Quand elle m'a fait ce cadeau-là, cela faisait plus d'un an qu'elle n'acceptait que de coucher, et qu'avec moi, cette allumeuse. Mondieumondieu comme notre monde va vite ! De mon temps, avant de se laisser mettre le doigt dans l'anus, heu, l'anneau, une fille tenait fermement à ce que le garçon lui glisse d'abord au doigt la bague ? Enfin, un peu avant mon temps, n'exagérons rien, mais on m'a raconté. Bon, dans ce cas précis, pour les grands mots, les "toujours", sa réponse était : non ! Tireli panpan larirette crac crac zieute là dessous moussaillon si ya la mousson, toujours partante et gagnante bien placée, mais pour parler sérieux, projets, promesses, serments, y avait plus personne. Laisse que je me tâte, hésitation et re-tâtage, pour vérifier.

Bon, je n'avais rien du gendre, ni du mari idéal. Rien chez moi ne semblait sécurisant. De toutes les qualités qu'on lui avait dit de rechercher chez un futur époux, je n'avais aucune. Mais j'avais tous les défauts dont on lui avait dit de se méfier.

C'était mal barré.

Et puis un jour, elle m'a peint cette aquarelle pour mon anniversaire.

J'avais calculé devant elle que, puisqu'elle était fille unique et que je venais d'une fratrie de 6, il convenait de faire la moyenne entre nous, ce qui donnait 6 + 1 = 7, que l'on divise par 2 et qui nous donne 3,5. Je voulais donc 3 enfants, ou 4, et elle avait eu l'air d'accord.

Sur le tableau, on voit bien les 3 enfants, la fille, de dos, blonde avec les couettes au premier plan, un garçon plus loin, qui fait de la trottinette, et un autre tout à droite, bien ressemblant pour qui l'a connu à cet âge. Les 3 enfants dont aucun n'est encore conçu à l'heure de la conception de ce tableau.

La vie que nous allons vivre est elle aussi bien décrite : plein d'animaux, chien, chevaux, chèvres, des arbres fruitiers, des fêtes avec de longues tablées. Le repas dessiné fait un peu "repas d'enterrement", mais depuis que je suis passé "ordonnateur de pompes guillerettes", l'ambiance en a toujours été joyeuse.

Ce paysage a environ 21 ans. Il a été sa manière de me dire :

"D'accod'ac. Je sens que ça peut marcher, qu'on peut passer à la marche suivante, enclencher la deuxième vitesse, foncer..."

On a dû mettre en route le premier lutin des collines quelques mois plus tard.