaire malgré lui me renvoyait mon écho : "Mais qu'il est con, Oh putain, mais qu'il est con...", d'un air si désespéré que je me retournai aussitôt en lui lançant : "Tu n'y es pour rien, G., ce n'est absolument pas de ta faute !", tout en houspillant mon fils : "Dépêche-toi, tu m'amènes aux urgences, prends ma sacoche, un rouleau de sopalin, démerde-toi, bordel !"

Bon, je déteste "ne pas être celui qui conduit", alors évidemment, me laisser mener par un djeun's qui vient d'avoir son permis, il en a entendu de toutes les couleurs : accélère, freine, rétrograde, attention, essaye qu'on arrive vivants, tu seras gentil... Les urgences, vous savez ce que c'est : on se demande toujours pourquoi on les appelle comme ça, vu que le personnel est toujours d'un calme olympien et disparaît dans les entrailles de la structure si vous insistez pour lui faire bouger son gros cul. Et bien là, non, dès que je suis entré, une pin-up en blouse blanche s'est intéressée à mon cas, a voulu voir ma plaie, m'a dit de jeter mes 12 épaisseurs de Sopalin saturées de sang dans une poubelle qu'elle m'a montré du doigt, et qu'on allait s'occuper de moi de suite. Effectivement, aussitôt dans la salle d'attente, une infirmière m'apporta une compresse adéquate, désinfectante et anti-coulures. Et dès qu'un malade sortit, la même revint en demandant "le monsieur à la plaie", alors qu'il y avait plusieurs "patients" sans doute moins gravement atteints, mais arrivés avant moi ?

Je vous passe les détails, vérification sommaire aux urgences, diagnostic réservé, et prise de rendez-vous le lendemain avec un spécialiste. Je vous la fais courte, mais le lendemain, toute l'équipe soignante m'a laissé sur le cul par sa bonne humeur, la bonne ambiance régnante, la compétence... C'était "comme à la maison", on parlait de nos vies, de nos soucis, personne n'a essayé de me bourrer le mou, je le précise car, comme j'y ai fait allusion en début de billet, j'ai un a-priori très très négatif envers tout ce qui est médical. D'ailleurs, tout ce qu'ils m'ont prescrit comme antibiotiques, analgésiques, anti-inflammatoires, je n'y ai pas touché, mon corps est tout à fait capable de se les fabriquer tout seuls... Par contre, le côté "découpeurs de viande" et "vérificateurs d'intégrité des tendons", ils sont très forts. Un petit "moins" pour l'anesthésiste, adorable et sympathique, mais mauvais calculateur de dose, car j'ai morflé grave pendant la découpe, mais bon, comme le chirurgien opérait plus vite que son ombre, je n'ai pas souffert trop longtemps.

Résultat des courses : et ben j'ai une veine de cocu, la mèche est passée juste entre 2 tendons, et le légionnaire romain a arrêté d'appuyer avant d'atteindre un os. Contrairement à ce que l'on m'avait dit, je n'ai pas souffert quand l'effet de l'anesthésie a cessé et mes doigts ont déjà retrouvé quasi toute leur mobilité.

En toute sincérité, et n'en déplaise à Antenor, je préfère cette fin souriante que j'ai arrosé aussi sec, sans même vous attendre ni vous inviter.

J'ai juste un problème : il m'ont mis en arrêt de travail jusqu'au 23 Février ! Je suis à mon compte alors je sais pas à qui l'envoyer ? À moi-même ? Ça intéresse quelqu'un ? Un peu de blanco, et vous changez le nom ?

Le lieu du crime

L'arme du crime

La victime