Slavomir RAWICZ (A marche forcée)
Par Manou, samedi 18 août 2007 à 00:13 :: General :: #788 :: rss
Le poisson séché, déjà sérieusement rationné, ne dura que jusqu'au cinquième jour et devant nous s'étendait toujours un horizon sans nulle trace de vie. Au milieu de cet univers aride il n'y avait de vivant que huit petits atomes humains et quelques rares serpents. Rien n'eût été plus facile que de cesser de bouger, de nous étendre là et de mourir. La tentation de faire durer la pause de midi, de continuer à sommeiller tout au long de l'après-midi brûlant jusqu'à ce que le soleil disparût, taraudait nos carcasses douloureuses et déshydratées. Nous avions les pieds dans un état pitoyable car un sable brûlant traversait l'intérieur des minces semelles de nos mocassins éculés. Alors, d'une voix rauque, je me prenais à dire à mes compagnons de se lever et de repartir. Ici, il n'y a rien, leur répétais-je. Derrière nous, il n'y a rien. Devant, il y a forcément quelque chose. Il faut qu'il y ait quelque chose. Mors, Kristina se levait et venait se ranger à côté de moi, de même que Kolemenos. Puis les autres suivaient, sans ordre. Et chacun se remettait en route tel un automate, tête basse, silencieux, enfermé dans ses pensées, mettant des heures durant un pied devant l'autre.
Le sixième jour, Kristina trébucha et, tombée à genoux, leva les yeux vers moi :
– C'est idiot, Slav : je me suis fait un croche-pied toute seule.
Sans attendre que je l'aide, elle se releva lentement et reprit sa marche à mes côtés. Dans l'après-midi, je fus surpris et vaguement irrité de me retrouver moi aussi à genoux. Je n'avais pas eu conscience de tomber. Je marchais et l'instant d'après j'étais arrêté. A genoux, me dis-je... comme un homme en prière. Je me redressai. Nul n'avait ralenti l'allure. Sans doute avaient-ils à peine remarqué ma chute. Il me sembla mettre très longtemps pour reprendre ma place en tête. D'autres s'effondraient également, comme je le notais de temps en temps. Les jambes se dérobaient, ils se figeaient et quelques secondes de perplexité s'écoulaient avant qu'ils comprissent qu'ils avaient cessé d'avancer. Et ils repartaient. Il n'était pas question de renoncer. C'étaient là les signes d'une faiblesse croissante qui sapait nos forces, mais les reconnaître pour tels eût été fatal. La mort venait en reconnaissance, mais nous n'étions pas encore prêts à mourir.
Slavomir RAWICZ (A marche forcée)
Commentaires
1. Le samedi 18 août 2007 à 00:19, par Saoulfifre
2. Le samedi 18 août 2007 à 00:36, par calune
3. Le samedi 18 août 2007 à 00:48, par Saoulfifre
4. Le samedi 18 août 2007 à 06:52, par Tant-Bourrin
5. Le samedi 18 août 2007 à 08:40, par mamascha
6. Le samedi 18 août 2007 à 10:04, par Frenchmat
7. Le samedi 18 août 2007 à 10:05, par Oncle Dan
8. Le samedi 18 août 2007 à 11:09, par Saoulfifre
9. Le samedi 18 août 2007 à 11:19, par Bof.
10. Le samedi 18 août 2007 à 11:51, par Saoulfifre
11. Le samedi 18 août 2007 à 11:56, par Anne
12. Le samedi 18 août 2007 à 12:00, par Anne
13. Le samedi 18 août 2007 à 12:12, par mamascha
14. Le samedi 18 août 2007 à 14:41, par Saoulfifre
15. Le samedi 18 août 2007 à 14:45, par calune
16. Le samedi 18 août 2007 à 15:05, par Saoulfifre
17. Le samedi 18 août 2007 à 15:42, par Anne
18. Le samedi 18 août 2007 à 16:14, par calune
19. Le samedi 18 août 2007 à 17:53, par Margotte
20. Le samedi 18 août 2007 à 18:10, par saoulfifre
21. Le samedi 18 août 2007 à 20:06, par mamascha
22. Le samedi 18 août 2007 à 21:25, par Bof.
23. Le samedi 18 août 2007 à 21:45, par calune
24. Le samedi 18 août 2007 à 21:46, par calune
25. Le samedi 18 août 2007 à 23:48, par Anne
26. Le dimanche 19 août 2007 à 11:22, par Martine
27. Le mardi 21 août 2007 à 23:36, par manou
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