La très aventureuse vie du Chevalier de Tant-Bourrin et de son écuyer Saoul-Fifre (Chapitre XI)
Par Tant-Bourrin, vendredi 15 décembre 2006 à 00:11 :: Chroniques médiévales :: #546 :: rss
(lecture préalable des chapitres I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX et X conseillée - Test de connaissances optionnel)
Où le Chevalier de Tant-Bourrin se met en location
XIIIème siècle après Jésus-Christ - Quelque part dans le Royaume de France
L'étrange équipage cheminait sur le chemin glacé d'un mois de décembre médiéval plutôt frais pour la saison.
En tête, sur son blanc destrier, le Chevalier de Tant-Bourrin, l'aura en berne et son idéal Chevaleresque au fond des chaussettes, tout déconfit par ses précédents avatars, cheminait, l'oeil impassible. Derrière, sur sa bourrique miteuse, trottinait son écuyer Saoul-Fifre, enfin débarrassé de son aura de mouches par la grâce de l'hiver, mais qui ne profitait pas pour autant du paysage enfin à ses yeux dévoilé, préférant finir de cuver son vin en ronflant avec ardeur après avoir mis sa bourrique miteuse sur pilote automatique.
Le sommeil de ce dernier fut toutefois troublé par une mouche résiduelle plus résistante que les autres qui crut pertinent d'aller se blottir au chaud dans la narine de l'écuyer. La pauvre bête (la mouche, pas Saoul-Fifre) mourut sur le champ, assommée par les vapeurs d'alcool qui s'en exhalaient, mais le chatouillis dans ses naseaux eut pour effet de réveiller l'écuyer en le faisant bruyamment éternuer.
- Aaa... aaaatchiiii ! Pouacre ! La malepeste estoit de cesteulx foutus insectes grattoit-tarins !
Le Chevalier de Tant-Bourrin, de son côté, ne disait rien. A y regarder de plus près, il semblait encore plus abattu que de coutume : son teint était blafard, son regard se perdait dans le vide, sa mâchoire restait serrée et il poussait de temps à autre des soupirs à fendre l'âme, soupirs tellement sonores que même son soûlard d'écuyer finit par les entendre.
- Mays qu'avesz-vous doncques, Maistre ? Vous me semblesz bien soucieulx ? Estoit-ce la constipatyon quy travailloit la vostre tripaille ? Je pensois que devrions manger plus de légumes car cela estoit bon pour le transyt intest...
BLAAAM !!!
Le plat du lourd hachoir à viande du Chevalier de Tant-Bourrin venait de s'abattre sur le crâne de Saoul-Fifre, mettant fin aussi sec à ses digressions diététiques.
- Fermois doncques le tien clapet à merdasse ! Ne voyois-tu doncques poinct que je souffrois le martyre ?
- Qu'avesz-vous doncques, Maistre, si ce n'estoit poinct la vostre tripaille quy vous faisoit souffrir ?
- Il y ayoit, sombre gueulx mal dégrossy, qu'un preulx Chevalier ayoit avant tout un coeur, et que le mien estoit gros de ne pouvoir recueillir les chastes faveurs de la Dame des miennes pensées, la doulce Calcinée du Grozosieau ! Las, mil foys las ! Je voyois bien que cela estoit sans espoyr ! Je pensois qu'allois proposer les miens services pour la prochaine croisade, aultant me consacrer désormays à oeuvre pieuse...
Saoul-Fifre sentit des sueurs froides lui couler dans le dos : la perspective d'être obligé de suivre son Maître en des terres lointaines et non-chrétiennes, où il risquait en outre de ne point trouver sa ration quotidienne de vinasse, ne l'enchantait guère. Cela stimula instantanément sa créativité, à la recherche d'une solution improvisée pour éviter cela.
- Maistre... heu... je savois ce quy n'alloit poinct avecques la Dame Calcinée du Grozosieau, c'estoit... heu... que... que vous estes sur la route chacque jour que Dieu faisoit. Comment voulesz-vous que noble Dame trouvoit le sien compte avecques un Chevalier errant ? Une donzelle ayoit besoin d'un toit solide au-dessus de la sienne teste pour envysager de se macquer !
- De se quoy ? Que me baillois-tu, escuyer des miennes deulx ?
- De se mettre en ménage, Messyre ! La solutyon estoit de vous trouver un gîte, un petit castel, et la Dame Calcinée du Grozosieau verroit alors que vous estes un Chevalier bien establi en la vye et j'estois convaincu qu'elle vous tomberoit entre les bras !
- Un gîte, disois-tu ? Mmm...
Le Chevalier semblait ébranlé par les arguments de bon sens de son écuyer. Il lui fallait un pied-à-terre, assurément, cela allait désormais de soi pour lui.
- Et comment pouvoit-on trouver rapydement un gîte ?
- Rien de plus facyle, Maistre, il suffisoit d'aller à la ville escouter les annonces immobilyères du crieur public !
- Soit ! Eh bien, allons-y doncques !
