Quand je suis arrivé dans la ferme de fous que "j'exploite", je mets des guillemets car c'est sans doute elle qui m'exploite, il ne restait comme outils qu'une brouette et une fourche. Mon beau-père avait vendu, donné, filé au ferrailleur tous les outils, dont un beau tracteur à chenilles, de peur que quelqu'un lui demande de s'en servir. Plus d'outils, plus de travail, plus de problèmes... Margotte et moi avons racheté petit à petit le matériel nécessaire, tout en nous faisant pourrir par l'autre zouave avec des arguments du genre "Mais qu'est-ce que vous voulez faire d'un tracteur ?". Oui, effectivement, quelle drôle d'idée d'acheter un tracteur pour s'occuper d'une ferme de 100 hectares dont 35 de cultivables ?? Quand j'y repense, il était zarbi, le beaup.

Je suis allé voir les voisins. Je leur ai racheté du matériel qu'il leur avait filé gratuit. On a trouvé un superbe petit Same d'occasion, en parfait état, et le premier outil que j'ai acheté fut un broyeur à marteaux, un truc devant qui rien ne résistait et je me mis à récupérer des terres avec, en broyant les ronces et les arbres qui les avaient colonisé, envahi.

J'ai fait la connaissance de mes amis les rolliers grâce à ce broyeur. Avec son rotor qui déchiquette toute la végétation, il met un brave bordel dans le biotope, et comme le rollier est surtout insectivore, il repérait l'outil et rappliquait sur le chantier aussi sec pour se régaler de toutes ces petites bestioles mortes, ensuquées ou juste étonnées de plus rien reconnaître autour d'elles. Le rollier d'Europe, donc, puisque nous avions fini par l'identifier à partir de bouquins, est un oiseau magnifique mais il a son petit caractère : il est très vindicatif avec les autres oiseaux et je l'ai d'ailleurs toujours vu seul ou en famille. En cas de disette d'insectes, il est bien capable de se croquer un bébé bergeronnette ou un petit lézard. En fait il est très courageux et a un peu une attitude de rapace. Je l'ai vu un jour faire le malin pour épater une femelle. Il plongeait en piqué et redressait son vol au dernier moment, au ras du sol, d'un air de dire : "Et des comme ça, t'en as déjà vu ?". Et puis des vrilles, des loopings, des huit, des vols sur le dos, tout ça pour persuader l'autre que sa génétique valait le coup d'être perpétuée...

La femelle, bec béant devant tant d'exploits, a dû lui dire oui-da, car je les ai revus revenir l'été suivant, pour faire bouffer de la poussière de broyeur au petit. Ha, il en menait pas large, le petit. C'est que ça fait du bruit, et puis c'est impressionnant, ce gros engin qui vous fonce dessus d'un air déterminé. Qu'est-ce qui m'veut, çui-là ? Je me rappelle, je broyais des tiges de sorgho qu'avait laissé la moissonneuse, avec plein d'autres mauvaises herbes. Donc je quadrillais consciencieusement mon champ en décalant un peu mon passage à chaque ligne. Les parents m'attendaient, perchés sur une tige située à l'endroit précis où la roue avant du tracteur allait passer. Le petit aussi, bien obligé sinon il prenait une rouste, enfin, sûrement pas, mais un petit fait toujours comme ses parents. C'est l'éducation par l'exemple. Bon. Le monstre mécanique approchait inexorablement, accompagné de nuisances sonores considérables. Je voyais le petit rollier devenir nerveux, osciller avec inquiétude sur son perchoir, regarder ses parents imperturbables, et finir par prendre ses ailes à son coup alors que j'étais encore à 15 mètres de lui. Les parents, eux, stoïques, s'envolaient au strict tout dernier moment, juste avant d'être écrasés... Le petit voletait au dessus d'eux, d'un air de dire : "Mes parents sont oufs. Quelle famille de merde, je vais me retrouver orphelin avec leurs conneries... !"

Passage suivant, même scénario. Mais le petit s'envole à 10 mètres de la roue du tracteur. "Quel froussard, ce mioche..." doivent penser les parents, mais bon, ya du mieux. Et ben, ils lui ont fait faire cet exercice pendant une heure, jusqu'à ce qu'il s'envole en même temps qu'eux, et pas avant !

Leçon du jour du petit rollier

1) Ce gars est un brave gars. Il a beau avoir cette grosse machine bruyante, il ne nous a jamais fait de mal.

2) Juste derrière le tracteur, il y a de la bouffe 3 étoiles toute fraîche. Donc, attendre le passage du tracteur, s'envoler au dernier moment, se reposer derrière et se gaver.

3) Le bruit abominable du broyeur est un DOUX bruit. Il est sympa, prometteur de félicités gastronomiques. Il ne faut pas en avoir peur.

4) De toutes façons, on est des rolliers, on a peur de dégun, pour les trouillards, faut aller voir ailleurs !

Ho, des oiseaux, j'en vois plein. Et des pas courants. On est en pleine zone natura 2000 spécialisée dans la protection des zoziaux. Pour l'anecdote, regardez la carte. Au milieu de la zone de protection, il y a un territoire non colorié en vert, et donc non concerné par la zone Natura 2000. Il s'agit d'un camp d'entraînement militaire. J'en déduis que les troufions ont conservé le droit de tirer sur les oiseaux rares ?

Ya des espèces très communes, voire banales, sur le site : c'est les triples buses, les crapahuts et le couard galonné des plaines, avec son joli plumage kaki.

Et elles sont loin d'être en voie de disparition.