Le soleil déjà haut darde ses rayons presque au zénith de mes paupières encor engourdies par la touffeur nocturne. J'en soulève une et, violemment ébloui, me dis qu'il serait peut-être l'heure d'attaquer une nouvelle journée de dur labeur.

Je tends mon bras sur la droite, ma main empoigne un ... pied, oui c'est bien un pied de Margotte, qui se libère en m'en fichant un bon coup au menton et qui grommelle : "Allume la cafetière !". Oui, nous savons qu'il existe des timers ou "temporisateurs" en français ou même des cafetières programmables, mais à vrai dire, depuis notre incendie dû à un court-circuit électrique, nous débranchons tout et c'est le premier qui se lève qui rebranche la cafetière préparée la veille.

Bon, moi je me prépare un "thé des deux mouflons", mais en tant qu'ancien caféïnomane, je suis solidaire. C'est dès le matin qu'on peut vérifier qu'un couple est une association de deux différences qui campent sur leurs positions respectives : ce serait quand même plus simple de prendre la même chose, on ferait des économies d'échelle ? Ben non : le thé, Margotte le prend après le repas de midi et u-ni-que-ment. Le soir, c'est encore autre chose, elle embraye sur la gnole et là, on peut rentabiliser notre énergie et gérer le budget serré-serré : on l'achète en cubis, on la met nous-même en bouteille, elle sort les verres, je m'empare du tire-bouchon, elle coince la bouteille entre ses cuisses, j'introduis en tournant et en faisant attention de pas pousser trop loin le bouchon et j'y tire dessus aussi fort que je peux.

Et après on trinque, pendant que les enfants boivent, mais je m'aperçois que là, je suis en train de vous raconter hier soir, au bac, j'aurais eu une belle banane, c'est qu'ils aiment ça, les hors-sujet, hinhin, chouette un hors-sujet, le con, il sait pas lire et il veut le bac, je rêve non mais, pincez-mi et pincez-moi, çui-là, il entrera dans la carrière quand je n'y serai plus, pas avant !

Oui, donc : le sujet se lève, ou plutôt il se casse la margoulette sur les vêtements sales et éparpillés qui lui servent de descente de lit. Je m'assieds sur le bord du matelas un peu dans la position du penseur de Rodin, mais les deux mains sur les oreilles et en secouant la tête comme un chien de haillon arrière. Dure dure, la biture. Ya un orchestre cinq ou six phoniques qui joue dans ma tête sous les ordres d'un chef pressé de rentrer chez lui. Je finis par retrouver mes automatismes de sortie de sommeil. Mes lunettes, ma montre. Si je ne les ai pas bues, elles doivent être avec les chaussettes. Mon slip. Enfiler mon slip. La dernière fois que je suis allé aux chiottes à poils, j'ai croisé ma fille qui s'est enfuie en hurlant. Écouter Freefounette. Éviter les traumatismes aux innocents. Le laisser pendre de la main gauche. Enfiler le pied droit, puis le pied gauche, et tirer jusqu'en haut. Rajuster de la main droite. En profiter pour se gratter. Je distribue la technique sur le web en copyleft pour ce qu'elle vaut, mais elle est éprouvée et respecte le tissu.

Je me dirige vers les toilettes, enfin : je prends un cap et j'essaye de m'y tenir. Arrivé au port, je m'affale et profite que ma vessie se vide de son alcool pour repiquer un petit somme, pas vu pas pris. Je me réveille en sursaut, c'est Margotte qui essaye de casser la porte. Ne sentant pas l'odeur du café monter jusqu'à ses narines, elle a flairé l'arnaque et a décidé de s'arracher du lit, sans que cela fasse tourner au beau fixe l'aiguille du baromètre de sa bonne humeur. Elle veut rentrer mordicus. Un reste de logique lui murmure à l'oreille qu'en payant sa part du crédit elle obtient ainsi une espèce de droit à se servir de nos commodités quand elle en éprouve le besoin. Et il est difficile de lui donner tort, vu que, je jette un coup d'œil à ma tocante, je squatte l'endroit depuis 3/4 d'heure. Je déverrouille, elle me détrône et me jette dans le couloir, et prend ma place. Putsh réussi.

J'abdique et descends mettre en route la machine pour le café de Madame. Pendant que le gicleur gargouille, je mets une grande casserole sur le plus grand feu ouvert à fond, avec un peu d'eau dedans, pour gagner du temps. Je mets une cuillère de miel dans un bol, remplis ma boule de thé, et hop : l'eau bout déjà et je la verse à infuser. Lendemain de fête, héhé, il doit rester du gâteau au chocolat de Zoé, reste plus qu'à trouver où ils me l'ont caché cette fois-ci.

Ha tiens, le voilà, au dessus de l'armoire à chaussures !

J'emporte le tout sous la tonnelle. Quel calme. Un peu bruyants, ces oiseaux, non ? Hmmm, et tout ça sent bien bon ?

Je crois que je vais me laisser aller à pousser un grand Ahhhhhhhhhhhh ! de satisfaction q;^)