Il arrivèrent à la ville alors que Figue-à-rôt, le crieur de rue du patelin, finissait de crier les annonces de ventes de carrioles d'occasion et s'attaquait justement aux annonces de locations immobilières.
- Oyesz, oyesz ! A louer. Chaumière deulx pièces tout confort. Grange à foin. Place de parcquage de carriole. Atypicque. Coup de coeur assuré. A saisir. Loyer : deulx deniers d'or par mois.
Saoul-Fifre commenta à voix basse pour son Maître :
- Trop miséreulx pour vous, Messyre ! Il falloit bien mieulx sy voulesz plaire à Dame Calcinée du Grozosieau !
Le crieur de rue passa à l'annonce suivante :
- Oyesz, oyesz ! A louer. Rare. Castel fortifié de prestyge 38 pièces entyèrement refaict à neuf. Pont-levis. Douves de vingt coudées de profondeur. Meurtrières orientées plein sud. Cheminées dans toutes les chambres. A saisir de toute urgensce ! Loyer : cent et vingt deniers d'or par mois.
Saoul-Fifre faillit s'étrangler en entendant la somme :
- Fouchtra ! En voilà qui ne se mouchoient poinct du coude ! Cela estoit bien trop pour la vostre bourse, Messyre !
Le crieur de rue continua son office :
- Oyesz, oyesz ! A louer. Petit castelet fortifié coquet, salon double séjour, neuf chambres. Très bon estat. Oubliettes refaites à neuf. Créneaux apparents. Beaucoup de charme. Idéal pour jeune couple. Loyer : quinze deniers d'or par mois.
Le visage de Saoul-Fifre s'illumina :
- C'estoit toutement ce qu'il vous falloit, Maistre ! Cestuy castelet estoit faict pour vous et Dame Calcinée du Grozosieau ! J'irois, sy vous le souhaitesz, conclure l'affayre dès demayn, à l'heure des visytes.
- Bien sûr que tu allois y aller, escuyer vinasseulx, tu ne pensois quand mesme poinct que j'allois m'abaisser à fayre la queue et à traister de sordydes considératyons matérielles avecques quelcque vil marchand de biens ?
C'est ainsi que, dès le lendemain matin, Saoul-Fifre se rendit en visite au dit castelet à louer. Hélas, il s'aperçut bien vite qu'il n'était pas seul sur le coup : les annonces immobilières de Figue-à-rôt étant très courues, une foule impressionnante se pressait déjà devant le pont-levis.
Découvrant cela, Saoul-Fifre vit la perspective d'un départ en croisade se profiler de nouveau s'il n'arrivait pas à éliminer rapidement la concurrence. Heureusement, la mauvaise vie qu'il avait menée jusqu'alors lui avait permis d'apprendre plus d'un tour pour éloigner les gêneurs. Il s'enduisit le visage de vieille graisse d'oie un peu rance qu'il laissa sécher au soleil, il rabattit son capuchon sur sa tête sortit une crécelle de sa besace et se mit à l'agiter en avançant vers le groupe.
La réaction ne se fit pas attendre : la panique fut générale.
- Qu'estoit-ce doncques que cestuy bruit ?
- Regardesz ! Là ! Un lépreulx qui approchoit !
- Foutrebleu ! Fuyons !
Quelques secondes plus tard, la place était vide. Seul restait Saoul-Fifre, qui enlevait tant bien que mal la graisse d'oie séchée de son visage.
Quand le propriétaire du castelet parut pour la visite, il fut relativement surpris de ne trouver qu'une seule personne qui attendait.
- Heu... Bien le bonjour, mays... mays vous estes seul céans ?
- Bonjour itoument ! Oui, j'estois apparemment le seul à manyfester quelcque interest pour icelle vile bicocque, pour le compte du Chevalier Hippobert Canasson de Tant-Bourrin. Poinct la peine estoit de visyter, je la prenois par bonté d'asme, mays j'exigeois que le loyer soit ramené à douze deniers d'or par mois.
Le propriétaire, interloqué par l'absence de tout autre locataire potentiel et craignant de ne pas pouvoir placer son bien, finit par accepter, à la grande joie de Saoul-Fifre qui se dit que cela ferait trois deniers d'or qui tomberaient dans sa poche chaque mois.
Quelques heures plus tard, le Chevalier et son écuyer vinrent établir leurs quartiers dans le castelet pour y passer la nuit, le Chevalier allongé dans un grand lit à baldaquin et son écuyer couché à même le sol, ainsi qu'il seyait aux gueux.
Mais à peine eurent-ils éteint la torche qu'ils entendirent de grands éclats de voix qui venaient de l'extérieur.
- Qu'estoit-ce doncque que cestuy raffut à onze heures du soir ? Saoul-fifre, allois voir à la meurtrière ce quy se passoit !
- J'y allois, Messyre... Heu... Il sembloit que cela estoient les voisins du castelet d'à costé quy festoyoient et faisoient grand barbequiou...
- En plein mois de décembre ?
- Ouy, Messyre. En véryté je vous le disois, les nostres voisins ne sembloient poinct frileulx !
