- Bien le bonjour, Messyre ! Estes-vous bien le Chevalier Hippobert Canasson de Tant-Bourrin ?
- Pour vous servir.
- Fort bien. J'ayois un message pour vous. Tenesz !

L'homme tendit un parchemin au Chevalier et repartit aussitôt au galop. Saoul-Fifre, qui venait d'ouvrir un oeil en émergeant de son semi-coma éthylique, s'enquit de savoir de quoi il retournait.

- Qu'estoit-ce doncques, Messyre ?
- Je ne savois poinct, escuyer des miennes deulx...
- Peut-estre estoit-ce doulce missyve de la vostre Dame Calcinée du Grozosieau ? Peut-estre icelle vous ayoit pardonné et l'amour renaistra des siennes cendres, tant il estoit vray que l'on ayoit vu rejaillir le feu de l'ancien vol...

BLAMM !!!!

Le plat du hachoir à viande du Chevalier venait d'abréger le discours de Saoul-Fifre en s'abattant lourdement sur son crâne.

- Fermois doncques le tien clapet à mouchasses et laissois-moi lire cestuy parchemyn en pailx, bougre de pypelette !

Le Chevalier déroula le parchemin et commença à le lire à haute voix, la lecture in petto étant inconnue en ces temps médiévaux.

- Voyons voir... "Message de Tugudu, résidant à Hiaoux-Poincomme, au Chevalier Hippobert Canasson de Tant-Bourrin. Elargissez la vostre lance et faistes hurler de contentement la vostre Dame des vostres pensées. Le phyltre du mage Vit-à-gras changeroit la vostre vie. Envoy rapyde par messager discret. Paiement possyble par paye-pale"...

Sans finir sa lecture, la face du Chevalier s'empourpra.

- Mays qu'estoient-ce doncques que ces calembredaynes insanes ? Je ne connaissois poinct cestuy Tugudu et n'ayois jamays demandé d'élargir la mienne lance, screugneugn...
- Bien le bonjour, Messyre ! Estes-vous bien le Chevalier Hippobert Canasson de Tant-Bourrin ?

Le Chevalier se retourna vers le quidam qui venait de l'interrompre dans son envolée colérique.

- Pour vous servir. Qu'estoit-ce doncques encor ?
- Un message pour vous, Messyre. Tenesz !

Et l'homme, après avoir remis un parchemin au Chevalier, tourna casaque et disparut aussi vite que le premier messager.

- Que de messages pour vous, Messyre !
- Taisois-toi, je lisois !... Voyons... "Message de Médyqueillechiononelaillene, résidant à Hottemèle-Poincomme, au Chevalier Hippobert Canasson de Tant-Bourrin. Economisesz cinquante pourcents sur les vostres achats de baumes et phyltres"... Mais... mais qu'estoient-ce doncques icelles novelles ineptyes ? Je ne connaissois poinct cestuy sombre indivydu et ne voulois rien acquérir !?...

Le Chevalier de Tant-Bourrin fulminait quand un troisième messager surgit soudain. Cette fois, il s'agissait du message d'un certain Jaimse, résidant à Baillevie-Agrapointorgue, qui lui proposait également quelques phyltres au pouvoir revigorant.

Le courroux du Chevalier, face à ces messages indésirables, allait grandissant, et ce d'autant plus que le flux de messagers allait lui aussi grandissant.

Quelques heures plus tard, au paroxysme de son ire, le Chevalier changea d'ailleurs de méthode dans le traitement de ces parchemins, quand le quarante-sixième messager de la journée se présenta à lui.

- Bien le bonjour, Messyre ! Estes-vous bien le Chevalier Hipp...

SCHLAACQUE !

Le hachoir à viande du Chevalier venait de lancer un éclair lumineux dans l'air, et la tête du messager roula dans la boue qu'elle colora de rouge.

Par la suite, le Chevalier se contenta de détruire les messagers dès leur arrivée, sans peine prendre la peine de lire les parchemins, maudissant les faquins qui osaient ainsi l'importuner dans sa chevaleresque errance.

Mais, pendant ce temps, les mots des parchemins lus par le Chevalier avaient tourné et retourné dans le crâne aviné de son écuyer. Et Saoul-Fifre se disait : "ma foy, le Chevalier s'énervoit, mays moi, je trouvois cesteulx phyltres miraculeulx moultement intéressants, cela pourroit m'aider à lutiner la ribaude quand j'estois un peu las. Et puys je pourrais en donner une lichette itoument au Chevalier quy ne me sembloit poinct assez porté sur la chose, car s'il trempouillait plus souvent le sien biscuyt, il songerait peut-estre moins souvent à m'entraisner en les siennes calamiteuses écquypées !"

Le soir même, Saoul-Fifre profita du sommeil de son maître pour intercepter un messager et lui passer commande en versant quelques pièces dérobées sur l'argent des courses.

Une semaine plus tard, alors que le Chevalier et son écuyer dormaient dans leur campement nocturne, Saoul-Fifre fut réveillé par des petits cailloux jeté sur lui. Il entendit un murmure qui venait des fourrés proches.

- Psssssst !
- Hein ? Quoy ? Qu'estoit-ce ?
- Chuuuuuut ! Pas sy fort ! J'estois le messager discret quy vous apportois le phyltre que vous avesz commandé... Tenesz !

Saoul-Fifre se saisit de la petite fiole qu'un buisson lui tendait de la main, buisson qui s'éclipsa aussitôt dans le noir. Il s'endormit un sourire lubrique aux lèvres. Demain, il verserait le phyltre dans le frichti du matin.

Mais les effets ne furent pas vraiment ceux escomptés. Le Chevalier et Saoul-Fifre ne virent nullement leur lance doubler de volume : ils eurent surtout de fortes douleurs intestinales agrémentées d'une inextinguible colique. Car la science des aphrodisiaques du bas Moyen-Âge n'était pas encore tout à fait au point.

Et l'étrange équipage reprit son cheminement boueux, le Chevalier de Tant-Bourrin devant, l'aura en capilotade, plié en deux sur son destrier de moins en moins blanc, et Saoul-Fifre derrière, plié en deux sur sa bourrique miteuse, noyé dans une aura de mouches de plus en plus joyeuses. Et plus loin derrière encore cheminaient une trentaine de messagers, porteurs de messages tous aussi essentiels les uns que les autres pour le Chevalier et pour sa lance.

Tel était le destin d'un preux Chevalier et de son écuyer en ces temps médiévaux.