Entre madre (la mère en espagnol) et mar (la mer dans la même langue), il y a un D et un E de différence. En français, il n'y a qu'un E, en latin, qu'un T. Quand ma mère a perdu les eaux, ce jour là, il se trouve que je me baignais dedans, et zwib, je suis tombé sur une terre. Je ne me rappelle pas qu'on m'ait demandé mon avis, d'ailleurs je crois que l'usage est de ne point s'enquérir des désidératas des nouveaux-nés. Certains ont essayé, sans jamais obtenir de réponse clairement articulée.

Les faits bruts, immalléables, me sont tombés sur la gueule, et il a fallu que je fasse avec : je suis né à Tlemcen, dans une famille de colons, début 1956. Fin 55, des fellaghas (résistants) ont attaqué la ferme. Ma mère, qui me portait, a eu la trouille de sa vie. Elle l'a partagée avec moi, et je l'ai faite mienne durant de nombreuses années. J'émerge de notre peur petit à petit. C'est un travail de longue haleine. Dans la famille, tout le monde a morflé, chacun à sa manière, de ce déchirement du départ.

Et puis, plus de 40 ans plus tard, le simple fait de discuter d'un "retour" familial à Tlemcen a réavivé les plaies. Ça a somatisé sec dans la tribu.

Ma sœur aînée ne s'est pas sentie d'y aller, en tout cas pas avec sa fratrie. Elle flairait le piège.

Le corps de la 2ième a carrément pété un fusible. Tout était décidé, elle avait préparé le voyage de sa famille à elle avec beaucoup de rigueur et de soin, comme elle sait faire, et puis plouf, elle a attrapé une maladie de ouf : un virus qui s'est attaqué à sa myéline et qui l'a mise raplapla comme une carpette !

La 3ième était partante itou, mais on la sentait qui serrait les fesses. Le hasard a fait que son avion était en grève et qu'elle n'a pas pu en prendre un autre. Bon, ses 20 ans de psychanalyse sont peut-être un terreau prédisposant, toujours est-il qu'elle est tombée dans une dépression sévère dont elle a du mal à se sortir.

Nous les 3 garçons, on y est allés, d'accord, mais ça nous a bien secoués quand même.

Alors y en a qui me disent : "On aimerait bien la suite de tes aventures en Algérie ?" comme qui dirait "C'était chaud, le Club, cette année ?".

Ben c'est pas si facile que çà à écrire, si vous voyez ce que je veux dire ? Le seul truc vrai et important, dans cette affaire, et qui nous a noué les tripes d'émotion, là-bas, en permanence, c'est que nous appartenons de cœur à cette terre.

Et ce soir j'ai juste envie de vous la montrer dans sa nudité, vierge de présence humaine.

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