Une demi-heure plus tard, le calme à peu près revenu, le Chevalier et son écuyer se laissaient de nouveau gagner par le sommeil, quand, soudainement un étrange bruit se fit entendre. Un étrange bruit qui faisait "faisois dodo, Colas le mien petyt frére..."
- Rhâââ, qu'estoit-ce doncques encore ? Saoul-Fifre, allois voir !
- J'y allois, Maistre... Ah, il sembloit ceste foys-cy que c'estoient les aultres voisins quy utilisoient leur berceuse.
- User de sa berceuse en pleine nuyt ? Mays qu'estoient-ce doncques que cesteulx sauvages ? Disois-moy, escuyer des miennes deulx, il me sembloit que l'isolatyon sonore de cestuy castelet n'estoit poinct à la hauteur de ce que j'attendois !
- Heu... c'estoit à dire que... cela estoient les constructions modernes : ils faisoient des murs de deulx coudées seulement d'épaisseur pour réduire les cousts...
- Bon, cela suffisoit, nous en reparlerons demayn ! J'ayois grand sommeil et voulois jà dormir. Il sembloit que le calme estoit revenu...
Mais à peine eurent-ils le temps d'entrer dans leur premier sommeil qu'un chant bruyant retentit dans la nuit :
"Posois les deulx pieds en canard
C'estoit la chenille quy se préparoit
En carriole les voyageurs
La chenille partoit tous jours à l'heure"
- Rhâââââ ! Par les couillasses de Satan, quy doncques faisoit hurler les siens troubadours en pleine nuit ?
- Heu... il sembloit que cela venoit de chez des tiers voysins d'un aultre petit castelet par là-bas. Il falloit dire que les petits castelets estoient fort nombreulx et fort proches les uns des aultres en cestuy coin !
- Je n'en puis plus ! J'allois régler cela sur le champ !
Et joignant le geste à la parole, le Chevalier de Tant-Bourrin, en chemise de nuit, saisit son hachoir à viande et sortit d'un pas furieux.
Quand il revint une demi-heure plus tard, sa chemise, à moitié déchirée, était couverte de sang, son nez était tuméfié, son oeil droit poché, sa joue enflée, et il marchait en boitant bas.
- Pas de commentayre, escuyer, je t'en priois ! Demayn, on levoit le camp, je ne voulois poinct passer une journée de plus icy !
Et dès le lendemain, l'étrange équipage reprit sa cheminante errance. Saoul-Fifre, en tête, qui cuvait son vin et ronflait comme un bienheureux sur sa bourrique miteuse. Et derrière, le Chevalier de Tant-Bourrin, couvert d'ecchymoses, l'aura plus que jamais en berne, qui ronflait tout aussi fort sur son cheval et finissait enfin sa nuit.
Tel était le destin d'un preux Chevalier et de son écuyer en ces temps médiévaux.
Commentaires
1. Le vendredi 15 décembre 2006 à 05:40, par Yves
2. Le vendredi 15 décembre 2006 à 06:55, par antenor
3. Le vendredi 15 décembre 2006 à 07:26, par Martine
4. Le vendredi 15 décembre 2006 à 07:47, par ab6
5. Le vendredi 15 décembre 2006 à 07:49, par fee_line
6. Le vendredi 15 décembre 2006 à 08:06, par nathalie
7. Le vendredi 15 décembre 2006 à 08:14, par La Trollette
8. Le vendredi 15 décembre 2006 à 08:16, par bakemono
9. Le vendredi 15 décembre 2006 à 08:23, par Pascal
10. Le vendredi 15 décembre 2006 à 08:53, par manou
11. Le vendredi 15 décembre 2006 à 09:26, par matthieu
12. Le vendredi 15 décembre 2006 à 09:39, par Cassandre
13. Le vendredi 15 décembre 2006 à 10:35, par Bof
14. Le vendredi 15 décembre 2006 à 10:44, par Anne
15. Le vendredi 15 décembre 2006 à 10:55, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
16. Le vendredi 15 décembre 2006 à 11:30, par Yves
17. Le vendredi 15 décembre 2006 à 11:38, par Freefounette
18. Le vendredi 15 décembre 2006 à 14:33, par Calcinée du Grozosieau
19. Le vendredi 15 décembre 2006 à 15:12, par Freefounette
20. Le vendredi 15 décembre 2006 à 18:16, par lalune
21. Le vendredi 15 décembre 2006 à 18:23, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
22. Le vendredi 15 décembre 2006 à 19:34, par Yael
23. Le samedi 16 décembre 2006 à 00:18, par chlorop'
24. Le samedi 16 décembre 2006 à 07:26, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
25. Le samedi 16 décembre 2006 à 07:35, par Tant-Bourrin
26. Le samedi 16 décembre 2006 à 07:36, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
27. Le samedi 16 décembre 2006 à 14:09, par Dan
28. Le samedi 16 décembre 2006 à 14:15, par nathalie
29. Le samedi 16 décembre 2006 à 19:31, par Hippobert Canasson de Tant-Bourrin
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